Bastiat Frédéric

Œuvres Complètes de Frédéric Bastiat, tome 3


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par la voie des journaux et des revues, en les placardant aux murs de tous les ateliers, afin que le peuple soit forcé de lire et de comprendre. Qu'on ne dise pas que de tels moyens manquent d'efficacité. Je sais qu'ils sont tout-puissants. (Applaudissements.) Je ne suis certainement pas entré à la chambre des communes sous l'influence de préventions favorables à cette assemblée, mais je puis dire qu'elle n'est pas une représentation infidèle de l'opinion publique. Cette assertion vous étonne; mais songez donc que, sur cent personnes, il y en a quatre-vingt-dix-neuf qui ne concourent en rien à la formation de l'opinion publique; elles ne veulent pas penser par elles-mêmes. (Applaudissements.) À ce point de vue, je dis que la chambre des communes représente assez fidèlement l'esprit du pays. Ne répond-elle pas d'ailleurs aux moindres changements de l'opinion, avec autant de sensibilité et de promptitude qu'en met le vaisseau à obéir au gouvernail? Voulez-vous donc emporter, dans la chambre des communes, quelque question que ce soit? Instruisez le peuple, élevez son intelligence au-dessus des sophismes qui sont en usage au Parlement sur cette question; que les orateurs n'osent plus avoir recours à de tels sophismes, dans la crainte d'une juste impopularité au dehors, et la réforme se fera d'elle-même. (Applaudissements.) C'est ce qui a été fait déjà à l'occasion de grandes mesures, et c'est ce que nous ferons encore. (Applaudissements.) Ne craignez pas que, pour obéir à la voix du peuple, le Parlement attende jusqu'à ce que la force matérielle aille frapper à sa porte. Les membres de la Chambre ont coutume d'interroger de jour en jour l'opinion de leurs constituants, et d'y conformer leur conduite. Ils peuvent bien traiter, avec un mépris affecté, les efforts de cette association, ou de toute autre, mais soyez sûrs qu'en face de leurs commettants ils seront rampants comme des épagneuls. (Rires et bruyants applaudissements.)

      Tout nous encourage donc à faire, pendant cette session, un effort herculéen. – Je m'entretenais aujourd'hui avec un gentleman de cette ville qui arrive de Paris. Il a traversé la Manche avec un honorable membre, créature du duc de Buckingham. «Dans mon opinion, disait l'honorable député, le droit actuel sur les céréales sera converti en un droit fixe, dans une très-prochaine session, et j'espère que ce droit sera assez modéré pour être permanent.» – Mais quant à nous, veillons à ce qu'il n'y ait pas de droit du tout. (Applaudissements.) Si nous avons pu amener une créature du duc de Buckingham à désirer une taxe assez modérée pour que ces messieurs soient sûrs de la conserver, quelques efforts de plus suffiront pour convaincre les fermiers qu'ils n'ont à attendre ni stabilité, ni loyale stipulation de rentes, ni apaisement de l'agitation actuelle, jusqu'à ce que tous droits protecteurs soient entièrement abrogés. C'est pourquoi je vous dis: Attachez-vous à ce principe: abrogation totale et immédiate. (Applaudissements.) N'abandonnez jamais ce cri de ralliement: abrogation totale et immédiate! Il y en a qui pensent qu'il vaudrait mieux transiger; c'est une grande erreur. Rappelez-vous ce que nous disait sir Robert Peel, à M. Villiers et à moi: «Je conviens, disait-il, que, comme avocats du rappel12 total et immédiat, vous avez sur moi un grand avantage dans la discussion.» Nous séparer de ce principe absolu, ce serait donc renoncer à toute la puissance qu'il nous donne, – etc.

      MEETING HEBDOMADAIRE DE LA LIGUE

      16 mars 1843

      Une brillante démonstration a eu lieu hier soir au théâtre de Drury-Lane. À peine le bruit s'est-il répandu que la Ligue devait tenir dans cette vaste enceinte sa première séance hebdomadaire, que les cartes d'entrées ont été enlevées. La foule encombrait les avenues et les couloirs de l'édifice longtemps après que la salle, les galeries et le parterre étaient occupés par la réunion la plus distinguée et la mieux choisie dont il nous ait jamais été donné d'être les témoins. – Les dames assistaient en grand nombre à la séance et paraissaient en suivre les travaux avec le plus vif intérêt.

      Nous avons remarqué sur l'estrade MM. Cobden, m. P.13, Williams, m. P., Ewart, m. P., Thomely, m. P., Bowring, m. P., Gibson, m. P., Leader, m. P., Ricardo, m. P., Scholefield, m. P., Wallace, m. P., Chrestie, m. P., Bright, m. P., etc.

