Pamela Fagan Hutchins

Absolution Providentielle


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brise côtière ferait l’affaire pour le moment. Nous passâmes devant une marina. L’odeur du diesel et des charognes de poissons envahit l’habitacle pendant un moment, et j’expirais par le nez. Je repoussais une mèche de cheveux que le vent poussait devant mes lèvres et je pris une gorgée de la bouteille d’eau du bureau de Walker. Cette bouteille que j’avais frottée avec une lingette désinfectante trouvée dans le fond de mon sac à main après être montée dans la voiture.

      Après dix minutes de route, Ava désigna une cabane sur la plage.

      - Gare-toi là, ordonna-t-elle.

      La cabane était en fait un petit restaurant de plats à emporter, avec un bar et quelques tabourets de plage. Elle ne portait pas de nom que je puisse voir. Ava enleva ses/mes chaussures et sortit de la voiture, et je fis de même. Nous marchâmes dans le sable jusqu’à la cabane sans nom où un couple de chiens nous accueillit.

      - Des ramasseurs de noix de coco, expliqua Ava. Elle leur donna l’ordre de rentrer d’une voix plus grave que celle que je lui connaissais, et les chiens obéirent en remuant la queue.

      Ava héla le propriétaire comme s’il était un vieil ami et lui a passa notre commande. Il tendit la main vers moi et j’y déposais un billet de 20. Il cligna des yeux et tendit son autre paume. Je sortis un deuxième billet de 20. Il hocha la tête, et je plaçais l’autre billet dans sa main. Il jeta l’argent sous le comptoir dans un panier et se retourna vers ses friteuses, rentrant ses joues dans l’espace creux où auraient dû se trouver ses molaires. Pas de monnaie. Le paradis n’était pas bon marché.

      Ava grimpa sur l’un des tabourets du bar et a fit face à la mer. Je l’imitais. Quel décor pour un déjeuner. Je pourrais m’y habituer. Je posai mes pieds sur la barre du tabouret et mes coudes sur mes genoux, le visage dans mes paumes.

      - Le déjeuner est toujours aussi cher sur cette île ? Demandais-je.

      - Ben ouais. Si tu n’es pas d’ici.

      J’étais indignée.

      - Donc il t’aurait fait payer moins que ce qu’il m’a fait payer ?

      Elle renifla.

      - Lui ? Non, c’est un voleur. Mais en général, il y a une remise locale.

      Oh d’accord. Je n’étais pas surprise. Je fis rouler ma tête, appréciant quelques craquements de cou. L’océan m’appelait.

      - Ça te dérange si je me trempe les orteils pendant qu’on attend ? Demandais-je à Ava.

      - Non, vas-y. Je reste ici et je t’appelle quand la bouffe est prête.

      Le sable était chaud, presque brûlant. Mes pieds s’enfonçaient le talon en premier, ralentissant ma marche. Plus je me rapprochais de l’eau plus le sable devenait ferme et froid. Je n’hésitais pas. J’entrai dans l’eau, d’abord jusqu’aux chevilles, puis jusqu’aux genoux. Je remontai ma robe blanche de quelques centimètres. L’eau affluait contre mes genoux, puis la vague monta jusqu’à mes cuisses. Quand elle reflua devant mes jambes, je sentis la douce brise commencer à sécher ma peau. Je pouvais voir mes orteils sur le sable blanc à travers l’eau claire, et je les remuai. Une autre vague arriva, me soulevant presque. Un banc de petits poissons argentés tournait autour de moi, à quelques centimètres seulement de la surface.

      - Katie, appela Ava. C’est prêt !

      J’aurais pu rester là pendant des heures. Mais je revins vers la plage, m’éclaboussant à chaque foulée. J’imaginais ma mère, je me demandai si elle avait fait la même chose, si elle l’avait fait ici, sur cette plage. Si le vieil homme qui m’observait depuis la hutte l’avait vue, il devait penser que je lui étais familière. Depuis mon adolescence, les gens disaient qu’on pouvait passer pour des jumelles. Maman roulait les yeux et répondait : « De 100 mètres pour un septuagénaire myope. » Elle avait tort, cependant. Elle était morte bien trop jeune.

