On a dit, je le sais, que le joug de l'oppression avait pesé si longtemps sur la classe moyenne, qu'elle avait perdu jusqu'au courage de protester, et que son cœur et son esprit avaient été domptés par la servilité. Je ne le crois pas. (Applaudissements.) Je ne puis pas croire que les classes moyennes et laborieuses, du moment qu'elles ont la pleine connaissance des maux que leur infligent les nombreuses restrictions imposées à leur industrie par la législature, reculent devant une démonstration chaleureuse et unanime (bruyantes acclamations), pour demander d'être placées, avec les classes les plus favorisées, sur le pied d'une parfaite égalité. – Les propriétaires terriens me demanderont si, lorsque je réclame l'abolition de leurs monopoles, je suis autorisé par les manufacturiers à abandonner toutes les protections dont ils jouissent. Je réponds qu'ils sont prêts à faire cet abandon (applaudissements), et je rougirais de paraître devant cette assemblée pour y plaider la cause de l'abrogation des lois-céréales, si je ne réclamais en même temps l'abolition radicale de tous les droits protecteurs, en quoi qu'ils puissent consister. (Applaudissements.) C'est sur ce terrain que nous avons pris position et que nous entendons nous maintenir. Les lois-céréales, aussi bien que les autres droits protecteurs, ont passé au Parlement alors que les classes manufacturières et commerciales n'y étaient pas représentées, à une époque où ce corps nombreux et intelligent, qui forme la grande masse de la communauté, ne pouvait s'y faire entendre par l'organe de ses députés. Vainement reproche-t-on aux manufacturiers de jouir des bienfaits de la protection, comme par exemple de droits à l'entrée des étoffes de coton à Manchester, ou de la houille à Newcastle. (Rires.) N'est-il pas clair que les landlords ont admis ces priviléges illusoires pour faire passer les leurs? (Approbation.) Ce ne sont pas les manufacturiers qui ont établi ces droits, c'est l'aristocratie, qui, pénétrant dans leurs comptoirs, a la prétention de leur dicter quand, où et comment ils doivent accomplir des importations et des échanges. Il est puéril de reprocher à l'industrie ces droits protecteurs, car les lois existantes n'émanent pas d'elle; et la responsabilité en appartient tout entière, ainsi que celle de la détresse nationale, au Parlement britannique. (Acclamations prolongées.) On a dit que, si la cité de Londres était lente à entrer dans ce mouvement, c'est qu'elle ne voulait pas recevoir de lois. Je n'ai jamais compris que la Ligue ait cherché à s'imposer à qui que ce soit. Nous sommes ici pour un objet commun, le bien-être de la communauté, et, par-dessus tout, celui du commerce de Londres. Est-il possible, par une interprétation absurde, de nous accuser d'outrecuidance, lorsque nous nous bornons à venir dire aux classes laborieuses: «Votre industrie sera mieux placée sous votre direction que sous celle des chasseurs de renards de la Chambre des communes (rires et applaudissements); elle prospérera mieux sous le régime de la liberté que sous le contrôle oppresseur de ces gentilshommes que des votes corrompus ont transformés en législateurs.» (Tonnerre d'applaudissements.) – J'arrive maintenant à cette question: L'abrogation de la loi-céréale est-elle une mesure praticable? Si nous pouvons convaincre le premier ministre et l'administration que l'opinion publique est favorable à cette mesure, je suis convaincu qu'elle sera proposée au Parlement; elle n'est pas hors de notre portée, nous ne courons pas après un objet impraticable. Des réformes plus profondes ont été préparées et amenées par la discussion, par l'appel à la raison publique et au moyen de ce qu'on nomme aujourd'hui agitation. Je crois que l'aristocratie elle-même, si elle voit que le pays est décidé, acquiescera par pudeur, et, sinon par pudeur, du moins par crainte. (Bruyantes acclamations.) Vous redoutez la Chambre des lords. Mais, quoi! il n'y a pas dans tout le pays un corps plus complaisant! (Rires.) Il n'y a pas dans toute la métropole quatre murs qui renferment une collection d'hommes si timides! Que le pays manifeste donc sa résolution, et l'administration proposera la mesure, les communes la renverront aux lords qui la voteront à leur tour. Peut-être n'obtiendra-t-elle pas les suffrages du banc des évêques, mais Leurs Révérences en seront quittes pour aller se promener un moment en dehors de la salle. (Rires.) Les grands propriétaires ont déjà montré d'autres sympathies de docilité, par exemple en votant l'admission des bestiaux étrangers, ce qu'ils se sont hâtés de faire lorsqu'ils ont vu qu'abandonner le ministère, c'était renoncer à la portion d'influence que, par certains arrangements, le cabinet