Emile Zola

Lourdes


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de le ranimer. Et, comme il avait un geste d'impuissance, elle le supplia encore.

      – Monsieur Ferrand, restez avec moi, attendez que le père soit venu… Je serai un peu plus tranquille.

      Il resta, il l'aida à remonter l'homme, qui glissait sur la banquette. Puis, elle prit un linge et lui essuya la face, qui se couvrait continuellement d'une épaisse sueur. Et l'attente se prolongea, au milieu du malaise des malades demeurés dans le wagon, et de la curiosité des gens du dehors, qui commençaient à s'attrouper.

      Une jeune fille, vivement, écarta la foule; et, montant sur le marchepied, elle interpella madame de Jonquière.

      – Quoi donc, maman? ces dames t'attendent au buffet.

      C'était Raymonde de Jonquière, un peu mûre déjà pour ses vingt-cinq ans sonnés, qui ressemblait à sa mère étonnamment, très brune, avec son nez fort, sa bouche grande, sa figure grasse et agréable.

      – Mais, mon enfant, tu le vois, je ne puis pas quitter cette pauvre femme.

      Et elle montrait la Grivotte, prise maintenant d'un accès de toux, qui la secouait affreusement.

      – Oh! maman, est-ce fâcheux! Madame Désagneaux et madame Volmar qui se faisaient une fête de ce petit déjeuner à nous quatre!

      – Que veux-tu, ma pauvre enfant?.. Commencez toujours sans moi. Dis à ces dames que, dès que je le pourrai, je m'échapperai pour les rejoindre.

      Puis, ayant une idée:

      – Attends, il y a là le médecin, je vais tâcher de lui confier ma malade… Va-t'en, je te suis. Et tu sais que je meurs de faim!

      Raymonde retourna lestement au buffet, tandis que madame de Jonquière suppliait Ferrand de monter près d'elle, pour voir s'il ne pourrait pas soulager la Grivotte. Déjà, sur le désir de Marthe, il avait examiné le frère Isidore, dont la plainte ne cessait point; et il avait dit de nouveau son impuissance, d'un geste navré. Il s'empressa pourtant, souleva la phtisique qu'il voulut asseoir, espérant arrêter la toux, qui en effet cessa peu à peu. Ensuite, il aida la dame hospitalière à lui faire avaler une gorgée de potion calmante. Dans le wagon, la présence du médecin continuait à remuer les malades. M. Sabathier, qui mangeait lentement la grappe de raisin que sa femme était allée lui chercher, ne le questionnait pas, connaissant à l'avance sa réponse, las d'avoir consulté, comme il le disait, tous les princes de la science; mais il n'en éprouvait pas moins un bien-être, à le voir remettre debout cette pauvre fille, dont le voisinage le gênait. Et Marie elle-même le regardait faire avec un intérêt croissant, tout en n'osant l'appeler pour elle-même, certaine, elle aussi, qu'il ne pouvait rien.

      Sur le quai, la bousculade augmentait. On n'avait plus qu'un quart d'heure. Comme insensible, les yeux ouverts et ne voyant rien, madame Vêtu endormait son mal sous la brûlure du grand soleil; pendant que, devant elle, du même pas berceur, madame Vincent promenait toujours sa petite Rose, d'un poids si léger d'oiseau malade, qu'elle ne la sentait pas sur ses bras. Beaucoup de gens couraient à la fontaine remplir des brocs, des bidons, des bouteilles. Madame Maze, très soigneuse et délicate, eut l'idée d'aller s'y laver les mains; mais, comme elle arrivait, elle y trouva Élise Rouquet en train de boire, elle recula devant le monstre, cette tête de chien au museau rongé qui tendait la fente oblique de sa plaie, la langue sortie et lapant; et c'était, chez tous, le même frémissement, la même hésitation à emplir les bouteilles, les brocs et les bidons, à cette fontaine où elle avait bu. Un grand nombre de pèlerins s'étaient mis à manger le long du quai. On entendait les béquilles rythmées d'une femme allant et venant sans fin, au milieu des groupes. Par terre, un cul-de-jatte se traînait péniblement, en quête d'on ne savait quoi. D'autres, assis en tas, ne remuaient plus. Tout ce déballage d'un instant, cet hôpital roulant vidé là pour une demi-heure, prenait l'air parmi l'agitation ahurie des gens valides, d'une pauvreté et d'une tristesse affreuses, sous la pleine lumière de midi.

