M. Ducray-Duminil

Victor, ou L'enfant de la forêt


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vous-même, car il ne faut mettre personne dans votre confidence. Voyez si vous voulez consentir à le rendre à sa mère, toutes les nuits seulement? ce n'est qu'à cette seule condition qu'on peut vous le confier. Prononcez oui à haute voix et sans crainte: on vous écoute, il suffira de votre parole».

      »Cette loi qu'on m'imposait me parut bien dure à observer; il fallait me résoudre à venir passer toutes les nuits dans cette grotte.... Tout autre que moi n'aurait pas souscrit à ce traité; mais j'avais vu l'enfant; il était si beau, si intéressant!.... Un regard que je jetai de nouveau sur lui acheva de me déterminer. J'y consens, m'écriai-je tout haut; mais ce manége durera-t-il long-temps? l'enfant est-il à moi, ou si je n'en ai que la garde pendant un temps prescrit?....

      »J'attendais qu'on me répondit: personne.... le silence le plus absolu.... Je pris le parti de reprendre le berceau, l'enfant, et de sortir de cette grotte pour revenir au château. Je laissais les deux flambeaux, que j'eus le soin d'éteindre pour ne donner aucun soupçon, et je pris sur moi les premières tablettes dans lesquelles on m'avait fait les premières propositions. Bientôt je perdis de vue la forêt de Kingratz; et je rentrai chez moi avant que le jour parût. Je fis éveiller sur-le-champ la nourrice de ma fille Clémence, et je lui confiais l'enfant, en lui disant, pour toute explication, que je l'avais trouvé. Cette bonne femme alaitait ma fille, qui n'avait que deux mois: l'enfant de la forêt pouvait avoir plus d'un an; mais il était si faible, si délicat, qu'il avait besoin encore long-temps de cette nourriture céleste dont la nature a rendu les femme dépositaires, et qui est qui le premier aliment de tous les hommes. Je me proposais de prendre une seconde nourrice pour l'orphelin; mais, dans le moment, celle que j'avais chez moi me fut d'un grand secours. Quand j'eus pris ces premiers soins, je me jetai sur mon lit, où je dormis avec un calme qui m'était étranger depuis bien long-temps, tant il est vrai qu'une bonne action rafraîchit le sang, et donne le repos aux cœurs les plus troublés par les malheurs ou par les passions».

      «À mon réveil, mon premier vœu fut pour qu'on m'apportât mon petit Victor. Je lui avais donné ce nom que portait autrefois un Français, mon ami, avec lequel j'avais été fort lié. J'aimais beaucoup les Français; je savais que la mère de l'enfant était française, et ce titre réveillait en moi des souvenirs agréables. L'enfant avait bien reposé; on en avait eu le plus grand soin; j'étais tranquille sur sa santé; mais, d'un autre côté, j'étais tourmenté par la promesse que j'avais faite de le porter toutes les nuits à sa mère; cette contrainte me gênait singulièrement, et il fallait tout l'intérêt que j'avais ressenti pour des malheurs que je supposais bien grands, pour avoir souscrit à une condition aussi dure. Je devais cependant tenir ma promesse; je me flattai d'ailleurs de tirer des explications de la mère pendant ces entrevues nocturnes. Elle viendra, me dis-je, elle alaitera son fils à mes côtés, je la verrai, je lui parlerai, je l'interrogerai; elle me confiera ses chagrins; et j'aurai le bonheur de lui offrir des consolations, que sait-on, un appui, des secours peut-être....

      »Cet espoir me fit désirer la fin de la journée, trop longue à mon impatience. La soirée arriva enfin: à mon heure accoutumée, je pris l'enfant dans mes bras et partis pour la forêt, toujours armé comme la veille. Combien de réflexions je fis en chemin sur cette aventure bizarre, extraordinaire, dans laquelle je me trouvais engagé sans en connaître le fond, sans en prévoir les suites!.... Comment se faisait-il en effet qu'une femme se trouvât régulièrement toutes les nuits dans une forêt infestée de brigands? L'habitait-elle, cette forêt? ou si elle ne l'habitait pas, pourquoi choisissait-elle un rendez-vous aussi dangereux, aussi effrayant pour un sexe timide? L'écriture des deux tablettes que j'avais vues, était celle d'une femme. Était-ce la mère de l'enfant avec qui je correspondais directement?.... Mais que faisait-elle donc dans cette forêt? y était-elle retenue par quelque lâche ravisseur? Pourquoi se priver de son enfant pendant le jour, et ne l'alaiter que la nuit? était-elle alors débarrassée de ses surveillans? Ceux qui la persécutaient, qui la forçaient à se priver de son fils, étaient-ils ses parens, son époux lui-même?.... Compte-t-elle que je lui porterai comme cela son fils toutes les nuits? n'en serai-je que le gardien? m'enlèvera-t-elle ensuite cette innocente créature au moment où j'y serai le plus attaché?.... Il faut qu'elle me satisfasse sur tous ces points, il le faut. Si elle n'est point digne de mon estime, si sa conduite est toujours aussi obscure, si je m'expose trop moi-même en lui donnant la satisfaction d'embrasser son fils, elle ignore mon nom, mon asyle; je garderai l'enfant, et je ne reviendrai plus à la forêt.... Mais quoi! soustraire un enfant à sa mère!.... Eh bien! est-ce faire son malheur, à ce petit? Eh! n'aura-t-il pas en moi le plus tendre des pères?