actuel leur a assurée. Les promesses solennelles faites aux fermiers ne les ont pas arrêtés. En parcourant ces jours derniers un livre d'histoire naturelle, je suis tombé sur la description d'un oiseau, et j'en ai été frappé, tant elle s'applique aussi à ces gentilshommes campagnards envoyés au Parlement comme monopoleurs, et qui néanmoins admettent enfin les principes de la liberté commerciale. Le naturaliste dit, en parlant du rouge-queue (bruyants éclats de rires): «Son chant sauvage n'a rien d'harmonieux; mais lorsqu'il est apprivoisé, il devient d'une docilité remarquable. Il apprend des airs à la serinette; il va même jusqu'à parler.» (Rires prolongés.) Que l'administration présente donc une mesure décisive, et les grands seigneurs s'y soumettront, car tout le monde peut avoir remarqué que, dans la dernière session, leurs discours ont eu une teinte apologétique, et semblent avoir été calculés plutôt pour excuser que pour soutenir les lois-céréales. Quelques personnes pourront penser que je vais trop loin en demandant l'abrogation totale (non, non); mais je les prie d'observer qu'une protection modérée empêcherait l'entrée d'une certaine quantité de blé, et que, relativement à cette quantité, elle agirait comme une prohibition absolue. C'est donc un sophisme de dire que la protection diffère en principe de la prohibition. La différence n'est pas dans le principe, mais dans le degré. La Ligue a répudié le principe même de la protection. Elle proclame que toutes les classes ont un droit égal à la liberté des échanges et à la rémunération du travail. (Approbation.) Je sais qu'on me dira que l'Angleterre est un pays favorisé, et qu'elle devrait se contenter de ses avantages; mais je ne puis voir aucun avantage à ce que les ouvriers de l'Angleterre ne soient pas pourvus des choses nécessaires à la vie aussi bien que ceux des États-Unis ou d'ailleurs. On peut se laisser éblouir et séduire par les parties ornementales de notre constitution et l'antiquité vénérable de nos institutions; mais la vraie pierre de touche du mérite et de l'utilité des institutions, c'est, à mon sens, que le grand corps de la communauté atteigne à une juste part des nécessités et du confort de la vie. Je dis que, dans un pays comme celui-ci, qui possède tant de facilités industrielles et commerciales, tout homme sain de corps et de bonne volonté, doit pouvoir atteindre non-seulement à ce qui soutient, mais encore à ce qui améliore, je dis plus, à ce qui embellit l'existence. (Applaudissements.) C'est ce qu'admet la cité de Londres, dans le mémoire qu'elle a récemment soumis au premier ministre, au sujet de la colonisation. N'ayant pas lu ce mémoire, je ne m'en fais pas le juge, mais je sais qu'il a été signé par des adversaires comme par des partisans de la liberté commerciale. Quant aux premiers, je leur demanderai, avec tout le respect que je leur dois, comment ils peuvent, sans tomber en contradiction avec eux-mêmes, nous engager à créer au loin et à gros frais de nouveaux marchés pour l'avenir, quand ils nous refusent l'usage des marchés déjà existants. Je ne puis concilier le refus qu'on nous fait du libre-échange avec les États-Unis, où il existe une population nombreuse, qui a les mêmes besoins et les mêmes goûts que celle de ce pays, avec l'ardeur qu'on montre à créer de nouveaux marchés, c'est-à-dire à provoquer l'existence d'une population semblable à celle des États-Unis, et cela pour ouvrir dans l'avenir des débouchés à notre industrie. C'est là une inconséquence manifeste. Quant à ceux qui soutiennent à la fois et les principes de la Ligue et le projet de colonisation, n'ont-ils pas à craindre de s'être laissé entraîner à appuyer une mesure que le monopole considère certainement comme une porte de secours, comme une diversion de ce grand mouvement que la Ligue a excité dans le pays? (Écoutez!) Je ne veux pas contester les avantages de la colonisation; mais il me semble qu'il faut savoir, avant tout, si l'ouvrier veut ou ne veut pas vivre sur sa terre natale. (Approbation.) Je sais bien que les personnes auxquelles je m'adresse n'entendent pas appuyer l'émigration forcée; je suis loin de leur imputer une telle pensée. Mais il y a deux manières de forcer les hommes à l'exil. (Écoutez! écoutez!) La première, c'est de les prendre pour ainsi dire corps à corps, de les jeter sur un navire, et de là sur une plage lointaine; la seconde, c'est de leur rendre la patrie si inhospitalière qu'ils ne puissent pas y vivre (acclamation), et je crains bien que l'effet des lois restrictives ne soit de pousser à l'expatriation des hommes qui eussent préféré le foyer domestique. (Applaudissements.) Messieurs, j'ai abusé de votre patience. (Non, non, parlez, parlez.) On