Bastiat Frédéric

Œuvres Complètes de Frédéric Bastiat, tome 3


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(Approbation.) Ce n'est pas ses propres opinions, mais les opinions de ces grands hommes, que la Ligue s'efforce de propager; elles commencent à dominer dans les esprits et sont destinées à dominer aussi dans les conseils publics, dans quelques mains que tombent le pouvoir et les portefeuilles. – Il faut excuser les personnes que leur intérêt aveugle sur la question du monopole; mais il est pénible d'avoir à dire que, dans quelques localités, le clergé de l'Église établie n'a pas craint de dégrader son caractère en maudissant les écrits de la Ligue, auxquels il n'a ni le talent ni le courage de répondre21. (Bruyantes acclamations.) Le doyen de Hereford a abandonné la présidence de la Société des ouvriers, parce que l'excellent secrétaire de cette institution avait déposé dans les bureaux quelques exemplaires de notre circulaire contre la taxe du pain (bread-tax). M. le doyen commença bien par offrir la faculté de retirer le malencontreux pamphlet; mais le secrétaire ayant préféré son devoir à un acte de courtoisie envers le haut dignitaire de l'Église, il en est résulté que la circulaire est restée et que c'est le doyen qui est sorti. (Rires.) J'ai devant moi une lettre authentique qui établit un cas plus grave. Dans un bourg de Norfolk, un gentleman avait été chargé de faire parvenir, par l'intermédiaire du sacristain, quelques brochures de la Ligue au curé et à la noblesse du voisinage. Le sacristain déposa ces brochures sur la table du vestiaire; mais lorsque le ministre entra pour revêtir sa robe, il s'en empara, les porta à l'église et en fit le texte d'un discours violent, où il traita les membres de la Ligue d'assassins (éclats de rires), ajoutant qu'un certain Cobden (on rit plus fort) avait menacé sir Robert Peel d'être assassiné s'il ne satisfaisait aux vœux de la Ligue; après quoi il fit brûler les brochures dans le poêle, disant qu'elles exhalaient une odeur de sang. (Nouveaux rires.) Je conviens qu'une telle conduite mérite plus de compassion que de colère, compassion pour le troupeau confié à la garde d'un tel ministre; compassion surtout pour le ministre lui-même, qui demande à son Créateur «le pain de chaque jour» avec un cœur fermé aux souffrances de ses frères; pour un ministre qui oublie à ce point la sainteté du sabbat et la majesté du temple, que de convertir le service divin en diffamation et le sanctuaire en une scène de scandale22. – La parole sera d'abord à M. Joseph Hume, cet ami éprouvé du peuple. Vous entendrez ensuite MM. Brotherton et Gibson. Nous comptions aussi sur la coopération de M. Bright, mais il est allé samedi à Nottingham et à Durham pour prendre part, dans l'intérêt de la liberté du commerce, aux luttes électorales de ces bourgs.»

