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la hauteur à une ligne près. Harbert portait un fil à plomb que lui avait remis Cyrus Smith, c'est-à-dire une simple pierre fixée au bout d'une fibre flexible.

      Arrivé à une vingtaine de pieds de la lisière de la grève, et à cinq cents pieds environ de la muraille de granit, qui se dressait perpendiculairement, Cyrus Smith enfonça la perche de deux pieds dans le sable, et, en la calant avec soin, il parvint, au moyen du fil à plomb, à la dresser perpendiculairement au plan de l'horizon.

      Cela fait, il se recula de la distance nécessaire pour que, étant couché sur le sable, le rayon visuel, parti de son œil, effleurât à la fois et l'extrémité de la perche et la crête de la muraille[27]. Puis il marqua soigneusement ce point avec un piquet.

      Alors, s'adressant à Harbert:

      «Tu connais les premiers principes de la géométrie? lui demanda-t-il.

      – Un peu, monsieur Cyrus, répondit Harbert, qui ne voulait pas trop s'avancer.

      – Tu te rappelles bien quelles sont les propriétés de deux triangles semblables?

      – Oui, répondit Harbert. Leurs côtés homologues sont proportionnels.

      – Eh bien, mon enfant, je viens de construire deux triangles semblables, tous deux rectangles.

      – Ah! monsieur Cyrus, j'ai compris! s'écria Harbert. De même que la distance du piquet à la perche est proportionnelle à la distance du piquet à la base de la muraille, de même la hauteur de la perche est proportionnelle à la hauteur de cette muraille.

      – C'est cela même, Harbert, répondit l'ingénieur, et quand nous aurons mesuré les deux premières distances, connaissant la hauteur de la perche, nous n'aurons plus qu'un calcul de proportion à faire, ce qui nous donnera la hauteur de la muraille et nous évitera la peine de la mesurer directement.»

      Cyrus Smith en conclut donc que l'île Lincoln était située sur le trente-septième degré de latitude australe, ou en tenant compte, vu l'imperfection de ses opérations, d'un écart de cinq degrés, qu'elle devait être située entre le trente-cinquième et le quarantième parallèle.

      Restait à obtenir la longitude, pour compléter les coordonnées de l'île. C'est ce que l'ingénieur tenterait de déterminer le jour même, à midi, c'est-à-dire au moment où le soleil passerait au méridien.

      Cependant le soleil s'avançait lentement; l'ombre de la baguette diminuait peu à peu, et quand il parut à Cyrus Smith qu'elle recommençait à grandir:

      «Quelle heure? dit-il.

      – Cinq heures et une minute, répondit aussitôt Gédéon Spilett.»

      Donc, puisque Washington est par 77°3′11”, autant dire soixante-dix-sept degrés comptés du méridien de Greenwich, – que les Américains prennent pour point de départ des longitudes, concurremment avec les Anglais, – il s'ensuivait que l'île était située par soixante-dix-sept degrés plus soixante-quinze degrés à l'ouest du méridien de Greenwich, c'est-à-dire par le cent cinquante-deuxième degré de longitude ouest.

      Cyrus Smith annonça ce résultat à ses compagnons, et tenant compte des erreurs d'observation, ainsi qu'il l'avait fait pour la latitude, il crut pouvoir affirmer que le gisement de l'île Lincoln était entre le trente-cinquième et le trente-septième parallèle, et entre le cent cinquantième et le cent cinquante-cinquième méridien à l'ouest du méridien de Greenwich.

      L'écart possible qu'il attribuait aux erreurs d'observation était, on le voit, de cinq degrés dans les deux sens, ce qui, à soixante milles par degré, pouvait donner une erreur de trois cents milles en latitude ou en longitude pour le relèvement exact.

      Mais cette erreur ne devait pas influer sur le parti qu'il conviendrait de prendre. Il était bien évident que l'île Lincoln était à une telle distance de toute terre ou archipel, qu'on ne pourrait se hasarder à franchir cette distance sur un simple et fragile canot.

