Oleg Vasiljevitch Filatov

L’inconnu Tsarévitch Alexis. Souvenirs de la famille de Filatov au Tsesarevitch Alexis


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et remit à Iourovski l’ordre d’execution. Apres minuit, un camion – un Fiat d’une tonne et demie – s’arreta devant l’ entree, du cote du chemin de l’Ascension. Au volant se trouvait le chauffeur Lioukhanov, et dans la cabine, designes pour preter main-forte à Iourovski, Ermakov et Mikhail Medvedev, membres de la Tcheka. Iourovski, Ermakov et Medvedev appuyerent sur la sonnette electrique, du cote du boulevard, convoquerent le docteur Botkine qui dormait dans l’antichambre et le prierent de reveiller les prisonniers et de les reunir en bas.

      Au milieu de la nuit, onze personnes se rassemblerent dans la petite piece a demi voutee: Nicolas, Alexandra, Olga, Tatiana, Marie, Anastasia et Alexis, le docteur Botkine, le cuisinier Kharitonov, le domestique Trupp et la dame d’honneur, Demidova. Les douze meurtriers s’alignerent devant eux: des tchekistes hongrois (ex-prisonniers de guerre austro-hongrois), issus de l’” equipe speciale” formee sur l’ordre de Iourovski – Khorvat, Fisher, Edelstein, Fekete, Nagy, Grinfeld et Vergazi -, ainsi que Vaganov, Pavel Medvedev, Nikouline, Iourovski et Ermakov. Ni mèdecin ni ecclesiastique n’etaient presents. Iourovski lut l’ordre d’execution et les salves commencerent.

      Mais les choses ne se deroulerent pas exactement comme Golochtchekine, Iourovski et Ermakov l’avaient prevu. Apres les premiers tirs de revolvers et de pistolets, la piece, confiпёе, sans ventilation, se remplit de vapeurs de poudre. La fumee empechait les meurtriers de voir non seulement leurs cibles, mais aussi les armes qu’ils tenaient a la main. Ils tiraient des balles chargees avec deux poudres a canon distinctes, la combinaison des deux produisant un gaz extremement acre. Pleurant, toussant, vomissant, les tireurs durent sortir precipitamment de la maison apres avoir utilise moins de la moitie de leurs munitions et sans avoir pris le temps de verifier si leurs victimes etaient mortes ou encore vivantes. Ils s’acharnerent seulement sur ceux qui s’asseyaient ou restaient debout (au moins trois). Puis ils transporterent rapidement les corps dans le camion dont le moteur tournait pour noyer le bruit de la fusillade. Le commissaire militaire Golochtchekine etait reste a l’ecart afin de s’assurer que l’on n’entendait rien de dehors. Dans la confusion, il ne fait aucun doute que certains survivants se melaient aux morts sur la plate-forme du camion.

      Pendant le transfert des victimes de la maison au vehicule, il у eut un bref repit de cinq ou dix minutes. Quand Iourovski s’apenpit que certains hommes s’etaient eclipses avec les bijoux des Romanov, il rassembla les chapardeurs dans le bureau du haut et les obligea a restituer leurs butins. Durant ce court intermede, Nikouline ordonna à Andrei Strekotine, un tireur de la garde exterieure, de continuer a fouiller les cadavres des executes. Strekotine dut alors decouvrir des signes de vie chez le jeune Alexis, inconscient.

      Une fois qu’il eut regie le probleme avec les marauds, Iourovski sortit, monta dans la cabine du camion avec Ermakov, Vaganov et le chauffeur, Lioukhanov, puis le vehicule se mit en route a travers la ville, en plein coeur de la nuit.

      Ou alla-t-il?

      Le trajet via l’usine de la Haute Isetskjusqu’a la route de Koptiaki a ete decrit de nombreuses fois dans differents comptes rendus – en particulier le mauvais etat de la chaussee qui bloqua plus d’une fois le camion avant de l’immobiliser complement. Le moteur poussif – moins de 50 chevaux – du Fiat d’une tonne et demie surchauffait et manquait de reprise. Il fallut done decharger le camion. Dans son livre intitule “Le Dernier Tsar: la vie et la mort de Nicolas II”, Edvard Radzinski situe une de ces haltes forcees au passage a niveau n° 184. C’est la qu’Alexis aurait pu fausser compagnie aux meurtriers.

      Selon les souvenirs des enfants de Filatov, ce fut durant ce dechargement qu’Alexis se cacha sous un pont proche de la voie de chemin de fer, et progressa le long des rails, une fois le camion reparti, pour atteindre la gare de Chartach a l’aube.

      Cette coincidence entre le recit de Vassili Filatov et le texte d’Edvard Radzinski laissa longtemps les auteurs perplexes.

