Arthur Rimbaud

Poésies


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      Arthur Rimbaud

      POÉSIES

      LE DORMEUR DU VAL

      C’est un trou de verdure où chante une rivière

      Accrochant follement aux herbes des haillons

      D’argent; où le soleil, de la montagne fière,

      Luit: c’est un petit val qui mousse de rayons.

      Un soldat jeune, bouche ouverte, tête nue,

      Et la nuque baignant dans le frais cresson bleu,

      Dort; il est étendu dans l’herbe, sous la nue,

      Pâle dans son lit vert où la lumière pleut.

      Les pieds dans les glaïeuls, il dort. Souriant comme

      Sourirait un enfant malade, il fait un somme:

      Nature, berce-le chaudement: il a froid.

      Les parfums ne font pas frissonner sa narine;

      Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine

      Tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit.

      Octobre 1870

      LE BATEAU IVRE

      Comme je descendais des Fleuves impassibles,

      Je ne me sentis plus guidé par les haleurs:

      Des Peaux-Rouges criards les avaient pris pour cibles

      Les ayant cloués nus aux poteaux de couleurs.

      J’étais insoucieux de tous les équipages,

      Porteur de blés flamands ou de cotons anglais.

      Quand avec mes haleurs ont fini ces tapages

      Les Fleuves m’ont laissé descendre où je voulais.

      Dans les clapotements furieux des marées,

      Moi, l’autre hiver plus sourd que les cerveaux d’enfants,

      Je courus! Et les Péninsules démarrées

      N’ont pas subi tohu-bohus plus triomphants.

      La tempête a béni mes éveils maritimes.

      Plus léger qu’un bouchon j’ai dansé sur les flots

      Qu’on appelle rouleurs éternels de victimes,

      Dix nuits, sans regretter l’œil niais des falots!

      Plus douce qu’aux enfants la chair des pommes sures,

      L’eau verte pénétra ma coque de sapin

      Et des taches de vins bleus et des vomissures

      Me lava, dispersant gouvernail et grappin.

      Et dès lors, je me suis baigné dans le Poème

      De la Mer, infusé d’astres, et lactescent,

      Dévorant les azurs verts; où, flottaison blême

      Et ravie, un noyé pensif parfois descend;

      Où, teignant tout à coup les bleuités, délires

      Et rythmes lents sous les rutilements du jour

      Plus fortes que l’alcool, plus vastes que nos lyres,

      Fermentent les rousseurs amères de l’amour!

      Je sais les cieux crevant en éclairs, et les trombes

      Et les ressacs et les courants: je sais le soir,

      L’Aube exaltée ainsi qu’un peuple de colombes,

      Et j’ai vu quelquefois ce que l’homme a cru voir!

      J’ai vu le soleil bas, taché d’horreurs mystiques,

      Illuminant de longs figements violets,

      Pareils à des acteurs de drames très-antiques

      Les flots roulant au loin leurs frissons de volets!

      J’ai rêvé la nuit verte aux neiges éblouies,

      Baiser montant aux yeux des mers avec lenteurs,

      La circulation des sèves inouïes

      Et l’éveil jaune et bleu des phosphores chanteurs!

      J’ai suivi, des mois pleins, pareille aux vacheries

      Hystériques, la houle à l’assaut des récifs,

      Sans songer que les pieds lumineux des Maries

      Pussent forcer le mufle aux Océans poussifs!

      J’ai heurté, savez-vous, d’incroyables Florides

      Mêlant aux fleurs des yeux de panthères à peaux

      D’hommes! Des arcs-en-ciel tendus comme des brides

      Sous l’horizon des mers, à de glauques troupeaux!

      J’ai vu fermenter les marais énormes, nasses

      Où pourrit dans les joncs tout un Léviathan!

      Des écroulements d’eaux au milieu des bonaces,

      Et les lointains vers les gouffres cataractant!

      Glaciers, soleils d’argent, flots nacreux, cieux de braises!

      Échouages hideux au fond des golfes bruns

      Où les serpents géants dévorés des punaises

      Choient, des arbres tordus, avec de noirs parfums!

      J’aurais voulu montrer aux enfants ces dorades

      Du flot bleu, ces poissons d’or, ces poissons chantants.

      – Des écumes de fleurs ont bercé mes dérades

      Et d’ineffables vents m’ont ailé par instants.

      Parfois, martyr lassé des pôles et des zones,

      La mer dont le sanglot faisait mon roulis doux

      Montait vers moi ses fleurs d’ombre aux ventouses jaunes

      Et je restais, ainsi qu’une femme à genoux…

      Presque île, ballottant sur mes bords les querelles

      Et les fientes d’oiseaux clabaudeurs aux yeux blonds.

      Et je voguais, lorsqu’à travers mes liens frêles

      Des noyés descendaient dormir à reculons!

      Or moi, bateau perdu sous les cheveux des anses,

      Jeté par l’ouragan dans l’éther sans oiseau,

      Moi dont les Monitors et les voiliers des Hanses

      N’auraient pas repêché la carcasse ivre d’eau;

      Libre, fumant, monté de brumes violettes,

      Moi qui trouais le ciel rougeoyant comme un mur

      Qui porte, confiture exquise aux bons poètes,

      Des lichens de soleil et des morves d’azur;

      Qui courais, taché de lunules électriques,

      Planche folle, escorté des hippocampes noirs,

      Quand les juillets faisaient crouler à coups de triques

      Les cieux ultramarins aux ardents entonnoirs;

      Moi qui tremblais, sentant geindre à cinquante lieues

      Le rut des Béhémots et les Maelstroms épais,

      Fileur éternel des immobilités bleues,

      Je regrette l’Europe aux anciens parapets!

      J’ai vu des archipels sidéraux! et des îles

      Dont les cieux délirants sont ouverts au vogueur:

      – Est-ce en ces nuits sans fond que tu dors et t’exiles,

      Million