M. Ducray-Duminil

Victor, ou L'enfant de la forêt


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mon enfant; tu l'as nommé tout-à-l'heure ton frère adoptif, ton amant même; ces expressions m'ont frappé... Saurais-tu?... Tout, mon père; oui il m'avait tout dit. Il n'était pas mon frère, mais il m'aimait d'amour, du moins il me le disait; et moi, j'étais sensible, bien sensible à sa tendresse.—Quoi! sans mon aveu il avait osé te divulguer un secret?....—Eh! voilà la cause de sa fuite, mon père. Je vous dirai tout, oui, vous serez mon confident; mais c'est à mon ami que je parle.... Que l'auteur de mes jours oublie sa sévérité pour n'ouvrir son ame qu'à l'amitié, qu'à la confiance....—Ma sévérité, ma fille! Eh! ce mot, t'ai-je jamais donné sujet de t'en servir avec moi? Parle à ton ami, à ton père, c'est la même chose.—Eh bien! je vous le disais, Victor m'aimait; j'aimais Victor; mais Victor, tendre, soumis, respectueux envers un père vénérable qui l'avait accablé de bienfaits, a craint d'être accusé d'avoir séduit ma jeunesse; il a craint de violer les loix de l'hospitalité en nourrissant dans son cœur, dans.... le mien, une passion sans espoir, sans but légitime: ce sont-là ses expressions. Jamais, s'est-il dit, jamais M. le baron de Fritzierne ne donnera sa fille à un enfant trouvé, sans état, sans parens, sans fortune.... Il me l'avait caché, son amour; mais j'avais découvert le projet qu'il avait formé de nous fuir. C'était pour cela, c'était par délicatesse qu'il vous demandait la permission de voyager, dans l'espoir que l'absence changerait mon sort et mon cœur. Je le rencontre; je le presse de s'expliquer sur cette envie de voyager. Vous le dirai-je, mes caresses naïves, mes tendres expressions, dont je crois trouver la source dans la nature, mes instances, tout enfin lui arrache son secret. Il me confie qu'il n'est point mon frère, qu'il m'aime, qu'il m'adore; mais qu'après cet aveu, il ne peut plus rester avec nous, sans se rendre coupable envers vous.... J'engage son domestique à épier toutes ses démarches, à me rendre compte de toutes ses actions. Il aura gagné ce bon Valentin: tous deux sont partis; Victor nous échappe, il nous échappe, mon père, et vous savez, maintenant les causes de sa fuite, de son désespoir et du mien.

      M. de Fritzierne presse les mains de sa fille. Il me connaissait bien peu, s'écrie-t-il!—C'est ce que je lui ai dit, mon père.—Il m'estimait bien peu pour me croire capable de sacrifier le bonheur de ma fille, celui du jeune homme le plus estimable, à l'orgueil, à l'intérêt, à l'ambition, à toutes ces passions qui font le tourment des grands, et qui les font détester, pour la plupart, à juste titre. Jeune insensé! il ignorait que mon projet, à moi, était de l'unir à ma Clémence, de perpétuer à jamais en lui le titre de fils, que je lui avais accordé dès sa naissance. Oui, ma fille, c'était-là tout mon espoir, tout mon bonheur; et je n'avais nourri moi-même cette passion dans son cœur, dans le tien, que pour la couronner un jour par le plus doux hymen.—Ah! mon père, j'en étais bien sûre.... et il est parti.—Et il nous quitte, ma fille! Quel contre-temps! quel cruel événement! Jeunes gens, jeunes gens, pourquoi manquez-vous toujours de confiance? pourquoi ne venez-vous pas, là, bonnement, vous expliquer avec un père? vous craignez qu'il ne fasse pas votre bonheur: est-ce qu'un père peut ne pas vouloir le bonheur de ses enfans?....

      Le baron avait porté sur ses yeux ses deux mains, qui étaient baignées de ses larmes, lorsqu'un cri de Clémence le tira de sa rêverie. Ciel! mon père, une lettre!—Comment!—Oui, une lettre de Victor! oh! je reconnais bien son écriture.