      M. George Wilson occupe le fauteuil.

      Le président annonce qu'il est prévenu que quelques perturbateurs se sont introduits dans l'assemblée avec le projet d'occasionner du désordre, soit en éteignant le gaz ou en criant au feu; si de pareilles manifestations ont lieu, que chacun se tienne sur ses gardes et reste calme à sa place.

      M. Ewart parle le premier.

      M. Cobden lui succède (bruyants applaudissements). Il s'exprime ainsi:

      Monsieur le président, ladies et gentlemen: J'ai assisté à un grand nombre de meetings contre les lois-céréales14. J'en ai vu d'aussi imposants par le nombre, le bon ordre et l'enthousiasme; mais je crois qu'il y a dans cette enceinte la plus grande somme de puissance intellectuelle et d'influence morale qui se soit jamais trouvée réunie dans un édifice quelconque, pour le progrès de la grande cause que nous avons embrassée. Plus cette influence est étendue, plus est grande notre responsabilité à l'égard de l'usage que nous en saurons faire. Je me sens particulièrement responsable des quelques minutes pendant lesquelles j'occuperai votre attention, et je désire les faire servir au progrès de la cause commune. Je n'ai jamais aimé, dans aucune circonstance, à faire intervenir des personnalités dans la défense d'un grand principe. On m'assure cependant qu'à Londres on est assez enclin à ranger les opinions politiques sous la bannière des noms propres. Peut-être, au milieu du perpétuel mouvement d'idées qui s'agitent dans cette vaste métropole, cet usage a-t-il prévalu, afin de fixer l'attention, par un intérêt plus incisif, sur les questions particulières. Mais, ce dont je suis sûr, c'est que ce qui a fait notre succès à Manchester, le fera partout où la nature humaine a acquis ces nobles qualités, qui la distinguent au sein de la capitale industrielle du Royaume-Uni, je veux dire, la ferme conviction que, si l'on se renferme dans la défense des principes, on acquerra, à la longue, d'autant plus d'influence, qu'on se sera, avec plus de soin, interdit le dangereux terrain des personnalités. (Écoutez! écoutez!) Je suis pourtant forcé de revenir, contre ma volonté, sur ce qui vient de se passer à la chambre haute. Nous avons été assaillis – violemment, amèrement, malicieusement assaillis, – par un personnage (lord Brougham) qui fait profession de partager nos doctrines, d'aimer, d'estimer les membres les plus éminents de la Ligue. Je vois, dans les journaux de ce matin, un long discours dont les deux tiers sont une continuelle invective contre la Ligue, dont l'autre tiers est consacré à défendre ses principes. (Écoutez!) Je pense que le plus juste châtiment que l'on pourrait infliger à l'homme éminent qui s'est rendu coupable de la conduite à laquelle je fais allusion, ce serait de l'abandonner à ses propres réflexions; car, ce qu'on peut découvrir de plus clair dans la longue diatribe du noble lord, c'est que, quelque mécontent qu'il soit de la Ligue, il est encore plus mécontent de lui-même. Il est vrai que le noble et docte lord n'a pas été très-explicite quant aux personnes contre lesquelles il a entendu diriger ses attaques réitérées. Eh bien, je lui épargnerai l'embarras de désignations plus spéciales, en prenant pour moi le poids de ses invectives et de ses sarcasmes. (Applaudissements.) Bien plus, il a attaqué la conduite des membres de notre députation; il a blâmé les actes des ministres de la religion qui coopèrent à notre œuvre. Eh bien, je me porte fort pour cette conduite et pour ces actes. Il ne s'est pas prononcé une parole, – et je désire qu'on comprenne bien toute la portée de cette déclaration, – il n'a pas été prononcé une seule parole par un ministre de la religion dans nos assemblées et nos conférences, dont je ne sois prêt à accepter toute la responsabilité, pourvu qu'on ne lui prête qu'une interprétation honnête et loyale… J'ai été blâmé de n'avoir pas récusé le langage du Rév. M. Bailey de Sheffield. J'ai été accusé d'être son complice, parce que je ne m'étais pas levé pour répudier l'imputation dirigée contre lui d'avoir excité le peuple de ce pays à commettre un meurtre. – Eh, mon Dieu! cela ne m'est pas plus venu dans la pensée que d'aller trouver le lord-maire, pour cautionner M. Bailey contre une accusation de cannibalisme. M. Bailey, objet de ces imputations, à travers lesquelles perce le désir d'atteindre et de détruire la Ligue, est environné de respect et de confiance par une nombreuse congrégation de chrétiens qui le soutiennent par des cotisations