M. Ducray-Duminil

Victor, ou L'enfant de la forêt


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le demandes, répond Fritzierne!.... après avoir tenté de t'arracher de nos bras!—Vous savez donc....—Mais, Victor, réplique Clémence, me suis-je trompée? il me semble qu'hier soir j'ai reconnu ta voix, que tu m'as fait tes adieux.... Je suis venue te chercher ici, tu n'y étais pas.—Il est vrai. (Il se jette aux genoux de Fritzierne.) Mon père, punissez-moi, accablez-moi des noms d'ingrat, d'insensé, je les ai mérités.... Vous avez lu ma lettre?—Oui, mon fils, et tu vois la douleur qu'elle nous a causée.—Je vous fuyais, oui, je m'éloignais de ces lieux.... Mais si je vous en disais les motifs.... Non, jamais, que jamais un tel aveu ne sorte de ma bouche....—Je les connais, Victor, je sais tout.—Vous savez tout?—Oui, que tu aimes Clémence, qu'elle t'aime, et que tu ne t'éloignais que dans la crainte que je désapprouvasse ta passion.—Dieux! qui a pu vous instruire?—Ta jeune amante, elle-même.—Ah! mon père, que je suis coupable!—Coupable, mon Victor! toi coupable, pour t'être livré à l'ascendant irrésistible des sentimens de la nature! Ah! Victor; que tu me connais mal.... Vous me faites bien de la peine.... Je croyais que vous m'estimiez davantage.—Quoi! mon père, vous ne m'accablez pas du poids de votre colère? vous permettez à mon cœur....—D'épancher toute sa tendresse. Oui, mes enfans, je vous permets de vous aimer, d'espérer...—D'espérer!—Vois-tu, interrompt Clémence, vois-tu que je te l'avais bien dit, moi. Nous serons heureux, Victor; il ne faut jamais nous séparer.—Jamais, jamais. Et j'ai pu méconnaître ce cœur paternel!....

      Victor se jette sur les mains du baron, il les couvre de baisers. Clémence en fait autant sur le front de son père; et madame Wolf, attendrie, considère avec émotion ce tableau touchant.

      Quand les premiers momens d'effusion sont passés, Fritzierne demande à Victor quel est le motif qui l'a fait rentrer au château, puisque, selon toute apparence, il avait déjà fait quelques dans la campagne pour fuir à jamais ces lieux. Victor le prie de lui accorder un entretien particulier: je ne puis, lui dit-il, le confier qu'à vous seul, ce motif puissant; c'est vous, c'est vous, mon père, qu'il intéresse.

      Fritzierne reste étonné. Clémence se plaint d'être de trop pour un secret qui regarde son père. Victor la prie de s'en fier à sa prudence, à sa tendresse pour ce père respectable. Clémence n'insiste pas; elle se retire avec madame Wolf, en suppliant le baron de permettre qu'elle aille le rejoindre aussi-tôt qu'il aura fini de parler avec Victor. Le baron le lui promet, et bientôt il se trouve seul avec son fils adoptif, qu'il serre encore une fois dans ses bras.

      Mon père, lui dit Victor, avez-vous quelque ennemi particulier?—Moi, mon fils? pourquoi cette question?—Faites-moi la grace de me répondre.—Je crois n'avoir ni amis, ni ennemis; tu sais que je ne vois personne.—Pardon; seriez-vous engagé dans quelque affaire sérieuse et délicate?—Non.... je ne comprends pas....—Ce que je vais vous dire va justifier ma curiosité, qui vous paraît peut-être indiscrète.

      Victor raconte au baron ce qui lui est arrivé la veille, au moment où il finissait de chanter sa romance. Cet homme, ajoute-t-il, avait un aspect effrayant; il était armé jusqu'aux dents. Il m'aurait fait trembler si j'eusse été plus timide. Voici la lettre qu'il m'a remise, lettre qui renferme, disait-il, un secret dont dépendent vos jours.—Et c'est pour me la remettre toi-même que tu es remonté?—Votre vie était en danger, mon père, et j'aurais pu vous abandonner!—Bon jeune homme! c'est à ta tendresse pour moi que nous devons le plaisir de te revoir! Tu en seras, tu en es bien récompensé.—Ah! mon père, ma récompense était déjà dans le projet que j'avais formé de venir vous offrir mon bras, s'il le fallait, et des consolations.—Cher Victor!.... Mais voyons donc cette lettre mystérieuse, à laquelle je ne comprends rien.

