dans toutes les parties de la salle.) – Au point de vue financier, la question est aussi épuisée. Et que faut-il penser d'un chancelier de l'Échiquier qui ne s'aperçoit pas qu'arracher 40 millions de livres sterling au peuple, pour l'avantage d'une classe, c'est diminuer la puissance de ce peuple à contribuer aux dépenses nationales? (Approbation.) En outre, des états statistiques montrent distinctement qu'à mesure que le prix du blé s'élève, le revenu public diminue. Dans cet état de choses, je plains les personnes qui voient sans s'émouvoir les souffrances du pays, l'augmentation rapide du nombre des faillites, la diminution des mariages, l'accroissement des décès parmi les classes pauvres, l'extension du crime et de la débauche; oui, ce sont là de vieux arguments contre les lois-céréales. Si l'aristocratie en veut d'autres, elle les trouvera sous l'herbe épaisse qui couvre les tombeaux de ceux dont un honnête travail eût dû soutenir l'existence. – Eh quoi! la charité elle-même est engagée dans la question; car nous ne saurions soulager le pauvre sans payer tribut aux seigneurs, et il n'est pas jusqu'au pain de l'aumône dont ils ne s'adjugent une fraction. Notre gracieuse souveraine a beau ouvrir une souscription en faveur des pauvres de Paisley et d'ailleurs, lorsque les 100,000 liv. sterl. seront recueillies, la rapacité de la classe dominante viendra en prélever le tiers ou la moitié; la charité en sera restreinte et bien des infortunes resteront sans soulagement. C'est ainsi que la commisération elle-même est soumise à la taxe, et que des limites sont posées aux meilleurs sentiments du cœur humain. Ce n'est pas là la leçon que nous donne ce livre sacré que les monopoleurs eux-mêmes font profession de révérer. Il nous enseigne à demander «le pain de chaque jour.» Mais les seigneurs taxent au contraire le pain de chaque jour. Le même livre nous montre un jeune homme qui demande ce qu'il doit faire. Et il lui est répondu: «Vendez votre bien et distribuez-le aux pauvres.» Mais notre législation prend ce précepte au rebours, car elle procède de ce principe: «Ôter au pauvre pour donner au riche.» (Applaudissements.) Si je viens à considérer la question du côté politique, je dirai que l'oppression ne cesse pas d'être oppression pour se cacher sous des formes légales. Un peuple dont le pain est taxé est un peuple esclave, de quelque manière que vous le preniez. La prépondérance aristocratique a passé sur les esprits comme la herse sur le champ vide, et la corruption y a fait germer une ample moisson de votes antipathiques, mais inféodés. C'est donc une question de classes, comme toutes celles qui s'agitent dans ce pays. Mais quelle est la classe d'habitants intéressés au maintien de ces lois? Ce ne sont pas les fermiers, car la rente leur arrache jusqu'au dernier shilling qu'elles ajoutent au prix du blé! Ce n'est pas la classe ouvrière, puisque les salaires sont arrivés à leur dernière expression. Ce n'est pas la classe marchande, car nos ports sont déserts et nos usines silencieuses. Ce n'est pas la classe littéraire, car les hommes ont peu de goût à la nourriture de l'esprit quand le corps est épuisé d'inanition. Eh quoi! ce ne sont pas même les seigneurs terriens, si ce n'est un petit nombre d'entre eux qui possèdent encore la propriété nominale de domaines chargés d'hypothèques. Et c'est dans le seul intérêt de ce petit nombre de privilégiés, pour satisfaire à leurs exigences, pour alimenter leur prodigalité, que tant de maux seront accumulés sur les masses, et que la valeur même du sol sera ravie à leurs descendants! Et que gagnent-ils à ce système? Ne faut-il pas qu'ils en rachètent les avantages passagers en s'endurcissant le cœur? Car ils sentent bien qu'il ne sera pas en leur pouvoir de détourner les conséquences terribles qui menacent eux-mêmes et le pays; et déjà ils voient les classes industrieuses, dont les travaux infatigables et la longue résignation méritaient plus de sympathies, se lever, non pour les bénir, mais pour les maudire. Ils n'échapperont pas toujours aux lois de cette justice distributive qui entre dans les desseins de l'éternelle Providence… (Applaudissements.)
