Dénis Diderot

Les bijoux indiscrets


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M. de Paulmy dit: «Les Bijoux indiscrets, tirés d'un ancien fabliau intitulé les C. qui parlent[4]. Il s'est ici fort étendu et forme un roman très-libre, mais agréable. On l'attribue à Diderot. La première édition est de 1748. C'est ici la seconde, ornée de figures moins médiocres. L'ouvrage a été traduit en anglais.»

      La vignette du titre représente un lit carré, dont un Amour voltigeant ferme les rideaux, en tirant la langue et en faisant de la main gauche le geste que les enfants appellent montrer les cornes.

      Il y a, en outre, quatre gravures dans le premier volume et deux dans le second, aux chapitres: Évocation du génie (IV), les Gredins (XXVI), la Petite Jument (XXXI), le Rêve de Mangogul (XXXII), Événements singuliers (LI), Zuleïman et Zaïde (LII).

      Deux contrefaçons, toutes deux du même nombre de pages, mais avec des différences typographiques dans le texte, ont cette même suite de gravures retournées et assez mal exécutées, quoique dans l'une d'elles les premières planches aient des parties d'une grande finesse. Elles se distinguent par la vignette du titre qui, dans l'une, consiste en un cadre dans lequel est représentée une femme à demi nue recevant la visite d'un pacha vêtu seulement d'un turban extravagant. Le cadre est surmonté d'un bois de cerf dans lequel est passé un anneau. Sur une guirlande, on lit: Sunt similia tuis. L'autre porte seulement cette même devise en trois lignes sur une plaque encadrée de satyres engaînés et surmontée d'une tête de cerf.

      Cazin a donné une édition in-18 avec les figures réduites. Lombard, de Langres, dans ses Souvenirs, cite ces coquets petits volumes comme étant de ceux que les colporteurs juifs faisaient passer le plus facilement et le plus volontiers dans les colléges. Ceci explique suffisamment l'interdiction prononcée contre les réimpressions, et la condamnation insérée au Moniteur du 7 août 1835 contre une édition (1833) du même genre et ayant sans doute même destination.

      Voici l'opinion de Clément sur le livre, quand il parut:

      On voit que Clément prenait la chose comme il fallait la prendre. Palissot, plus sévère, ne voulut pas rire, et quand Voltaire le pria, ainsi que l'avait déjà fait le comte de B***, après la première édition de la Dunciade, de rayer dans les suivantes ses injures à Diderot, il répondit au patriarche avec indignation:

      «A l'égard de M. Diderot, il est très-vrai que je ne l'ai jamais vu, mais je l'ai lu, par malheur pour l'un de nous deux; et d'ailleurs, il est un de ceux dont j'ai eu le plus à me plaindre. J'en ai bien du regret, puisque vous paraissez l'aimer. Par la même raison, je suis plus fâché encore qu'il ait fait l'article Encyclopédie, le Fils naturel, le Père de famille, et surtout qu'on lui attribue les Bijoux indiscrets

      La Harpe commence son article sur Diderot, dans la Philosophie du XVIIIe siècle, par une violente attaque contre ce livre. Parmi les reproches qu'il lui adresse, il insiste particulièrement sur ce point que, Mangogul étant évidemment Louis XV et Mirzoza Mme de Pompadour, en ne disant pas d'injures à ces deux personnages, l'auteur n'avait fait qu'une œuvre «de la plus basse adulation.» La Harpe avait à ce moment—c'était après la Révolution—la mauvaise habitude de ne pas lire ce dont il parlait, et le défaut de ne pas se rappeler ce qu'il avait lu. Pour donner une idée exacte de sa méthode, nous n'en voulons citer qu'un exemple, mais il est topique:

      «L'auteur, dit-il, si complaisant pour les Sultans, ne l'était pas autant, à beaucoup près, pour ses confrères les romanciers, car ces confrères étaient des rivaux, et des rivaux alors beaucoup plus connus que lui. Aussi ne les ménage-t-il pas. Il fait ordonner au sultan de Congo, pour somnifère, la lecture de la Marianne, de Marivaux, des Confessions, de Duclos, et des Égarements, de Crébillon fils. C'étaient précisément les trois romans nouveaux qui avaient eu dans le temps le plus de succès. Les trois romans que nous a laissés Diderot n'approchent pas du moindre de ceux-là: jugez de son équité et de sa modestie.»

      Jugez de l'équité de La Harpe en ouvrant les Bijoux et en lisant à l'endroit indiqué par lui, chapitre XLVI, non pas somnifère, mais anti-somnifère, ce qui est quelque peu différent.

      Les Bijoux sont un livre à clef. Cette clef n'a point été donnée par M. G. Brunet dans les deux volumes sous ce titre qu'il a tirés des papiers de Quérard. Nous indiquerons en note les découvertes que nous croirons avoir faites dans cette direction. Mais nous devons, dès à présent, dire que, quoiqu'il soit admis, malgré l'irrégularité de la filiation dans le roman, qu'Erguebzed est Louis XIV; et Mangogul, Louis XV; Mirzoza, Mme de Pompadour; Sélim, le maréchal de Richelieu; le Congo, la France; Banza, Paris; Circino, Newton; Olibri, Descartes; la Manimonbanda, la reine Marie Leczinska, les rapprochements qu'on peut tenter ont si peu de consistance, se trouvent tellement contredits par d'autres passages, qu'il est difficile de croire que Diderot ait eu l'intention de faire autre chose qu'une peinture volontairement vague et indécise. Louis XIV, qui est d'abord Erguebzed, devient plus loin Kanoglou; la majeure partie des noms qu'on reconnaît sont de la fin du règne de ce roi. On aurait donc tort de chercher un libelle où il n'y a qu'une improvisation qui n'a pas dû même être relue par l'auteur.