      M. Hume se lève au bruit d'acclamations prolongées. Lorsque le silence est rétabli, il s'exprime en ces termes:

      Je suis venu à ce meeting pour écouter et non pour parler; mais le comité a fait un appel à mon zèle, et ne pouvant comme d'autres alléguer le prétexte de l'inhabitude23 (rires), j'ai dû m'exécuter malgré mon insuffisance. C'est avec plaisir que j'obéis, car je me rappelle un temps, qui n'est pas très-éloigné, où les opinions aujourd'hui généralement adoptées, non-seulement au sein de la communauté, mais encore parmi les ministres de la couronne, étaient par eux vivement controversées. Mais ces hommes, autrefois si opposés à la liberté du commerce, reconnaissent enfin la vérité des doctrines de la Ligue, et c'est avec une vive satisfaction que j'ai récemment entendu tomber de la bouche même de ceux qui furent nos plus chauds adversaires, cette déclaration: «Le principe du libre-échange est le principe du sens commun24.» (Acclamations.) Je me présente à ce meeting sous des auspices bien différents de ceux qui auraient pu m'y accompagner à l'époque à laquelle je fais allusion. Il y a quelque quatorze ans que je fis une motion devant une assemblée composée de six cent cinquante-huit gentlemen. (Rires. Écoutez, écoutez!) qui n'étaient pas des hommes ignorants et illettrés, mais connaissant, ou du moins censés connaître leurs devoirs envers eux-mêmes et envers le pays. Je proposai à ces six cent cinquante-huit gentlemen de retoucher la loi-céréale, de telle sorte que l'échelle mobile fût graduellement transformée en droit fixe, et que le droit fixe fît place en définitive à la liberté absolue. (Applaudissements.) Mais sur ces six cent cinquante-huit gentlemen, quatorze seulement me soutinrent. (Écoutez, écoutez.) Chaque année, depuis lors, des efforts sont tentés par quelques-uns de mes collègues, et il est consolant d'observer que chaque année aussi notre grande cause gagne du terrain. Je suis fâché de voir que les landlords, et ceux qui vivent sous leur dépendance, persistent à ne considérer la question que par le côté qui les touche. Plusieurs d'entre eux font partie de la législature, et, se plaçant à leur point de vue personnel, ils ont fait des lois dont le but avoué est de favoriser leurs intérêts privés sans égard à l'intérêt public. C'est là une violation des grands principes de notre constitution, qui veut que les lois embrassent les intérêts de toutes les classes. (Approbation.) Malheureusement la chambre des communes ne représente pas les opinions de toutes les classes. (Approbation.) Elle ne représente que les opinions d'une certaine classe, celle des législateurs eux-mêmes, qui ont fait tourner la puissance législative à leur propre avantage, au détriment du reste de la communauté. (Applaudissements.) Je voudrais demander à ces hommes, qui sont riches et possèdent plus que tous autres les moyens de se protéger eux-mêmes, comment ils peuvent, sans que leur conscience soit troublée, trouver sur leur chevet un paisible sommeil après avoir fait des lois, tellement injustes et oppressives, qu'elles vont jusqu'à priver de moyens d'existence plusieurs millions de leurs frères. (Applaudissements.) C'est sur ce principe que j'ai toujours plaidé la question, et voici la seule réponse que j'aie pu obtenir: «Si nous croyions mal agir, nous n'agirions pas ainsi.» (Rires.) Vous riez. Messieurs, et cependant je puis vous assurer qu'il y a beaucoup de personnes, et même de personnages, qui sont si ignorants des plus simples principes de l'économie politique, qu'ils n'hésiteraient pas à venir répéter cette assertion devant la portion la plus éclairée du peuple de ce pays. Mais une lumière nouvelle s'est levée à l'horizon des intelligences, et il y a dans les temps des signes capables de réveiller ceux-là mêmes qui sont les plus attachés à leurs sordides intérêts. (Applaudissements.) Il est temps qu'ils regardent autour d'eux et qu'ils s'aperçoivent que le moment est venu, où, en toute justice, la balance doit enfin pencher du côté de ceux qui sont pauvres et dénués. – L'état de détresse qui pèse sur le pays est la conséquence d'une injuste législation; c'est pour la renverser que nous sommes unis, et j'espère qu'en dépit de la calomnie, la Ligue ne tardera pas à être considérée comme l'amie la plus éclairée de l'humanité. Cette grande association, j'en ai la confiance, se montrera supérieure aux traits qu'il plaira à la malignité de lui infliger; elle apprendra, comme une longue expérience me l'a appris à moi-même, que plus elle se tiendra dans le sentier de la justice, plus elle sera en butte à la persécution. (Applaudissements.) Lorsqu'il m'est arrivé que quelque portion de la communauté m'a assailli par des paroles violentes, ma règle invariable a été de considérer attentivement les imputations dirigées contre moi. Si je leur avais trouvé quelque fondement, je me serais empressé de changer de conduite. Dans le cas contraire, j'y ai vu une forte présomption que j'étais dans le droit sentier et que mon devoir était d'y rester. Je ne puis que conseiller à la Ligue de faire de même. Vous êtes noblement entrés dans cette grande entreprise; vous n'avez épargné ni votre argent ni votre temps; vous avez fait pour le triomphe d'une noble cause tout ce qu'il est humainement possible de faire, et le temps approche où le succès va couronner vos généreux efforts. (Applaudissements.) C'est une idée très-répandue que les intérêts territoriaux font la force de ce pays; mais les intérêts territoriaux puisent eux-mêmes leur force dans la prospérité du commerce et des manufactures, et ils commencent enfin à comprendre ce qu'ils ont gagné à priver le travail et l'industrie de leur juste rémunération. L'ouvrier ne trouve plus de salaire, les moyens d'acheter les produits du sol lui échappent: de là, ces plaintes sur l'impossibilité de vendre le bétail et le blé. La souffrance pèse en ce moment sur les dernières classes, mais elle gagne les classes moyennes, elle atteindra les classes élevées, et le jour, peu éloigné, où celles-ci se sentiront froissées, ce jour-là elles reconnaîtront qu'un changement radical au présent système est devenu indispensable. (Approbation.) En me rappelant ce qui s'est passé aux dernières élections générales, je ne puis m'empêcher de remarquer combien le peuple s'est égaré, lorsqu'il