Gustave Aimard

Les trappeur de l'Arkansas


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étouffé ; depuis près d’un mois que nous sommes en voyage, je commence à m’habituer à ce genre de vie, que je l’avoue, dans les commencements, je trouvais excessivement pénible.

      Le général poussa un soupir, mais ne répondit pas. Le docteur était absorbé par le soin avec lequel il classait les plantes et les pierres qu’il avait recueillies dans la journée.

      La métisse tournait comme un oiseau dans la tente occupée à mettre en ordre les divers objets dont sa maîtresse pourrait avoir besoin.

      Nous profiterons de cet instant de répit pour faire en deux mots le portrait de la jeune femme.

      Doña Luz de Bermudez était la fille d’une sœur cadette du général.

      C’était une charmante enfant de seize ans au plus. Ses grands yeux noirs couronnés de sourcils dont la teinte foncée tranchait avec la blancheur de son front pur, étaient voilés par de longs cils de velours qui en cachaient chastement l’éclat, sa bouche mignonne ornée de dents de perles était bordée de deux lèvres rouges comme du corail, sa peau fine avait conservé ce duvet des fruits mûrs et les tresses de ses cheveux aux reflets bleuâtres pouvaient, lorsqu’elles étaient défaites, former un voile à tout son corps.

      Sa taille était fine et cambrée, elle possédait au suprême degré ce mouvement onduleux, gracieusement serpentin qui distingue les Américaines, ses mains et ses pieds étaient d’une petitesse extrême, sa démarche avait cette nonchalante mollesse des créoles, si remplie de désinvolture.

      Enfin, toute la personne de cette jeune fille était un composé de grâces et de perfections.

      Ignorante comme toutes ses compatriotes, elle était gaie et rieuse, s’amusant de la moindre bagatelle et ne connaissant de la vie que ce qu’elle a d’agréable.

      Mais cette belle statue ne vivait pas, c’était Pandore avant que Prométhée eût dérobé pour elle le feu du ciel, et pour continuer notre comparaison mythologique, l’amour ne l’avait pas encore effleurée de son aile, ses sourcils ne s’étaient pas froncés sous la pression de la pensée et son cœur n’avait pas battu sous l’attrait du désir.

      Élevée par les soins du général dans une retraite presque claustrale, elle ne l’avait quittée que pour le suivre dans le voyage qu’il avait entrepris dans les prairies.

      Dans quel but ce voyage, et pourquoi son oncle avait-il si absolument désiré l’emmener avec lui ? Cela importait peu à la jeune fille.

      Heureuse de vivre au grand air, de voir sans cesse des pays nouveaux, d’être libre en comparaison de la vie qu’elle avait menée jusque-là, elle n’en avait pas demandé davantage, et n’avait jamais tenté d’adresser à son oncle d’indiscrètes questions.

      À l’époque où nous la rencontrons, doña Luz était donc une heureuse enfant, vivant au jour le jour, satisfaite du présent, ne songeant nullement à l’avenir.

      Le capitaine Aguilar entra, précédant Jupiter qui portait le dîner.

      La table avait été dressée par Phébé la camériste.

      Le repas se composait de conserves et d’un cuissot de daim rôti.

      Quatre personnes prirent place autour de la table.

      Le général, sa nièce, le capitaine et le docteur.

      Jupiter et Phébé servaient.

      La conversation fut assez languissante pendant le premier service, lorsque l’appétit des convives fut un peu calmé, la jeune fille qui se plaisait à lutiner le docteur lui adressa la parole.

      – Avez-vous fait une riche moisson aujourd’hui, docteur ? lui demanda-t-elle.

      – Pas trop bonne, señorita, répondit-il.

      – Eh ! mais, fit-elle en souriant, il me semble que les pierres sont assez abondantes sur notre route, et qu’il n’a tenu qu’à vous d’en ramasser la charge d’une mule.

      – Vous devez être heureux de votre voyage, il vous offre l’occasion de vous livrer en liberté à votre passion pour les plantes de toutes sortes, dit le général.

      – Pas trop, général, je vous l’avoue, la prairie n’est pas aussi riche que je l’aurais cru, et, si ce n’était l’espoir que j’ai de découvrir une plante dont les qualités puissent faire faire un pas à la science, je regretterais presque ma petite maison de Guadeloupe où ma vie s’écoulait si tranquille et si uniforme.

      – Bah ! interrompit le capitaine, nous ne sommes encore que sur les frontières des prairies, vous verrez quand nous nous serons enfoncés davantage dans l’intérieur, vous ne pourrez pas suffire à recueillir les richesses qui se rencontreront sous vos pas.

      – Dieu vous entende, capitaine, fit le savant avec un soupir, pourvu que je retrouve la plante que je cherche, je me tiendrai pour satisfait.

      – C’est donc une plante bien précieuse ? demanda doña Luz.

      – Comment, señorita, s’écria le gros docteur en s’échauffant, une plante que Linné a décrite et classée, mais que personne n’a jamais retrouvée depuis, une plante qui peut faire ma réputation, vous me demandez si elle est précieuse ?

      – À quoi sert-elle donc ? dit la jeune fille avec curiosité.

      – À quoi elle sert ?

      – Oui.

      – À rien ! répondit naïvement le savant.

      Doña Luz partit d’un éclat de rire argentin dont les notes perlées auraient rendu un rossignol jaloux.

      – Et vous l’appelez une plante précieuse ?

      – Oui, par sa rareté même.

      – Ah !… très bien.

      – Espérons que vous la trouverez, docteur, dit le général d’un ton conciliant, Jupiter, appelez le chef des guides.

      Le Nègre sortit et rentra presque aussitôt suivi par un gambusino.

      Celui-ci était un homme d’une quarantaine d’années, d’une taille haute, carrée et musculeuse ; sa physionomie, sans être laide, avait quelque chose de repoussant dont on ne pouvait se rendre compte, ses yeux fauves et louches, enfoncés sous l’orbite jetaient une lueur sauvage, son front bas, ses cheveux crépus et son teint cuivré complétaient un ensemble qui n’avait rien de fort agréable. Il portait le costume des coureurs des bois, était froid, impassible, d’une nature essentiellement silencieuse et répondait au nom de Babillard, que sans doute les Indiens, ou ses compagnons eux-mêmes lui avaient donné par antiphrase.

      – Tenez, mon brave, lui dit le général, en lui tenant un verre plein jusqu’au bord d’une espèce d’eau-de-vie appelée mescal, du nom de l’endroit où on la fabrique, buvez ceci.

      Le chasseur s’inclina, vida d’un trait le verre qui contenait près d’un litre de liqueur, puis, passant le bout de sa manche sur sa moustache, il attendit.

      – Je compte, dit le général, m’arrêter quelques jours dans une position sûre, afin de me livrer sans craindre d’être inquiété, à certaines recherches, serions-nous en sûreté ici ?

      L’œil du guide étincela, il fixa un regard brûlant sur le général.

      – Non, répondit-il laconiquement.

      – Pourquoi ?

      – Trop d’Indiens et de bêtes fauves.

      – En connaissez-vous un plus convenable ?

      – Oui.

      – Loin ?

      – Non.

      – À quelle distance ?

      – Quarante milles.

      – Combien nous faudra-t-il de jours pour y arriver ?

      – Trois.

      – C’est bien, vous nous y conduirez,