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Léon Tolstoï
Toutes les Oeuvres Majeures de Léon Tolstoï
Traductions: Auguste-Henri Blanc de La Nautte (Katia (Le Bonheur conjugal), en 1878), Irène Paskévitch (La guerre et la paix, de 1863 - 1869), J.-Wladimir Bienstock (Contes et nouvelles, de 1884 - 1889 et Anna Karénine, en 1900), Teodor de Wyzewa (Qu’est-ce que l’art?, en 1893 et Résurrection, en 1900), Arvède Barine (Souvenirs, en 1913), Anonyme - Mercure de France (Dernières Paroles, en 1905), Anonyme - éd. Paul Birukoff (Le Patriotisme et le gouvernement, en 1900, Adrien Souberbielle (Réponse au Synode, en 1901), Ely Halpérine-Kaminsky (Contes et nouvelles, de 1884 - 1889 et Maître et serviteur, en 1895). Couverture: Portrait de Léon Tolstoï, 1848; photographie de Pavel Biryukov. EAN 4064066446673 e-artnow, 2021
Table des Matières
Toutes les Oeuvres Majeures de Léon Tolstoï
Le Patriotisme et le gouvernement
Katia (Le Bonheur conjugal)
Traduction par Auguste-Henri Blanc de La Nautte.
- 1878 -
I
Nous étions en deuil de notre mère; elle était morte l’automne précédent et nous passâmes tout l’hiver à la campagne, seules, Macha, Sonia et moi.
Macha était une ancienne amie de la maison; elle avait été notre gouvernante, nous avait toutes élevées, et mes souvenirs, comme mon affection pour elle, remontaient aussi loin que je me souvenais de moi-même.
Sonia était ma sœur cadette.
L’hiver s’écoula pour nous, sombre et triste, dans notre vieille maison de Pokrovski. Le temps fut froid, venteux, à tel point que la neige s’était amoncelée plus haut que les fenêtres; celles-ci étaient presque continuellement couvertes de glace et ternes, et d’un autre côté nous ne pûmes, à peu près pendant toute la saison, sortir ni nous promener nulle part.
Il était rare qu’on vint nous voir, et ceux mêmes qui nous visitaient n’apportaient ni joie ni gaieté dans notre maison. Tous avaient un visage chagrin, parlaient bas, comme s’ils eussent craint de réveiller quelqu’un, se gardaient de rire, soupiraient et souvent pleuraient en me regardant, et surtout à la vue de ma pauvre Sonia, vêtue de sa petite robe noire. Tout dans la maison sentait encore la mort en quelque manière; l’affliction, l’horreur du trépas régnaient dans l’air. La chambre de maman restait fermée, et j’éprouvais tout ensemble un cruel malaise et un invincible attrait à jeter furtivement un coup d’œil sur cette chambre froide et déserte, quand je passais auprès d’elle pour m’aller coucher.
J’avais à cette époque dix-sept ans, et l’année même de sa mort maman avait eu l’intention d’aller habiter la ville pour m’y produire. La perte de ma mère avait été pour moi une grande douleur, mais je dois avouer qu’à côté de cette peine, jeune et belle comme tous me le faisaient entendre, je ressentais une certaine peine de me voir condamnée à végéter un second hiver à la campagne dans une aride solitude. Avant même la fin de cet hiver, le sentiment du chagrin, de l’isolement, et pour le dire simplement, celui de l’ennui, grandirent chez moi à un point tel que je ne sortais plus de ma chambre, n’ouvrant pas mon piano et ne prenant même point un livre en main. Quand Macha m’invitait à m’occuper de choses ou d’autres, je lui répondais: je ne veux pas, je ne puis pas; et dans le fond de mon âme une voix me demandait: À quoi bon? Pourquoi aurais-je fait n’importe quoi, alors que le meilleur de ma vie se consumait ainsi en pure perte? Pourquoi? Et à ce « pourquoi » il n’y avait chez moi d’autre réponse que des larmes.
On me disait que je maigrissais et que j’enlaidissais pendant tout ce temps; mais je ne m’en préoccupais d’aucune façon. Pourquoi et pour qui y aurais-je pris intérêt? Il me semblait que ma vie tout entière