      Pierre ne quittait plus Marie, car M. de Guersaint avait disparu, attiré par la verdoyante échappée de paysage, qu'on apercevait, au bout de la gare. Et le jeune prêtre, inquiet de voir qu'elle n'avait pu achever le bouillon, s'efforçait, d'un air souriant, de tenter la gourmandise de la malade, en offrant d'aller lui acheter une pêche; mais elle refusait, elle souffrait trop, rien ne lui faisait plaisir. Elle le regardait de ses grands yeux navrés, partagée entre son impatience de cet arrêt, qui retardait la guérison possible, et sa terreur d'être secouée de nouveau, le long de ce dur chemin interminable.

      Un gros monsieur s'approcha, toucha le bras de Pierre. Il grisonnait, portait toute sa barbe, la face large et paterne.

      – Pardon, monsieur l'abbé, n'est-ce pas dans ce wagon qu'il y a un malheureux malade à l'agonie?

      Et, comme le prêtre répondait affirmativement, il devint tout à fait bonhomme et familier.

      – Je m'appelle monsieur Vigneron, je suis sous-chef au ministère des Finances, et j'ai demandé un congé pour accompagner, avec ma femme, notre fils Gustave à Lourdes… Le cher enfant met tout son espoir dans la sainte Vierge, que nous prions pour lui matin et soir… Nous sommes là, dans le wagon qui est avant le vôtre, où nous occupons un compartiment de deuxième classe.

      Puis, il se retourna, appela son monde, d'un geste de la main.

      – Approchez, approchez, c'est bien là. Le malheureux malade est en effet au plus mal.

      Madame Vigneron était petite, le visage long et blême, d'une pauvreté de sang, dans sa correction de bonne bourgeoise, qui reparaissait terrible chez son fils Gustave. Celui-ci, âgé de quinze ans, en paraissait à peine dix, déjeté, d'une maigreur de squelette, la jambe droite anémiée, réduite à rien, ce qui l'obligeait à marcher avec une béquille. Il avait une mince petite figure, un peu de travers, où il ne restait guère que les yeux, mais des yeux de clarté pétillant d'intelligence, affinés par la douleur, voyant sûrement clair jusqu'au fond des âmes.

      Une vieille dame suivait, le visage empâté, traînant les jambes difficilement; et M. Vigneron, se rappelant qu'il l'avait oubliée, revint vers Pierre, pour achever la présentation.

      – Madame Chaise, la sœur aînée de ma femme, qui a voulu aussi accompagner Gustave, qu'elle aime beaucoup.

      Et, se penchant, à voix basse, d'un air de confidence:

      – C'est madame Chaise, la veuve du marchand de soie, immensément riche. Elle a une maladie de cœur qui lui donne de grandes inquiétudes.

      Alors, toute la famille, massée en un groupe, considéra avec une curiosité vive ce qui se passait dans le wagon. Du monde s'attroupait sans cesse, et le père, pour que son fils pût voir, l'éleva un instant dans ses bras, pendant que la tante tenait la béquille et que la mère se haussait, elle aussi, sur la pointe des pieds.

      Dans le wagon, c'était toujours le même spectacle, l'homme sur son séant, occupant le coin, raidi et la tête contre la dure paroi de chêne. Il était livide, les paupières closes, la bouche tirée par l'agonie, baigné de cette sueur glacée que sœur Hyacinthe épongeait, de temps à autre, avec un linge; et celle-ci ne parlait plus, ne s'impatientait plus, revenue à sa sérénité, comptant sur le ciel, jetant simplement parfois un coup d'œil le long du quai, pour voir si le père Massias n'arrivait pas.

      – Regarde bien, Gustave, dit M. Vigneron à son fils, ça doit être un phtisique.

      L'enfant, que la scrofule rongeait, la hanche dévorée d'un abcès froid, avec un commencement de nécrose des vertèbres, semblait s'intéresser passionnément à cette agonie. Il n'avait pas peur, il souriait d'un sourire infiniment triste.

      – Oh! c'est affreux! murmura madame Chaise, que pâlissait la crainte de la mort, dans sa continuelle terreur d'une crise brusque qui l'emporterait.

      – Dame! reprit philosophiquement M. Vigneron, chacun son tour, nous sommes tous mortels.

      Et le sourire de Gustave, alors, prit une sorte de moquerie douloureuse, comme s'il eût entendu d'autres paroles, un souhait inconscient, l'espoir que la vieille tante mourrait avant lui, et qu'il hériterait des cinq cent mille francs promis, et que lui-même ne gênerait pas longtemps