      »Je m'avance vers la grotte, plein, de ces idées, fermement décidé à pénétrer, dès cette nuit même, le secret de la mère de mon petit enfant; bien déterminé à lui rendre son fils, si elle s'obstine à se voiler toujours à mes regards, à me cacher ses malheurs.... Je m'approche, chargé de mon précieux fardeau...... La plus grande obscurité règne autour de moi.... Je fais quelques pas encore... Rien... Je vous avoue qu'ici, mes amis, une espèce de terreur vint se mêler au dépit de me voir trompé dans mon attente.... On me demandait l'enfant pour le nourrir pendant la nuit, il était tout naturel que je m'attendisse à voir paraître une femme qui, remplissant à mes yeux les devoirs entiers d'une mère, me convainquît qu'on n'avait pas voulu se jouer de ma complaisance. Fut-ce la mère de l'enfant, fut-ce une nourrice mercenaire, quelqu'un au moins devait se présenter.... Mais toujours rien!... personne!..... l'obscurité la plus profonde!....

      »Interdit, outré d'indignation, effrayé même, j'allais abandonner la grotte, sans toutefois me dessaisir de mon fils adoptif; j'allais reprendre le chemin de la forêt, quitter la voûte immense qui m'interceptait la sombre clarté du firmament étoilé, lorsque l'incident le plus étonnant glace tout-à-coup mes sens, et m'enfonce plus que jamais dans l'aventure bizarre que je courais depuis trois jours... Redoublez d'attention, mes amis, écoutez-moi bien.

      »Au milieu des ténèbres épaisses qui m'environnent, une main, une main invisible me saisit par le bras.... Cette main puissante cherche à m'entraîner; ou à m'arracher la faible créature qu'avec confiance je rapporte à sa mère.... Tremblant, non pour moi, mais pour l'enfant auquel déjà je m'intéresse comme un père, je tente de me dégager. Que me veut-on, m'écriai-je?—Imprudent, me répond-on! taisez-vous, et suivez-moi sans effroi.—Où me conduisez-vous, répliquai-je avec un ton de voix plus bas?—Où la nature et le malheur réclament votre générosité, votre sensibilité....—Mais pourquoi sans lumière?....—Craignez-vous?.... Rendez, rendez-moi l'enfant, et fuyez loin d'ici; trompez l'espoir d'une infortunée qui a cru à votre probité, à votre délicatesse, à votre fermeté.... Mais sachez qu'en abusant de sa confiance, vous faites son malheur; oui, homme faible et timide, vous causez à la mère des remords éternels, et à l'enfant, l'enfant que vous tenez, la mort.—La mort?—La mort!.... tel est l'arrêt de.... Dirai-je, ô ciel! l'arrêt de celle qui lui a donné l'être?—Quoi! sa mère?....—Lui a donné la vie; si vous abandonnez l'enfant, cette mère malheureuse se verra forcée de lui donner la mort.—Ô crime!.... Eh! vous ai-je dit, vous ai-je fait entendre seulement que j'étais capable d'abandonner cette innocente créature, qui dans ce moment me tend les bras? Oui, je sens ce petit garçon charmant, je le sens qui caresse mes joues inondées de larmes; il me sourit sans doute, et moi je l'arrose des pleurs de la compassion!.... Guide invisible et inhumain, homme, femme, qui que vous soyez, votre conduite étrange me fait bien du mal: vous connaissez mon cœur sensible, bon, et vous en abusez d'une manière bien cruelle!....

      »Pendant cette espèce de dialogue, je suivais l'inconnu ou l'inconnue, dont la main me pressait assez vigoureusement le bras gauche, et me forçait à céder, pour ne pas faire un éclat sans doute imprudent. Le son de sa voix paraissait appartenir à une femme; mais la force de son poignet m'annonçait un homme, et un homme fort; un autre indice encore me persuadait que mon guide était un homme, c'est qu'il marchait à pas de géant; ses pas étaient très-grands, et je ne pouvais le suivre qu'en pressant singulièrement ma marche. Quand nous eûmes cessé, moi de l'interroger, lui de me répondre, mille réflexions se présentèrent en foule à mon esprit. Il me tenait toujours, et moi je me laissais conduire comme un agneau; quelque chose même me disait intérieurement