      Le baron s'empare de la lettre avec empressement. Clémence ne respire point; elle s'approche de lui, ainsi que madame Wolf. Le baron lit le billet de Victor, qu'on a vu plus haut, le laisse tomber de saisissement, et se jette dans un fauteuil, en portant la main sur son cœur. Clémence, dans le plus grand trouble, ramasse le fatal billet, le relit trois ou quatre fois de suite en l'arrosant de ses larmes, puis elle s'écrie douloureusement: Eh bien! mon père, avais-je tort?....—Non, ma fille. Il est donc parti! c'en est donc fait! et tous mes projets, toutes mes espérances sont évanouis!.... Cruel Victor! pourquoi causes-tu tant de maux à une famille qui t'accueillait comme un fils, qui te préparait le bonheur et la paix?..... Il est parti!.... Ma fille, c'est ici qu'il faut montrer du courage, de la patience. Console-toi, ma fille; Victor nous écrira, quelque part qu'il soit; sois sûre qu'il nous écrira. Je réponds à sa première lettre qu'il revienne, qu'il revienne, que je lui donnerai ta main, qu'il sera ton époux. Doutes-tu, mon enfant, qu'il ne s'empresse à venir nous rejoindre? Tu le reverras, Clémence; oui, un heureux pressentiment me dit que tu le reverras... bientôt.—Ah! mon père! et s'il n'écrit pas?—Il est impossible qu'il manque à ce devoir. Ce n'est pas un tyran qu'il fuit; ce ne sont pas des persécuteurs qu'il évite. Il s'éloigne d'un séjour où sa délicatesse ne lui permettait plus de rester. Quelle ame! quels sentimens! combien ce jeune homme était digne de mon estime, de ta tendresse!—Vous le voyez, mon père; mon cœur ne s'était pas trompé sur le choix de celui qui seul pouvait le rendre sensible.—Non, non: vous étiez..... Vous êtes faits l'un pour l'autre.... Eh bien! encore des larmes, mon enfant? Allons, de la fermeté donc. Viens embrasser ton vieux père, et promets-lui d'attendre avec constance que les événemens te ramènent un homme que je chéris, que nous chérissons tous deux. Et vous aussi, madame Wolf, vous aussi, vous versez des pleurs! Victor fut votre libérateur: vous connaissez comme nous les vertus de ce bon jeune homme, et vous le regrettez comme nous... Mais, je vous le répète; l'espoir de le revoir ne m'abandonne pas. Madame Wolf, conduisez ma fille dans son appartement, et ne la quittez pas; je vous en supplie, ne la quittez pas.

      Madame Wolf tenait déjà la main de Clémence pour exécuter l'ordre de son père, lorsque Clémence demanda à pénétrer encore une fois dans le logement qu'habitait Victor. Je reverrai ces murs, témoins de ses regrets; ces murs, qu'il a tant de fois frappés de mon nom en parcourant sa chambre; je croirai l'y voir encore, et cette illusion adoucira mes maux....

      M. de Fritzierne s'oppose en vain à ce projet de sa fille: il lui remontre qu'elle va rouvrir ses blessures, accroître ses tourmens. Clémence persiste dans son dessein: elle prétend qu'il est possible que Victor ait déposé quelque part, chez lui, une lettre pour elle: elle s'obstine à visiter les lieux qu'il a vus, qu'il a parcourus. Son père cède enfin à ses vœux; il la prend par la main, et s'appuyant sur le bras de madame Wolf, tous trois s'acheminent vers le logement de Victor, qu'ils croient trouver désert, comme il s'est offert la veille aux regards de Clémence.

      Comme son cœur bat, à la pauvre Clémence!... comme elle se propose de visiter les plus petits coins de ce réduit jadis habité par l'amant le plus aimable!.... Avance, avance, tendre Clémence, l'amour te ménage une surprise, oh! bien agréable....

      Elle approche avec son père et son amie. La porte de Victor est entr'ouverte: elle la pousse. Quelle surprise! Est-ce un rêve? est-ce une illusion de ses sens égarés, qui croient voir par-tout l'objet qu'ils se peignent sans cesse?.... Est-ce bien là Victor? Oui, c'est lui, c'est ce jeune homme qu'on croit bien loin. Il dort profondément, étendu dans un fauteuil; Valentin est dans la même position, à quelques pas de lui. Tous deux n'ont point été réveillés par le bruit que leurs amis ont fait en entrant. Clémence va jeter un cri de joie; son père lui met la main sur la bouche. Son père, aussi ému qu'elle, examine ce tableau, ne peut en croire ses yeux. Tous trois s'avancent doucement jusqu'au fauteuil où repose Victor. Victor paraît agité par un songe; il balbutie quelques mots, prononce le nom de Clémence, celui de son père... Clémence, dit-il tout bas, Clémence, l'amour.... un jour.... nous nous reverrons.... Mon père.... homme respectable et cher... consolez-la; dites-lui.... Ah! dieux!

      Tels sont les mots entrecoupés qui frappent l'oreille de nos trois amis. Clémence n'y peut plus résister.... elle colle ses joues mouillées de larmes sur une des mains de Victor. Un doux pressentiment accroît l'agitation de ce dernier... Oui, dit-il; nous nous reverrons.... un jour..... dans les bras de ton père..... Clémence!....

      Il prononce ce nom avec force, et se réveille en sursaut.... Quel est le premier objet qui frappe sa vue? c'est son amante, qui lui dit, en lui serrant la main: Oui, oui, Victor, nous nous reverrons pour toujours!.... jamais, jamais nous ne nous séparerons.—Toi dans ces lieux, s'écrie Victor!.... Ciel! mon père!....

      Victor, se lève confus; le cri qu'il vient de faire a réveillé Valentin, qui se frotte les yeux, apperçoit la compagnie, et regarde tout le monde d'un air stupéfait. Victor se rappelle ses projets, sa fuite, sa lettre à Fritzierne; puis il s'adresse à son valet: Imbécille, lui dit-il, pourquoi m'as-tu