Bastiat Frédéric

Œuvres Complètes de Frédéric Bastiat, tome 3


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ANGLAISE

      La Ligue fut fondée à Manchester en 1838. Ce ne fut qu'en 1843 qu'elle commença ses opérations dans la métropole, et nous n'avons pas cru devoir remonter plus haut dans le compte rendu de ses travaux. C'eût été, sans doute, réclamer du lecteur plus d'attention qu'il n'est disposé à nous en accorder. – Cependant, avant de suivre la Ligue à Londres, nous avons jugé utile de traduire le discours prononcé à Manchester, par M. Cobden, en octobre 1842, parce qu'il résume les progrès accomplis jusque-là et les plans ultérieurs de cette puissante association.

      M. Cobden. – Monsieur le président, ladies et gentlemen: C'est pour l'avenir de notre cause une circonstance d'un augure favorable que de voir tant de personnes distinguées, et particulièrement un si grand nombre de dames réunies dans cette enceinte. Je me réjouis surtout d'y apercevoir de nombreux représentants de la classe ouvrière. (Applaudissements.) J'ai entendu avec satisfaction les rapports qui nous ont été lus et qui ne laissent aucun doute sur les progrès que nous avons faits, non-seulement dans cette cité, mais dans toutes les parties du royaume. Parmi ces rapports, il en est un qui exige que je m'y arrête un instant. M. Murray a fait allusion au mécontentement qu'a excité parmi les fermiers la baisse des produits agricoles. De graves erreurs ont prévalu à ce sujet. Les fermiers se plaignent amèrement de ce qu'ils n'obtiennent plus, pour leurs bestiaux, le prix accoutumé, et ils s'en prennent à ce que les changements introduits récemment dans les tarifs par sir Robert Peel auraient amené du dehors une invasion de quadrupèdes. – Je maintiens que c'est là une illusion. Tous les bestiaux que les étrangers nous ont envoyés ne suffiraient pas à alimenter la consommation de Manchester pendant une semaine. La baisse des prix provient d'une tout autre circonstance, qu'il est utile de signaler parce qu'elle a un rapport direct avec notre cause. La véritable raison de cette baisse, ce n'est pas l'importance des arrivages du dehors, mais la ruine complète à l'intérieur de la clientèle des fermiers. (Écoutez! écoutez!) J'ai fait des recherches à ce sujet, et je me suis assuré qu'à Dundee, Leeds, Kendal, Carlisle, Birmingham, Manchester, la consommation de la viande, comparée à ce qu'elle était il y a cinq ans, a diminué d'un tiers; et comment serait-il possible qu'une telle dépression dans le pouvoir de consommer n'amenât une dépression relative dans les prix? Pour nous, manufacturiers, qui sommes accoutumés à nous enquérir du sort de nos acheteurs, à désirer leur prospérité, à en calculer les effets sur notre propre bien-être, nous n'aurions point conclu comme les fermiers. Quand notre clientèle décline, quand nous la voyons privée des moyens de se pourvoir, nous savons que nous ne pouvons qu'en souffrir comme vendeurs. Les fermiers n'ont point encore appris cette leçon. Ils s'imaginent que la campagne peut prospérer quand la ville décline. (Écoutez! écoutez!) À la foire de Chester, le fromage est tombé de 20 sh. le quintal, et les fermiers de dire: «Il y a du Peel là-dessous.» Mais l'absurdité de cette interprétation résulte évidemment de ce que rien n'a été changé au tarif sur ce comestible. Le prix du fromage, du lait, du beurre a baissé, et pourquoi? parce que les grandes villes manufacturières sont ruinées et que Stockport, par exemple, paie en salaires 7,000 l. s. (175,000 fr.) de moins, par semaine, qu'il ne faisait il y a quelques années. Et en présence de tels faits qui leur crèvent les yeux, comment les fermiers peuvent-ils aller quereller sir Robert Peel, et chercher dans son tarif la cause de leur adversité? Au dernier meeting de Waltham, le duc de Rutland a essayé de nier cette dépréciation. Il a eu tort; elle est réelle, et nous ne devons pas méconnaître les souffrances des fermiers, mais leur en montrer les vraies causes. – Il peut paraître étrange que ce soit moi qui vienne ici exonérer sir Robert des reproches que lui adressent ses propres amis. Nous ne sommes pas plus opposés à sir Robert Peel qu'à tout autre ministre. Nous ne sommes pas des hommes de parti, et s'il se rencontre des partis politiques, qu'ils s'intitulent whigs ou torys, qui s'efforcent d'attribuer à sir Robert des maux résultant de la mauvaise politique commerciale adoptée par toutes les administrations successives qui ont dirigé les affaires de ce pays, il est de notre devoir de rendre justice à sir Robert Peel lui-même, et de remettre les fermiers sur la bonne voie. (Applaudissements.)

