Gustave Aimard

Les trappeur de l'Arkansas


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y en a tant, fit l’autre, qu’une de plus ne signifie pas grand-chose.

      – C’est vrai ! répondit Belhumeur convaincu, mais où allons-nous maintenant ?

      – Chercher nos trappes, caramba ! croyez-vous que je veuille les perdre ?

      – Au fait, c’est une idée cela.

      Les chasseurs s’avançaient effectivement dans la direction du camp, mais à la mode indienne, c’est-à-dire en faisant des détours sans nombre, destinés à dépister les Comanches.

      Après vingt minutes de marche, ils arrivèrent au camp. Les Indiens n’avaient pas encore reparu, mais selon toutes probabilités, ils ne devaient pas tarder à revenir. Tous leurs bagages étaient épars çà et là. Deux ou trois chevaux qui n’avaient pas eu la velléité de fuir, paissaient tranquillement leurs pois grimpants.

      Sans perdre de temps les chasseurs s’occupèrent, ce qui fut bientôt fait, à rassembler leurs trappes, ils se chargèrent chacun de cinq et sans plus tarder ils reprirent le chemin de la caverne où ils avaient abrité leurs chevaux.

      Malgré le poids assez lourd qu’ils portaient sur leurs épaules, les deux hommes marchaient légèrement enchantés d’avoir si bien terminé leur expédition, et surtout riant du bon tour qu’ils avaient joué aux Indiens.

      Ils cheminaient ainsi depuis assez longtemps ; déjà ils entendaient à peu de distance le murmure sourd des eaux de la rivière, lorsque tout à coup le hennissement d’un cheval frappa leurs oreilles.

      – On nous poursuit, dit Cœur-Loyal en s’arrêtant.

      – Hum ! fit Belhumeur, c’est peut-être un cheval sauvage.

      – Non, le cheval sauvage ne hennit pas de cette façon, ce sont les Comanches, du reste, ajouta-t-il, nous allons le savoir.

      Alors s’étendant à terre, il colla son oreille sur le sol et écouta.

      Il se releva presque aussitôt.

      – J’en étais certain, dit-il, ce sont les Comanches, mais ils ne suivent pas une piste franche, ils hésitent.

      – Ou peut-être leur marche est-elle retardée par la blessure de la Tête-d’Aigle.

      – C’est possible ! oh ! oh ! se croient-ils donc capables de nous atteindre, si nous voulons leur échapper ?

      – Ah ! si nous n’étions pas chargés, ce serait bientôt fait.

      Le Cœur-Loyal réfléchit un instant.

      – Venez, dit-il, nous avons une demi-heure devant nous, c’est plus qu’il en faut.

      Un ruisseau coulait à une légère distance, le chasseur entra dans son lit avec son compagnon qui suivait tous ses mouvements.

      Arrivés au milieu du courant, le Cœur-Loyal enveloppa avec soin les trappes dans une peau de buffle afin que l’humidité ne pût les atteindre puis il les laissa glisser au fond de l’eau.

      Cette précaution prise, les chasseurs traversèrent le ruisseau et firent une fausse piste d’à peu près deux cents pas, revenant ensuite avec précaution afin de ne pas laisser d’empreinte qui dénonçât leur retour, ils rentrèrent dans la forêt après avoir d’un geste renvoyé leurs chiens auprès des chevaux.

      Les intelligents animaux prirent leur course et disparurent bientôt dans l’obscurité.

      Cette résolution de se séparer des chiens leur était utile en aidant à dépister les Indiens, qui ne manqueraient pas de suivre les traces fugitives laissées par les limiers dans les hautes herbes.

      Une fois dans la forêt, les chasseurs remontèrent sur un arbre et commencèrent à s’avancer entre ciel et terre ; manière de voyager beaucoup plus usitée qu’on ne le croit en Europe, dans ces pays où il est souvent impossible à cause de l’enchevêtrement des lianes et des arbres d’avancer sans se servir de la hache pour se frayer un passage.