      Chapitre 15

      Le lendemain matin, aux premières lueurs du jour, les premiers rayons du soleil caressèrent le rivage des Cheminées. La mer scintillait, doucement bercée par une brise matinale, tandis que les oiseaux marins s'éveillaient avec des cris joyeux. Au cœur de ce tableau marin, les colons se réveillèrent, prêts à embrasser une nouvelle journée d'aventures et de défis sur l'île Lincoln.

      Dès les premiers mouvements, l'activité s'organisa autour de Cyrus Smith, l'ingénieur de génie dont la détermination guidait chaque action du groupe. Pencroff, le marin au cœur vaillant, adressa ses premières paroles à Gédéon Spilett, le reporter, curieux de connaître les plans de la journée. Avec une sagesse tranquille, Spilett répondit simplement: «Ce que Cyrus décidera.»

      Ainsi, sous la direction de Cyrus Smith, les compagnons se préparaient à un nouveau défi, prêts à abandonner leurs activités de briquetiers et de potiers pour se transformer en métallurgistes. La veille, ils avaient exploré jusqu'à la pointe du cap Mandibule, où le paysage avait cédé la place à une formation volcanique intrigante. C'était là qu'ils avaient décidé de résoudre définitivement la question de leur avenir sur l'île Lincoln.

      Les discussions s'étaient enflammées autour de la possibilité de quitter l'île pour rejoindre l'archipel des Pomotou, distant de douze cents milles. Cependant, la réalisation d'un tel voyage semblait impraticable, surtout à l'approche de la mauvaise saison. Pencroff, avec son pragmatisme habituel, avait souligné les défis logistiques et les dangers potentiels d'une telle entreprise. Ainsi, il fut convenu à l'unanimité que l'hiver serait passé sur l'île Lincoln, et que la recherche d'un abri plus confortable que les Cheminées serait la priorité.

      Cyrus Smith, avec son esprit visionnaire, avait identifié des gisements de minerai de fer dans la partie nord-ouest de l'île. Cette découverte marquait le début d'une nouvelle ère pour les colons, qui entreprirent de devenir métallurgistes. Le sol de l'île renfermait des trésors cachés, prêts à être transformés en outils et en matériaux précieux.

      Ainsi, la première étape de cette transformation commença par la chasse aux phoques. Ces animaux marins fourniraient la peau nécessaire à la fabrication des soufflets de forge, essentiels pour le traitement du minerai de fer[28]. Armés de courage et de détermination, les colons se lancèrent dans cette expédition avec une énergie renouvelée.

      Pendant ce temps, Cyrus Smith, Harbert, Gédéon Spilett, Nab et Pencroff se retrouvèrent sur la grève, prêts à affronter les défis qui les attendaient. Avec la marée basse, ils traversèrent le canal pour explorer l'îlot où le minerai de fer les attendait.

      Les jours qui suivirent furent remplis d'activités frénétiques et de découvertes passionnantes. Les colons travaillaient sans relâche, transformant le minerai brut en barres de fer utilisables. Le processus de réduction du minerai en fer pur nécessitait une attention minutieuse et un travail acharné, mais les colons étaient déterminés à réussir.

      Après bien des efforts, bien des fatigues, le 25 avril, plusieurs barres de fer étaient forgées, et se transformaient en outils, pinces, tenailles, pics, pioches, etc., que Pencroff et Nab déclaraient être de vrais bijoux.

      Enfin, le 5 mai, la première période métallurgique était achevée, les forgerons rentraient aux Cheminées, et de nouveaux travaux allaient les autoriser bientôt à prendre une qualification nouvelle.

      Chapitre 16

      Le 6 mai marquait un tournant sur l'île Lincoln, correspondant au 6 novembre dans l'hémisphère nord. Bien que le ciel se soit progressivement obscurci ces derniers jours, la température restait relativement clémente, oscillant autour de dix à douze degrés Celsius au-dessus de zéro. Néanmoins, avec l'approche imminente de la saison des pluies, Cyrus Smith et ses compagnons comprenaient l'importance cruciale de se préparer pour l'hiver sur cette