dogmes de notre catholicisme? Et cependant cette mythologie est si belle, si consolante, si sublime, que l'erreur est presque préférable à la vérité. Je pressens que si j'avais dans mon cœur une étincelle de foi, il deviendrait bientôt un foyer. Ne sois pas surpris de ce que je te dis là. Je crois à la Divinité, à l'immortalité de l'âme, aux récompenses de la vertu et au châtiment du vice. Dès lors, quelle immense différence entre l'homme religieux et l'incrédule! mon état est insupportable. Mon cœur brûle d'amour et de reconnaissance pour mon Dieu, et j'ignore le moyen de lui payer le tribut d'hommages que je lui dois. Il n'occupe que vaguement ma pensée, tandis que l'homme religieux a devant lui une carrière tracée à parcourir. Il prie. Toutes les cérémonies du culte le tiennent sans cesse occupé de son Créateur. Et puis ce sublime rapprochement de Dieu et de l'homme, cette rédemption, qu'il doit être doux d'y croire! quelle invention, Calmètes, si c'en est une!
Outre ces avantages, il en est un autre qui n'est pas moindre: l'incrédule est dans la nécessité de se faire une morale, puis de la suivre. Quelle perfection dans l'entendement, quelle force dans la volonté lui sont indispensables! et qui lui répond qu'il ne devra pas changer demain son système d'aujourd'hui? L'homme religieux au contraire a sa route tracée. Il se nourrit d'une morale toujours divine.
..... Pour moi, je crois que je vais me fixer irrévocablement à la religion. Je suis las de recherches qui n'aboutissent et ne peuvent aboutir à rien. Là, je suis sûr de la paix, et je ne serai pas tourmenté de craintes, même quand je me tromperais. D'ailleurs, c'est une religion si belle, que je conçois qu'on la puisse aimer au point d'en recevoir le bonheur dès cette vie.
Si je parviens à me déterminer, je reprendrai mes anciens goûts. La littérature, l'anglais, l'italien, m'occuperont comme autrefois; mon esprit s'était engourdi sur les livres de controverse, de théologie et de philosophie. J'ai déjà relu quelques tragédies d'Alfieri…
Je veux te dire un mot de ma santé. Je change de genre de vie, j'ai abandonné mes livres, ma philosophie, ma dévotion, ma mélancolie, mon spleen enfin, et je m'en trouve bien. Je vais dans le monde, cela me distrait singulièrement. Je sens le besoin d'argent, ce qui me donne envie d'en gagner, ce qui me donne du goût pour le travail, ce qui me fait passer la journée assez agréablement au comptoir, ce qui, en dernière analyse, est extrêmement favorable à mon humeur et à ma santé. Cependant je regrette parfois ces jouissances sentimentales auxquelles on ne peut rien comparer; cet amour de la pauvreté, ce goût pour la vie retirée et paisible, et je crois qu'en me livrant un peu au plaisir, je n'ai voulu qu'attendre le moment de l'abandonner. Porter la solitude dans la société est un contre-sens, et je suis bien aise de m'en être aperçu à temps…
J'étais absent, mon cher ami, quand ta lettre est parvenue à Bayonne, ce qui retarde un peu ma réponse. Que j'ai eu de plaisir à la recevoir cette chère lettre! À mesure que l'époque de notre séparation s'éloigne de nous, je pense à toi avec plus d'attendrissement; je sens mieux le prix d'un bon ami. Je n'ai pas trouvé ici qui pût te remplacer dans mon cœur. Comme nous nous aimions! pendant quatre ans nous ne nous sommes pas quittés un instant. Souvent l'uniformité de notre manière de vivre, la parfaite conformité de nos sentiments et de nos pensées ne nous permettait pas de beaucoup causer. Avec tout autre, de silencieuses promenades aussi longues m'auraient été insupportables; avec toi, je n'y trouvais rien de fatigant; elles ne me laissaient rien à désirer. J'en vois qui ne s'aiment que pour faire parade de leur amitié, et nous, nous nous aimions obscurément, bonnement; nous ne nous aperçûmes que notre attachement était remarquable que lorsqu'on nous l'eut fait remarquer. Ici, mon cher, tout le monde m'aime, mais je n'ai pas d'ami…
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… Te voilà donc, mon ami, en robe et en bonnet carré! Je suis en peine de savoir si tu as des dispositions pour l'état que tu embrasses. Je te connais beaucoup de justesse et de rectitude dans le jugement; mais c'est la moindre des choses. Tu dois avoir l'élocution facile, mais l'as-tu aussi pure? ton accent n'a pas dû s'améliorer à Toulouse, ni se perfectionner à Perpignan. Le mien est toujours détestable et probablement ne changera jamais. Tu aimes l'étude, assez la discussion. Je crois donc que tu dois à présent t'attacher surtout à l'étude des lois, car ce sont des notions que l'on n'apprend que par le travail, comme l'histoire et la géographie, – et ensuite à la partie physique de ta profession. Les grâces, les manières nobles et aisées, ce vernis, ce coup d'œil, cet avant-main, ce je ne sais quoi qui plaît, qui prévient, qui entraîne. C'est là la moitié du succès. Lis à ce sujet les Lettres de lord Chesterfield à son fils. C'est un livre dont je suis loin d'approuver la morale, toute séduisante qu'elle est; mais un esprit juste comme le tien saura facilement laisser le mauvais et faire son profit du bon.
