à rétrograder. On le poursuivit long-temps; ses équipages furent pris; il fut même réduit à errer avec vingt-cinq cavaliers.
Le général Menou fit rentrer au Caire, à la fin de thermidor, la soixante-quinzième demi-brigade, que Kléber avait placée dans le Delta, pour y former un corps de réserve avec la vingt-cinquième et le vingt-unième régiment de dragons. Les ponts volans établis par Kléber à Rahmaniëh et à Semenhoud, pour faciliter les passages du Nil et les communications de l'armée depuis la côte jusqu'aux frontières de Syrie furent retirés.
Bientôt après, l'inondation couvrit les terres; l'armée ne pouvant être attaquée avant la retraite des eaux, aucune raison n'exigeait alors des mouvemens de troupes; cependant le général Menou ordonna à la division du général Friant d'aller relever à Alexandrie, Rosette et Rahmaniëh, celle du général Lanusse; qu'il voulait appeler au Caire. Des considérations très fortes auraient dû empêcher un pareil changement: Lanusse commandait depuis long-temps à Alexandrie, il connaissait très bien la défense de cette côte, et avait l'habitude des relations avec les habitans de la ville et ceux du Bahirëh; la peste régnant presque toujours à Alexandrie, il était à craindre que ce déplacement ne la portât au Caire; enfin ce mouvement ne pouvait s'opérer pendant l'inondation, qu'avec des barques, et c'était employer inutilement tous les moyens de transports, à la seule époque favorable pour approvisionner Alexandrie, etc. Mais le général Menou se souvenait que Kléber, fatigué de la prétention qu'il avait eue de commander Alexandrie et le Bahirëh sans sortir de Rosette, l'avait remplacé par Lanusse: il voulait aussi travailler l'esprit de ses troupes, et contraindre par des dégoûts cet officier qu'il n'aimait pas à demander son passe-port pour la France.
Trois tribus arabes des environs de Ghazah, les Tarabins, Teha et Anager, s'étaient réfugiées dans le désert, après une courte guerre contre les Osmanlis, qui avaient assassiné par trahison leurs principaux cheiks. Jamais les Arabes ne pardonnent cet attentat, dont les exemples sont si fréquens chez les Turcs. Ces tribus envoyèrent demander au général Reynier la permission de s'établir en Égypte, sous la protection des Français. Elles alléguaient en leur faveur que la cause de ces persécutions était leur alliance avec eux pendant la campagne de Syrie: c'était en effet le prétexte des Osmanlis; mais leur véritable motif était que Mahammed-Aboumarak, maître d'hôtel du grand-visir, qu'il venait de faire pacha de Ghazah, avait des haines de famille à satisfaire contre ces tribus, et qu'il profita de son élévation pour se venger.
Le général Reynier jugea que ces Arabes pouvaient être utiles; que, placés dans le désert entre la Syrie et l'Égypte, ils donneraient avis des mouvemens des Osmanlis. Il espéra qu'en éveillant leur intérêt, on les porterait à intercepter la contrebande de grains qui se faisait chaque jour sur cette étendue immense de désert; que, de plus, si l'on devait faire une nouvelle campagne en Syrie, ces Arabes pourraient servir. Il proposa au général Menou de leur accorder une partie de l'Occadi-Tomlat, et le désert qui le sépare de Catiëh et de Souez. Ces Arabes annonçaient être au nombre de sept mille, femmes, enfans et vieillards compris. Ils disaient avoir cinq cents cavaliers et huit cents hommes montés à dromadaire, ainsi que beaucoup de bestiaux; mais comme ils vinrent successivement et se dispersèrent dans le désert, on ne put pas juger exactement de leur nombre. Leurs principaux cheiks ayant été tués, il ne se trouvait plus parmi eux d'hommes influens dont on pût utiliser l'intelligence, et le général Menou les ayant reçus mesquinement, on n'en tira pas un grand parti.
CHAPITRE V.
INTRIGUES. – ORIGINE DES DIVISIONS
Les mois de thermidor et de fructidor offrent peu d'événemens remarquables; les intrigues étaient encore obscures: on s'étonnait cependant des atteintes portées à la mémoire de Kléber. Ces coups étaient dirigés dans l'ombre, à la vérité, mais ceux qui les frappaient étaient accueillis: on s'apercevait déjà que c'était le meilleur moyen d'obtenir des grâces.
Le général Menou, dont la haine pour Kléber rejaillissait sur le général Damas, voyant que, malgré toutes ces tracasseries, ce général ne songeait pas à quitter sa place de chef d'état-major, et se jugeant assez fort (c'était en fructidor), lui ordonna de cesser ses fonctions. Sa lettre n'alléguait aucun motif. Ce général, étonné, lui répondit qu'il ne voyait pas ce qui pouvait donner lieu à une telle mesure, et qu'il convenait d'attendre les ordres du gouvernement, à moins qu'il n'existât des motifs suffisans pour le traduire devant un conseil de guerre: il ne reçut pas de réponse; le général Menou refusa même de lui parler.
Les généraux de division Reynier et Friant, peinés de cette discussion, qui tendait à diviser l'armée, allèrent chez le général Menou afin de l'engager à surmonter ses haines personnelles, d'autant moins fondées que le général Damas avait cherché à lui rendre service auprès de Kléber. Il s'excusa en disant qu'il croyait s'être aperçu qu'il y avait entre eux incompatibilité d'humeur, qu'il ne pouvait travailler avec lui; protesta, sur sa parole d'honneur, qu'aucune animosité particulière n'influençait sa conduite, et termina par offrir sa démission. Cette menace empêcha le général Reynier d'insister; déjà, par délicatesse, il ne lui avait pas représenté que, commandant l'armée par intérim, il ne devait pas se permettre un pareil changement, excepté dans les cas de la plus urgente nécessité, avant de connaître les intentions du gouvernement. Il se borna à lui demander d'avoir une explication avec le général Damas, pour se concilier avec lui, si cela était encore possible, ou lui donner un emploi convenable. Ce général, pour ne laisser aucun prétexte à des troubles dans l'armée, en occupant la place de chef de l'état-major malgré celui qui la commandait, accepta le commandement des provinces de Benesouef et de Fayoum. L'ordre du jour du 21 fructidor annonça sa retraite, et des éloges y furent donnés à sa conduite. Le général Menou fut plusieurs jours avant de lui désigner un successeur; ensuite il choisit le général Lagrange; mais en paraissant lui accorder toute sa confiance, il se réserva également tout le travail, même le plus minutieux; aussi les affaires languirent comme auparavant.
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