Чарльз Диккенс

David Copperfield – Tome I


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je caressai le fer avec ma main comme si c'eût été l'honnête visage de Peggotty, et nous nous séparâmes. Depuis ce soir-là, j'ai toujours éprouvé pour elle un sentiment que je ne saurais définir. Elle ne remplaçait pas ma mère; personne au monde n'aurait pu le faire, mais elle remplissait un vide dans mon coeur, et ce que je sentais à son égard, je ne l'ai jamais senti pour aucune autre créature humaine. On se moquera, si l'on veut, de ce genre d'affection qui avait son côté comique; mais il n'en est pas moins vrai que, si elle était morte, je ne sais pas ce que je serais devenu ou comment j'aurais joué mon rôle dans cette circonstance, qui serait devenue pour moi une véritable tragédie.

      Le lendemain matin, miss Murdstone parut comme à l'ordinaire, et me dit que j'allais partir pour la pension, ce qui ne me surprit pas tout à fait autant qu'elle aurait pu le croire. Elle m'avertit aussi que, quand je serais habillé, je n'avais qu'à descendre dans la salle à manger pour déjeuner. J'y trouvai ma mère très-pâle et les yeux rouges; je courus me jeter dans ses bras, et je la suppliai du fond du coeur de me pardonner.

      «Oh Davy! dit-elle, comment as-tu pu faire mal à quelqu'un que j'aime? Tâche de devenir meilleur, prie Dieu de te rendre meilleur! Je te pardonne, mais je suis bien malheureuse, Davy, de penser que tu aies de si mauvaises passions.»

      On lui avait persuadé que j'étais un méchant enfant, et elle en souffrait plus que de me voir partir. Je le sentais vivement. J'essayai de manger quelques bouchées, mais mes larmes tombaient sur ma tartine de beurre, ou ruisselaient dans mon thé. Je voyais que ma mère me regardait, puis jetait un coup d'oeil sur miss Murdstone, toujours de planton près de nous, ou bien elle baissait tristement les yeux.

      «Descendez la malle de M. Copperfield!» dit miss Murdstone, lorsqu'on entendit le bruit des roues devant la grille.

      Je cherchai des yeux Peggotty, mais ce n'était pas elle, elle ne parut pas non plus que M. Murdstone. Mon ancienne connaissance, le voiturier, était devant sa carriole.

      «Clara! dit miss Murdstone, de son ton d'admonition.

      – Soyez tranquille, ma chère Jane, répondit ma mère. Adieu, Davy. C'est pour ton bien que tu nous quittes. Tu reviendras chez nous aux vacances. Conduis-toi bien.

      – Clara! répéta miss Murdstone.

      – Certainement, ma chère Jane, répondit ma mère, qui me tenait dans ses bras. Je te pardonne, mon cher enfant. Que Dieu te bénisse!

      – Clara!» répéta miss Murdstone.

      Miss Murdstone eut la bonté de m'accompagner jusqu'à la carriole, et de me dire en chemin qu'elle espérait que je me repentirais, et que je ne ferais pas une mauvaise fin; puis, je montai dans la carriole: le cheval leva languissamment le pied, nous étions partis.

       CHAPITRE V

      Je suis exilé de la maison paternelle

      Nous n'avions pas fait plus d'un demi mille, et mon mouchoir de poche était tout trempé, quand le voiturier s'arrêta brusquement.

      Je levai les yeux pour voir ce qu'il y avait, et je vis, à mon grand étonnement, Peggotty sortir de derrière une haie et grimper dans la carriole. Elle me prit dans ses bras, et me serra si fort contre son corset que mon pauvre nez en fut presque aplati, ce qui me fit grand mal, mais je n'y pensai seulement pas sur le moment; ce ne fut qu'après que je m'en aperçus, en le trouvant très- sensible. Peggotty ne dit pas un mot. Elle plongea son bras jusqu'au coude dans sa poche, en tira quelques sacs remplis de gâteaux qu'elle fourra dans les miennes avec une bourse qu'elle mit dans ma main, mais tout cela sans dire un mot. Après m'avoir de nouveau serré dans ses deux bras, elle redescendit de la carriole: j'ai toujours été persuadé, comme je le suis encore, qu'en se sauvant, elle n'emporta pas un seul bouton à sa robe. Moi j'en ramassai un, j'avais de quoi choisir, et je l'ai longtemps gardé précieusement comme un souvenir.

      Le voiturier me regarda comme pour me demander si elle n'allait pas revenir. