rands salons vêtus de soie[7] ancienne et aux petits salons coquets, parfumés, faits pour la causerie de cinq heures avec les amis les plus intimes.
Quand elle s’asseyait, pour dîner, devant la table ronde couverte d’une nappe de trois jours, en face de[8] son mari elle songeait aux dîners fins, aux argenteries reluisantes; elle songeait aux plats exquis servis en des vaisselles merveilleuses, aux galanteries chuchotées et écoutées avec un sourire de sphinx.
Elle n’avait pas de toilettes, pas de bijoux, rien. Et elle n’aimait que cela[9]; elle se sentait faite pour cela.
Elle avait une amie riche, une camarade de couvent qu’elle ne voulait plus aller voir, tant elle souffrait en revenant[10]. Et elle pleurait pendant des jours entiers de chagrin, de regret, de désespoir et de détresse.
Or, un soir, son mari rentra, l’air glorieux, et tenant à la main une large enveloppe[11].
– Tiens, dit-il, voici quelque chose pour toi.
Elle déchira vivement le papier et en tira une carte imprimée qui portait ces mots:
– Le ministre de l’Instruction publique et Mme Georges Ramponneau prient M. et Mme Loisel de leur faire l’honneur de[12] venir passer la soirée à l’hôtel[13] du ministère, le lundi 18 janvier.
Au lieu d’être ravie[14], comme l’espérait son mari, elle jeta avec dépit l’invitation sur la table, murmurant:
– Que veux-tu que je fasse de cela?
– Mais, ma chérie, je pensais que tu serais contente. Tu ne sors jamais, et c’est une occasion, cela, une belle! J’ai eu une peine infinie à l’obtenir. Tout le monde en veut; c’est très recherché et on n’en donne pas beaucoup aux employés. Tu verras là tout le monde officiel.
Elle le regardait d’un œil irrité, et elle déclara avec impatience:
– Que veux-tu que je me mette sur le dos pour aller là?
Il n’y avait pas songé; il balbutia:
– Mais la robe avec laquelle tu vas au théâtre. Elle me semble très bien, à moi…
Il se tut[15], stupéfait, éperdu, en voyant que sa femme pleurait. Il bégaya:
– Qu’as-tu? qu’as-tu?
Mais, par un effort violent, elle avait dompté sa peine et elle répondit d’une voix calme en essuyant ses joues humides:
– Rien. Seulement je n’ai pas de toilette et par conséquent[16] je ne peux aller à cette fête.
Il était désolé. Il reprit:
– Voyons, Mathilde. Combien cela coûterait-il, une toilette convenable, qui pourrait te servir encore en d’autres occasions, quelque chose de très simple?
Elle répondit en hésitant:
– Je ne sais pas au juste[17], mais il me semble qu’avec quatre cents francs je pourrais arriver.
Il avait un peu pâli, mais il dit:
– Soit. Je te donne quatre cents francs. Mais tâche d’avoir une belle robe.
Le jour de la fête approchait, et Mme Loisel semblait triste. Sa toilette était prête cependant. Son mari lui dit un soir:
– Qu’as-tu? Voyons, tu es toute drôle depuis trois jours.
Et elle répondit:
– Cela m’ennuie de n’avoir pas un bijou, pas une pierre, rien à mettre sur moi.
Il reprit:
– Tu mettras des fleurs naturelles. C’est très chic en cette saison-ci.
Elle n’était point convaincue.
– Non… il n’y a rien de plus humiliant que d’avoir l’air pauvre au milieu de[18] femmes riches.
Mais son mari s’écria:
– Que tu es bête! Va trouver ton amie Mme Forestier et demande-lui de te prêter des bijoux.
Le lendemain, elle se rendit chez son amie et lui conta sa détresse. Mme Forestier alla vers son armoire à glace, prit un large coffret, l’apporta, l’ouvrit, et dit à Mme Loisel:
– Choisis, ma chère.
Elle essayait les parures devant la glace, hésitait, ne pouvait se décider à les quitter, à les rendre. Elle demandait toujours:
– Tu n’as plus rien d’autre?
– Mais si. Cherche. Je ne sais pas ce qui peut te plaire.
Tout à coup elle découvrit, dans une boîte de satin noir, une superbe rivière de diamants[19]; et son cœur se mit à battre[20] d’un désir immodéré. Elle l’attacha autour de sa gorge et demeura en extase devant elle-même.
Puis, elle demanda, hésitante, pleine d’angoisse[21]:
– Peux-tu me prêter cela, rien que cela?
– Mais oui, certainement.
Le jour de la fête arriva. Mme Loisel eut un succès. Elle était plus jolie que toutes, élégante, gracieuse, souriante et folle de joie[22]. Tous les hommes la regardaient. Le ministre la remarqua.
Elle dansait avec ivresse, ne pensant plus à rien, dans le triomphe de sa beauté.
Elle partit vers quatre heures du matin. Son mari, depuis minuit, dormait dans un petit salon désert avec trois autres messieurs dont les femmes s’amusaient beaucoup.
Lorsqu’ils furent[23] dans la rue, ils ne trouvèrent pas de voiture. Ils descendaient vers la Seine, désespérés, grelottants. Enfin ils trouvèrent sur le quai un de ces vieux coupés noctambules qu’on ne voit dans Paris que la nuit venue[24].
Il les ramena jusqu’à leur porte, rue des Martyrs, et ils remontèrent tristement chez eux. C’était fini, pour elle.
Elle ôta les vêtements dont elle s’était enveloppé les épaules, devant la glace, afin de[25] se voir encore une fois dans sa gloire. Mais soudain elle poussa un cri[26]. Elle n’avait plus sa rivière autour du cou!
Son mari demanda:
– Qu’est-ce que tu as?
Elle se tourna vers lui:
– J’ai… j’ai… je n’ai plus la rivière de Mme Forestier.
– Quoi!.. comment!.. Ce n’est pas possible! Tu es sûre[27] que tu l’avais encore en quittant le bal?
– Oui, je l’ai touchée dans le vestibule du ministère.
– Elle doit être dans le fiacre.
– Oui. C’est probable. As-tu pris le numéro?
– Non. Et toi, tu ne l’as pas regardé?
– Non.
– Je vais, dit-il, refaire tout le trajet que nous avons fait à pied, pour voir si je ne la retrouverai pas.
Et le mari sortit. Il rentra vers sept heures et il n’avait rien trouvé.
Il se rendit à la Préfecture de police[28], aux journaux, pour