      L’on peut ainsi, en passant de branche en branche, faire des lieues entières sans toucher le sol.

      C’était justement, quoique pour une autre cause, ce qu’exécutaient en ce moment les chasseurs.

      Ils s’avançaient de cette façon au-devant de leurs ennemis, dont les pas se rapprochaient de plus en plus et que bientôt ils aperçurent au-dessous d’eux, marchant en file indienne, c’est-à-dire l’un derrière l’autre, et suivant attentivement leur piste.

      La Tête-d’Aigle venait le premier, à demi couché sur son cheval à cause de sa blessure, mais plus animé que jamais à la poursuite de ses ennemis.

      Lorsqu’ils croisèrent les Comanches, les deux trappeurs se blottirent dans les feuilles, en retenant leur souffle. La circonstance la plus futile suffisait pour dénoncer leur présence.

      Les Indiens passèrent sans les voir. Les chasseurs reprirent leur marche.

      – Ouf ! dit Belhumeur au bout d’un instant, je crois que nous en voilà quittes cette fois.

      – Ne nous hâtons pas de chanter victoire, mais éloignons-nous aussi rapidement que nous pourrons, ces démons de Peaux-Rouges sont fins, ils ne seront pas longtemps dupes de notre stratagème.

      – Sacrebleu ! s’écria tout à coup Belhumeur, j’ai laissé tomber mon couteau, je ne sais où, si ces démons le trouvent, nous sommes perdus.

      – C’est probable, murmura le Cœur-Loyal, raison de plus pour ne pas perdre une minute.

      Cependant, la forêt qui jusqu’alors avait été calme, commença subitement à gronder sourdement, les oiseaux volaient en poussant des cris de frayeur, et dans les fourrés on entendait craquer les branches sèches sous les pas pressés des bêtes fauves.

      – Que se passe-t-il donc ? fit le Cœur-Loyal, en s’arrêtant et en regardant autour de lui avec inquiétude, la forêt semble saisie de vertige.

      Les deux chasseurs s’élancèrent jusqu’au sommet de l’arbre sur lequel ils se trouvaient et qui par hasard était un des plus élevés de la forêt.

      Une lueur immense colorait l’horizon à une lieue tout au plus de l’endroit où ils étaient, cette lueur grandissait de minute en minute et s’avançait vers eux à pas de géant.

      – Malédiction, s’écria Belhumeur, les Comanches ont mis le feu à la prairie.

      – Oui, et je crois que cette fois, comme vous le disiez tout à l’heure, nous sommes perdus, répondit froidement le Cœur-Loyal.

      – Que faire ? demanda le Canadien, dans un instant nous serons cernés.

      Le Cœur-Loyal réfléchissait profondément.

      Au bout de quelques secondes, il releva la tête, un sourire de triomphe relevait les coins de ses lèvres.

      – Ils ne nous tiennent pas encore, dit-il, suivez-moi, frère !… et il ajouta à voix basse : je veux revoir ma mère !…

      VI. Le sauveur

      Pour bien faire comprendre au lecteur la position dans laquelle se trouvaient les chasseurs, il est nécessaire de revenir au chef comanche.

      À peine ses ennemis avaient-ils disparu parmi les arbres que la Tête-d’Aigle se releva doucement, pencha le corps en avant et prêta l’oreille afin de s’assurer qu’ils s’éloignaient réellement. Dès qu’il eut acquis cette certitude, il déchira un morceau de son blankett – couverture – avec lequel il enveloppa tant bien que mal son bras blessé et, malgré sa faiblesse occasionnée par le sang qu’il avait perdu, et les vives douleurs qu’il éprouvait, il se mit résolument sur les traces des chasseurs.

      Il les accompagna ainsi sans être vu, jusqu’aux limites du camp. Là, caché derrière un ébénier, il fut témoin sans pouvoir s’y opposer, mais en bouillant de colère, de la recherche faite par les chasseurs pour retrouver leurs trappes, et enfin de leur départ après les avoir recouvrées.

      Bien