On dit que la loi-céréale doit être continuée pour maintenir le salaire de l'ouvrier. Mais, comme ce philosophe d'autrefois, qui démontra le mouvement en se prenant à marcher, l'ouvrier répond en montrant son métier abandonné et sa table vide. (Applaudissements.) – On dit encore que nous devons nous rendre indépendants de l'étranger; mais la dépendance et l'indépendance sont toujours réciproques, et rendre la Grande-Bretagne indépendante du monde, c'est rendre le monde indépendant de la Grande-Bretagne. (Bruyantes acclamations.) Le monopole isole le pays de la grande famille humaine; il détruit ces liens et ces avantages mutuels que la Providence avait en vue le jour où il lui plut de répandre tant de diversité parmi toutes les régions du globe. La loi-céréale est une expérience faite sur le peuple; c'est un défi jeté par l'aristocratie à l'éternelle justice; c'est un effort pour élever artificiellement la valeur de la propriété d'un homme aux dépens de celle de son frère. Ceux qui taxent le pain du peuple taxeraient l'air et la lumière s'ils le pouvaient; ils taxeraient les regards que nous jetons sur la voûte étoilée; ils soumettraient les cieux avec toutes les constellations, et la chevelure de Cassiope, et le baudrier d'Orion, et les brillantes Pléiades, et la grande et la petite Ourse au jeu de l'échelle mobile. (Rires et applaudissements prolongés.) – On a fait valoir en faveur de la nouvelle loi un autre argument. «Elle est jeune, a-t-on dit, expérimentez-la encore quelque temps.» Oh! l'expérience a déjà dépassé tout ce que le peuple peut endurer; et il est temps que ceux qui la font sachent bien qu'ils assument sur eux, non plus seulement une responsabilité ministérielle, mais ce qui est plus solennel et plus sérieux, une responsabilité toute personnelle. (Applaudissements prolongés.) La Ligue fait aussi son expérience. Elle est venue de Manchester pour expérimenter l'agitation. Il fallait bien que l'expérience des landlords eût sa contre-épreuve; il fallait bien savoir s'ils seront à tout jamais les oppresseurs des pauvres. (Applaudissements.) La Ligue et sir Robert Peel ont, après tout, une cause commune. L'une et l'autre sont les sujets ou plutôt les esclaves de l'aristocratie. L'aristocratie, en vertu de la possession du sol, règne sur la multitude comme sur les majorités parlementaires. Elle commande au peuple et à la législature. Elle possède l'armée, donne la marine à ses enfants, s'empare de l'Église et domine la souveraine. Notre Angleterre, «grande, libre et glorieuse,» est attelée à son char. Nous ne pouvons nous enorgueillir du passé et du présent, nous ne saurions rien augurer de l'avenir; nous ne pouvons nous rallier à ce drapeau qui, pendant tant de siècles, «a bravé le feu et l'ouragan;» nous ne pouvons exalter cet audacieux esprit d'entreprise qui a promené nos voiles sur toutes les mers; nous ne pouvons faire progresser notre littérature, ni réclamer pour notre patrie ce que Milton appelait le plus élevé de ses priviléges: «enseigner la vie aux nations.» Non, toutes ces gloires n'appartiennent pas au peuple d'Angleterre; elles sont l'apanage et comme les dépendances domaniales d'une classe cupide… La dégradation, l'insupportable dégradation, sans parler de la détresse matérielle, qu'il faut attribuer à la loi-céréale, est devenue horrible, intolérable. C'est pourquoi, nous, ceux d'entre nous qui appartiennent à la métropole, nous accueillons avec transport la Ligue au milieu de nous; nous devenons les enfants, les membres de la Ligue; nous vouons nos cœurs et nos bras à la grande œuvre; nous nous consacrons à elle, non point pour obéir à l'aiguillon d'un meeting hebdomadaire, mais pour faire de sa noble cause le sujet de nos méditations journalières et l'objet de nos infatigables efforts. (Bruyantes acclamations.) Nous adoptons solennellement la Ligue; nous nous engageons à elle comme à un covenant religieux (applaudissements enthousiastes); et nous jurons, par celui qui vit dans tous les siècles des siècles, que la loi-céréale, cette insigne folie, cette basse injustice, cette atroce iniquité, sera radicalement abolie. (Tonnerre d'applaudissements. L'assemblée se lève d'un mouvement spontané. Les mouchoirs et les chapeaux s'agitent pendant longtemps.)
M. Gisborne succède à M. Fox.
Le Président: Avant de donner la parole à M. Cobden, je dois informer l'assemblée qu'à l'occasion du dernier débat du parlement, des pétitions nombreuses sont parvenues à l'honorable gentleman, celle de Bristol étant revêtue de quatorze mille signatures.
M. Cobden: Après les remarquables discours que vous venez d'entendre, et quoique je sois un vieux praticien de semblables meetings, je dois dire que je n'en ai jamais entendu qui les aient surpassés; après le discours si philosophique de M. Wilson, l'éloquence émouvante de M. Fox, l'ingénieuse et satirique allocution de mon ami, M. Gisborne, il eût mieux valu, sans doute, et j'aurais désiré que vous eussiez été laissés à vos méditations; mais l'autorité de votre président est absolue, et, si je lui cède, c'est qu'elle constitue la meilleure