      Fritzierne regarde la suscription; elle porte: Au baron de Fritzierne, en son château. La main lui en est absolument inconnue. Il l'ouvre enfin, et reste frappé d'étonnement en y trouvant la signature de Roger, de Roger! ce chef des voleurs qui infestent les forêts prochaines. Que peut-il y avoir, s'écrie-t-il, de commun entre ce scélérat et moi? Voyons.

      Baron,

      »Tu sais si j'ai les moyens de punir lorsqu'on n'obéit pas à mes ordres....

      L'insolent!

      »Je te proteste de respecter ton asyle, de ne point attaquer ton château, si tu veux m'accorder une seule faveur....

      Une seule faveur! Qu'attend-il? Voyons.

      »Une femme a été surprise dans la forêt, il y a quelques jours, par trois de mes hommes. Deux des plus courageux sont tombés sous les coups de deux de tes gens, qui sont venus secourir la femme et l'enfant qu'elle tenait dans ses bras. Le troisième s'est soustrait par la fuite à leur rage. C'est lui qui m'a appris cette sanglante affaire. Baron, tu l'as retirée chez toi, cette femme. Je la connais; elle est essentiellement nécessaire à mon repos. Il faut que tu me la livres dans les vingt-quatre heures, il le faut. Tu la feras accompagner jusqu'à mon premier poste, dans la forêt de Kingratz. Là, je te jure, foi de capitaine, qu'il ne sera fait aucun mal à son escorte. Penses y bien, baron; si, le terme expiré, cette femme n'est pas en mon pouvoir, tu me verras de près. Tremble!

      »Je te salue.

      »Roger, chef des indépendans».

      Qu'on juge de la surprise de Fritzierne et de Victor, à la lecture de ce terrible billet! Ils restent quelques momens absorbés, sans pouvoir prononcer une parole. On leur demande de livrer à des bandits la femme la plus estimable, madame Wolf!.... Nous verrons dans le chapitre suivant les réflexions qu'ils firent, et le parti auquel ils s'arrêtèrent.

       Table des matières

      INTRIGUE PLUS OBSCURE QUE JAMAIS.

      Fritzierne rompt enfin le silence. Que dis-tu, Victor, de cet excès d'audace?—Ne voyez-vous pas sur mon front le feu de l'indignation?—Cette pauvre madame Wolf! ne lui aurions-nous donné l'hospitalité que pour la livrer lâchement au plus vil des mortels!—Dieux! repoussons cette pensée!—Que faire, mon fils, que faire dans cette fâcheuse conjoncture? Roger est à la tête d'une troupe formidable; il est capable de faire le siége de mon château, de nous y égorger tous.—Il y pourrait trouver quelque obstacle.—Je le connais, c'est un scélérat, mais qui est doué d'un grand caractère. S'il s'est mis dans la tête d'avoir cette infortunée, rien ne lui coûtera pour venir à bout de ce projet.—Eh! mon père, vous avez du monde ici; vous me permettrez de me mettre à la tête de vos gens, et je vous réponds de repousser ce monstre et sa troupe, quelque nombreuse qu'elle soit.—Il connaît madame Wolf; elle le connaît aussi; elle porte même son portrait. Quel rapport peut avoir la vertu avec le crime? car à Dieu ne plaise que je soupçonne cette femme d'être coupable, de nous en avoir imposé par les dehors les plus séduisans! Elle est, dit-il, essentiellement nécessaire à son repos! Quel mystère! Et quelle obstination a-t-elle aussi de nous cacher ses malheurs? Cela détruirait en nous jusqu'à l'ombre de la défiance.... Allons, mon fils, il faut prendre un parti.—Il est tout pris, mon père, et je me flatte que vous l'approuverez. Vous avez donné un asyle à une femme infortunée, vous la garderez, vous la protégerez, vous la défendrez contre ses persécuteurs.—Bien, bien, mon ami; nous mourrons s'il le faut, mais nous aurons fait notre devoir....—Non, nous ne mourrons pas; nous repousserons la force par la force; et, comme notre cause est juste, nous aurons pour nous le ciel, et le courage que donne toujours le sentiment de la justice.—Je te reconnais, mon fils: voilà le langage de la probité, de la valeur.... Cependant, avant de répondre à Roger, il faut absolument que nous parlions à madame Wolf; il faut que cette femme nous donne au moins quelque idée des liaisons qu'elle a pu avoir avec un homme dont personne ne peut prononcer le nom sans horreur. Je ne suis pas tranquille sur ce point; et si elle persiste toujours à se taire, je t'avouerai que je lui ferai sentir que sa présence a troublé la tranquillité dont jouissait cette maison.—Vous la congédierez, mon père?—Je ne dis pas cela; mais je veux qu'elle ait plus de confiance en des gens dont elle expose le repos, et même la vie.