Dénis Diderot

Les bijoux indiscrets


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Me voilà bien vieille.»

      Mangogul sourit de ce calcul.

      «Mais si je ne vaux plus rien pour le plaisir, ajouta Mirzoza, je veux vous faire voir du moins que je suis très-bonne pour le conseil. La variété des amusements qui vous suivent n'a pu vous garantir du dégoût. Vous êtes dégoûté. Voilà, prince, votre maladie.

      —Je ne conviens pas que vous ayez rencontré, dit Mangogul; mais en cas que cela fût, y sauriez-vous quelque remède?»

      Mirzoza répondit au sultan, après avoir rêvé un moment, que Sa Hautesse lui avait paru prendre tant de plaisir au récit qu'elle lui faisait des aventures galantes de la ville, qu'elle regrettait de n'en plus avoir à lui raconter, ou de n'être pas mieux instruite de celles de sa cour; qu'elle aurait essayé cet expédient, en attendant qu'elle imaginât mieux.

      «Je le crois bon, dit Mangogul; mais qui sait les histoires de toutes ces folles? et quand on les saurait, qui me les réciterait comme vous?

      —Sachons-les toujours, reprit Mirzoza. Qui que ce soit qui vous les raconte, je suis sûre que Votre Hautesse gagnera plus par le fond qu'elle ne perdra par la forme.

      —J'imaginerai avec vous, si vous voulez, les aventures des femmes de ma cour, fort plaisantes, dit Mangogul; mais le fussent-elles cent fois davantage, qu'importe, s'il est impossible de les apprendre?

      —Il pourrait y avoir de la difficulté, répondit Mirzoza: mais je pense que c'est tout. Le génie Cucufa, votre parent et votre ami, a fait des choses plus fortes. Que ne le consultez-vous?

      —Ah! joie de mon cœur, s'écria le sultan, vous êtes admirable! Je ne doute point que le génie n'emploie tout son pouvoir en ma faveur. Je vais de ce pas m'enfermer dans mon cabinet, et l'évoquer.»

      Alors Mangogul se leva, baisa la favorite sur l'œil gauche, selon la coutume du Congo, et partit.

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      «Que la bénédiction de Brama soit céans, dit-il en s'abattant.

      —Amen, répondit le prince.

      —Que voulez-vous, mon fils?

      —Une chose fort simple, dit Mangogul; me procurer quelques plaisirs aux dépens des femmes de ma cour.

      —Eh! mon fils, répliqua Cucufa, vous avez à vous seul plus d'appétit que tout un couvent de bramines. Que prétendez-vous faire de ce troupeau de folles?

      —Savoir d'elles les aventures qu'elles ont et qu'elles ont eues; et puis c'est tout.

      —Mais cela est impossible, dit le génie; vouloir que des femmes confessent leurs aventures, cela n'a jamais été et ne sera jamais.

      —Il faut pourtant que cela soit,» ajouta le sultan.

      A ces mots, le génie se grattant l'oreille et peignant par distraction sa longue barbe avec ses doigts, se mit à rêver: sa méditation fut courte.

      «Mon fils, dit-il à Mangogul, je vous aime; vous serez satisfait.»

      «Vous voyez bien cet anneau, dit-il au sultan; mettez-le à votre doigt, mon fils. Toutes les femmes sur lesquelles vous en tournerez le chaton, raconteront leurs intrigues à voix haute, claire et intelligible: mais n'allez pas croire au moins que c'est par la bouche qu'elles parleront.

      —Et par où donc, ventre-saint-gris! s'écria Mangogul, parleront-elles donc?

      —Par la partie la plus franche qui soit en elles, et la mieux instruite des choses que vous désirez savoir, dit Cucufa; par leurs bijoux.

      —Par leurs bijoux, reprit le sultan, en s'éclatant de rire: en voilà bien d'une autre. Des bijoux parlants! cela est d'une extravagance inouïe.

      —Mon fils, dit le génie, j'ai bien fait d'autres prodiges en faveur de votre grand-père; comptez donc sur ma parole. Allez, et que Brama vous bénisse. Faites un bon usage de votre secret, et songez qu'il est des curiosités mal placées.»

      Cela dit, le cafard hochant de la tête, se raffubla de son capuchon, reprit ses chats-huants par les pattes, et disparut dans les airs.

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      A peine Mangogul fut-il en possession de l'anneau mystérieux de Cucufa, qu'il fut tenté d'en faire le premier essai sur la favorite. J'ai oublié de dire qu'outre la vertu de faire parler les bijoux des femmes sur lesquelles on en tournait le chaton, il avait encore celle de rendre invisible la personne qui le portait au petit doigt. Ainsi Mangogul pouvait se transporter en un clin d'œil en cent endroits où il n'était point attendu, et voir de ses yeux bien des choses qui se passent ordinairement sans témoin; il n'avait qu'à mettre sa bague, et dire: «Je veux être là;» à l'instant il y était. Le voilà donc chez Mirzoza.

      Mirzoza qui n'attendait plus le sultan, s'était fait mettre au lit. Mangogul s'approcha doucement de son oreiller, et s'aperçut à la lueur d'une bougie de nuit, qu'elle était assoupie. «Bon, dit-il, elle dort: changeons vite l'anneau de doigt, reprenons notre forme, tournons le chaton sur cette belle dormeuse, et réveillons un peu son bijou... Mais qu'est-ce qui m'arrête?... je tremble... se pourrait-il