      La carte montre clairement qu’une distance d’au moins 15 kilometres separe le passage a niveau n° 184 et la gare de Chartach. Un adolescent malade et sans doute blesse aurait difflcilement pu parcourir un pared trajet en quelques heures au milieu de la nuit.

      Le probleme semblait insoluble, jusqu’a ce que Гоп soit en mesure de denicher un plan detaille de Iekaterinbourg durant ces annees-la. On s’aperipit alors qu’il у avait plusieurs ponts pres du passage a niveau n° 184 ou le camion aurait pu s’enliser dans la boue et necessiter tm dechargement.

      Depuis la maison d’lpatiev, deux itineraires menaient a la route de Koptiaki en passant par l’usine de la Haute Isetsk. Le premier enjambait le barrage a la retenue de la vide, un site garde ou un camion en mission secrete ne se serait pas engage. Mais quelques centaines de metres plus en aval de l’lset, reduit a un ruisseau juste apres le barrage, se trouve un petit pont, et a cote, l’embranchement de voie conduisant a l’usine de Regevski. Quatre kilometres environ separent cet endroit de la gare de Chartach. Alexis aurait pu couvrir cette distance en deux heures dans l’obscurite, sans que la patrouille puisse le trouver puisqu’elle n’alla pas dans cette direction.

      L’autre itineraire conduisait de la maison Ipatiev, par bailee de l’Ascension, vers la rue du Nord, puis a gauche apres un pont enjambant un autre ruisseau, au-dela de la nouvelle gare et de l’ancienne, vers l’usine de la Haute Isetsk, pour rejoindre ensuite la route de Koptiaki. Le vehicule aurait aussi pu s’enliser pres de ce pont. La encore, il se trouvait a proximite de la voie de chemin de fer qui menait a la gare de Chartach, cinq kilometres plus loin. Alexis aurait pu couvrir cette distance-la en deux heures egalement.

      En 1918, il n’y avait pas de troisieme route.

      Selon les souvenirs des enfants de Vassili Filatov, le matin du 17 juillet, les « ondes” Strekotine trouverent Alexis a la gare de Chartach et le conduisirent a Chadrinsk, a deux cent vingt-cinq kilometres de la. La route menant a Chadrinsk – le terminus de ce qui etait a l’epoque une voie sans issue de la ligne Iekaterinbourg-Sinarskaya-Chadrinsk – etait encore ouverte. Les troupes de choc de Voitsekhovski et Gai’da progressaient vers Iekaterinbourg depuis Tcheliabinsk dans le sud et la gare de Kouzino a l’ouest. Vers Test – dans la direction de Tioumen et Chadrinsk – la voie etait encore libre durant la semaine du 17 au 24 juillet. Alexis aurait pu atteindre Chadrinsk avec une escorte au cours de cette semaine-la.

      Comment les freres Strekotine pouvaient-ils le trouver a la gare? Rien de plus simple. Le matin, la patrouille que Iourovski avait envoyee de Koptiaki arriva au quartier general a Iekaterinbourg et rapporta la disparition de deux corps. Selon toute vraisemblance, per- sonne au sein de cette patrouille ne pouvait imaginer que l’un ou l’autre ait pu en rechapper. Mais les Strekotine, eux, savaient peut-etre qu’ils etaient vivants. Et dans la mesure ou la patrouille etait rentree bredouille, il leur etait facile d’en deduire que les deux victimes dis- parues avaient manifestement pris une direction opposee: celle de la gare de Chartach.

      Pourquoi les freres Strekotine deciderent-ils de se lancer a la recherche d’Alexis? Les circonstances entourant sa disparition du camion demandent a etre eclaircies. Et Vassili Filatov ne parlait que rarement, et a contrecoeur, de cette partie de l’histoire. Cependant, ses enfants, Oleg, Olga et Angelika Petrovna Temach, la femme d’Oleg, ont eux-memes reconstitue les faits relates par Vassili en septembre 1984.

      Sur le trajet menant au site d’ensevelissement, Alexis se reveilla a l’arriere du camion, sans doute a cause de la pluie, se glissa peniblement a terre, rampa vers un petit pont, puis s’achemina tant bien que mal jusqu’a Chartach en suivant la voie ferree. C’est la que les Strekotine le trouverent, avant de le conduire plus tard a Chadrinsk, оu il vecut dans la famille d’un cordonnier.

      Les Filatov, qui vivaient au 5 de la rue Nikolaevskaya (rebaptisee rue Lenine), a Chadrinsk, adopterent Alexis Romanov. Ksenofont Filatov allait bientot enterrer son propre fils, emporte par la grippe espagnole. Pour Alexis, commen^ait une nouvelle vie sous le nom du defunt, Vassili Filatov.

      SOUVENIRS DE LA FAMILLE DE VASSILI FILATOV

      Souvenirs personnels d’Oleg Vassilievitch Filatov

      Contraint de dissimuler ses