Pour moi, ce n'est pas Thémis, c'est l'aveugle Fortune que j'ai choisie, ou qu'on m'a choisie pour amante. Cependant, je dois l'avouer, mes idées sur cette déesse ont beaucoup changé. Ce vil métal n'est plus aussi vil à mes yeux. Sans doute il était beau de voir les Fabricius et les Curius demeurer pauvres, lorsque les richesses n'étaient le fruit que du brigandage et de l'usure; sans doute Cincinnatus faisait bien de manger des fèves et des raves, puisqu'il aurait dû vendre sa patrie et son honneur pour manger des mets plus délicats; mais les temps sont changés. – À Rome la fortune était le fruit du hasard, de la naissance, de la conquête; aujourd'hui elle n'est que le prix du travail, de l'industrie, de l'économie. Dans ce cas elle n'a rien que d'honorable. C'est un fort sot préjugé qu'on puise dans les colléges, que celui qui fait mépriser l'homme qui sait acquérir avec probité et user avec discernement. Je ne crois pas que le monde ait tort, dans ce sens, d'honorer le riche; son tort est d'honorer indistinctement le riche honnête homme et le riche fripon…
Tout le monde court après le bonheur, tout le monde le place dans une certaine situation de la vie et y aspire; celui que tu attaches à la vie retirée n'a peut-être d'autre mérite que d'être aperçu de loin. J'ai plus aimé que toi la solitude, je l'ai cherchée avec passion, j'en ai joui; et, quelques mois encore, elle me conduisait au tombeau. L'homme, le jeune homme surtout, ne peut vivre seul; il saisit avec trop d'ardeur, et si sa pensée ne se partage pas sur mille objets divers, celui qui l'absorbe le tue.
J'aimerais bien la solitude; mais j'y voudrais des livres, des amis, une famille, des intérêts; des intérêts, oui, mon ami, ne ris pas de ce mot; il attache, il occupe. Le philosophe même, ami de l'agriculture, s'ennuierait bientôt, n'en doute pas, s'il devait cultiver gratis la terre d'autrui. C'est l'intérêt qui embellit un domaine aux yeux du propriétaire, qui donne du prix aux détails, rend heureux Orgon et fait dire à l'Optimiste:
Le château de Plainville est le plus beau du monde.
Tu sens bien que, par intérêt, je ne veux point parler de ce sentiment qui approche de l'égoïsme.
Pour être heureux, je voudrais donc posséder un domaine dans un pays gai, surtout dans un pays où d'anciens souvenirs et une longue habitude m'auraient mis en rapport avec tous les objets. C'est alors qu'on jouit de tout, c'est là le vita vitalis. Je voudrais avoir pour voisins, ou même pour cohabitants, des amis tels que toi, Carrière et quelques autres. Je voudrais un bien qui ne fût ni assez grand pour que j'eusse la faculté de le négliger, ni assez petit pour m'occasionner des soucis et des privations. Je voudrais une femme… je n'en ferai pas le portrait, je le sens mieux que je ne saurais l'exprimer; je serais moi-même (je ne suis pas modeste avec toi) l'instituteur de mes enfants. Ils ne seraient pas effrontés comme en ville, ni sauvages comme dans un désert. Il serait trop long d'entrer dans tous les détails, mais je t'assure que mon plan a le premier de tous les mérites, celui de n'être pas romanesque.
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Je lisais hier une tragédie de Casimir Delavigne intitulée le Paria. Je n'ai plus l'habitude des analyses critiques; aussi je ne t'entretiendrai pas de ce poëme. D'ailleurs j'ai renoncé à cette disposition générale des lecteurs français, qui cherchent, dans leurs lectures, bien plus des fautes