      Je rejoignis Ava et nous embarquâmes nos sandwichs et nos accras au poisson emballés dans du papier gras dans la voiture. L’accras est un genre de pain frit, l’équivalent caribéen des beignets ou des sopapillas pour les Mexicains. Juste ce dont ma cellulite avait besoin. Sauf qu’en réalité, c’était à cause du manque d’exercice au cours des cinq dernières années, après avoir arrêté le karaté, et bien trop de calories. Ava tenait aussi les goulots de deux bouteilles de Red Stripes glacées entre ses doigts.

      - C’est encore loin ? Demandais-je.

      - Dix minutes, répondit-elle.

      Après avoir conduit un autre kilomètre le long de la côte, nous tournâmes tout droit vers l’intérieur des terres en remontant. Je détestais quitter la sérénité du rivage. Les huit dernières minutes de notre trajet se déroulèrent sur des chemins de terre parsemés d’ornières qui disparaissaient dans des buissons denses à chaque virage.

      - Ce n’est pas un endroit à explorer tout seul, dit Ava en désignant l’une des routes secondaires. Trop isolé.

      - C’est magnifique ici, pourtant, rétorquais-je.

      En fait, j’étais choquée de voir à quel point l’endroit était grandiose. Différent du rivage, évidemment, mais différent dans le bon sens, un sens qui était parfait. Les arbres étaient plus grands et se rencontraient au-dessus de la route, créant une arche au-dessus de nous et atténuant le bruit du ressac contre le sable et les rochers à seulement un kilomètre de là. Je vis un éclat de plumes dans un des arbres.

      - C’est un ara ?

      - Ben ouais. Ils vivent ici.

      Je ne savais pas si je pourrais un jour être aussi blasée qu’Ava de cette flore et de cette faune. Je m’imprégnais de la scène : des orchidées plus belles que des fleurs de serre, des lianes flamboyantes fuchsia, rose et orange se dressant fièrement, me rappelant les mimosas de chez moi.

      - Tourne ici, dit Ava, et je virais à droite, dans la direction générale de l’eau, mais à des centaines de mètres au-dessus.

      Nous roulâmes trois cents mètres de plus, puis nous sortîmes des arbres. Le changement de notre environnement fut soudain, nous arrachant à la tranquillité de la forêt. Mon humeur se dégrada de même. De qui je me moquais ? Mes émotions étaient à vif, et mon humeur montait et descendait les octaves plus vite que Sarah Brightman dans le Fantôme de l’Opéra.

      - Tu peux te garer où tu veux, indiqua-t-elle.

      J’arrêtai la voiture pour me garer, puis coupai le moteur et retint ma respiration.

      Me trouver à l’endroit où mes parents étaient décédés, c’était comme entrer dans les églises ornées de la Vallée de la Nativité au Texas. Nous y étions allés en famille lors d’un court voyage en voiture à La Grange quand j’étais au collège. Dans ces vieilles églises en bois, je savais que j’étais en présence de quelque chose de saint et de puissant, et que sous leurs toits, les problèmes de la vie et les bénédictions étaient liés, tout comme ici, là où la forêt tropicale se mêlait aux falaises. Où la vie rencontrait la mort.

      Ava avait sauté de la voiture, à nouveau pieds nus et se dirigeait vers un chemin escarpé. Je trainai derrière elle. Je voulais tout absorber. Je voulais sentir mes parents à nouveau, et je voulais qu’ils sachent que j’étais venue sur ces lieux, qu’ils avaient compté pour moi. Que si je n’accomplissais rien d’autre au cours de ce voyage, je pourrai au moins leur dire au revoir.

      - Je vous aime, maman et papa, chuchotais-je.

      Ava avait franchi la colline et en trois pas, elle disparut. J’accélérais le pas. Je haletais en arrivant sur la crête et je dû faire un pas en arrière à cause d’un vertige. Le sol descendait sur trente mètres, puis disparaissait tout simplement. Au-delà, il n’y avait que le ciel, qui se confondait avec la mer des Caraïbes à l’horizon.

      - Ils n’ont pas été les premiers à tomber de cette falaise, dit Ava