      L'orateur décrit ici la détresse des villes manufacturières et continue ainsi:

      On s'en prend encore, de nos souffrances, au tarif récemment adopté par les États-Unis, et les journaux du monopole ne se font faute de railler, à ce sujet, la législation américaine. Mais s'ils étaient sincères lorsqu'ils professent que nous devons nous suffire à nous-mêmes, et pourvoir directement à tous nos besoins par le travail national, assurément ils devraient reconnaître que cette politique, qui est bonne pour nous, est bonne pour les autres, et en saluer avec joie l'avénement parmi toutes les nations du globe. Mais les voilà qui invectivent les Américains parce qu'ils agissent d'après nos propres principes. (Applaudissements.) Eh bien! qu'ils plaident notre cause au point de vue américain s'ils le trouvent bon. Nous les laisserons dans le bourbier de leur inconséquence. (Applaudissements.) Mais quelle a été l'occasion de ce tarif? Nous ne devons pas perdre de vue que ce sont nos fautes qui nous ont fermé les marchés d'Amérique. Remontons jusqu'à 1833. À cette époque, une grande excitation existait aux États-Unis au sujet des droits élevés imposés aux produits de nos manufactures; le mécontentement était extrême, et dans un des États, la Caroline du Sud, il fut jusqu'à se manifester par la rébellion. Il s'ensuivit qu'en 1833, la législature adopta une loi selon laquelle les droits d'entrée devaient être abaissés d'année en année, de manière à ce qu'au bout de dix ans il n'y en eût aucun qui dépassât le maximum fixé à 20 pour cent. Ce terme est expiré cet été. Eh bien! qu'a fait notre gouvernement? qu'a fait notre pays pour répondre à cette politique libérale et bienveillante? Hélas! un fait si important n'a pas plus excité l'attention de nos gouvernements successifs, et je suis fâché de le dire, du peuple lui-même, que s'il se fût passé dans une autre planète. Nous n'avons eu aucun égard aux tentatives qu'ont faites les Américains pour raviver nos échanges réciproques. Maintenant ils se mettent à considérer les effets de leur politique, et qu'aperçoivent-ils? c'est qu'au bout des dix ans, leur commerce avec ce pays est moindre qu'il n'était avant la réduction. Leur coton, leur riz, leur tabac a baissé de prix, et ce sont les seules choses que nous consentons à recevoir d'eux. Nous avons repoussé leurs céréales. Les Américains ont donc pensé qu'ils n'avaient aucun motif de persévérer dans leur politique, et il a été facile à un petit nombre de leurs monopoleurs manufacturiers d'obtenir de nouvelles mesures dont l'effet sera d'exclure du continent américain les produits de nos fabriques. Cela ne fût point arrivé, si nous avions tendu, à nos frères d'au delà de l'Atlantique, la main de réciprocité, sous forme d'une loi libérale qui, admettant leurs céréales, aurait intéressé les États agricoles de l'Union à voter pour nous, au lieu de voter contre nous. Nous eussions ouvert à leurs céréales un débouché décuple de celui que leur offrent leurs manufacturiers monopoleurs. Les Américains sont gens avisés et clairvoyants; et quiconque les connaît sait bien que jamais ils n'eussent supporté le tarif actuel, si nous avions répondu à leurs avances, et reçu leurs produits agricoles en échange de nos produits manufacturés. (Applaudissements.) Je ne veux point dire que les Américains ont agi sagement en adoptant ce tarif; il n'a pour résultat, à leur égard, que de détruire leur propre revenu. Mais enfin les voilà, d'un côté, se tordant les mains à l'aspect de leurs greniers pliant sous le poids des récoltes précédentes, tandis que le vent agite dans leurs vastes plaines des récoltes nouvelles; et voici, d'un autre côté, les Anglais contemplant, les bras croisés, leurs magasins encombrés et leurs usines silencieuses. Là, on manque de vêtements, ici on meurt de faim, et des lois aussi absurdes que barbares s'interposent entre les deux pays pour les empêcher d'échanger et de devenir l'un pour l'autre, un débouché réciproque. (Écoutez! écoutez!) Oh! cela ne peut pas continuer. Un tel système ne peut durer. (Applaudissements.) Il répugne trop à l'instinct naturel, au sens commun, à la science, à l'humanité, au christianisme. (Applaudissements.) Un tel système ne peut durer. (Nouveaux applaudissements.) Croyez que, lorsque deux nations telles que l'Amérique et l'Angleterre sont intéressées à des échanges mutuels, il n'est au pouvoir d'aucun gouvernement de les isoler à toujours. (Applaudissements.) Et je crois sincèrement que dans dix ans tout ce mécanisme de restriction, ici comme au delà des mers, ne vivra plus que dans l'histoire. Je ne demande que dix ans pour qu'il devienne aussi impossible aux gouvernements d'intervenir dans le travail des hommes, de le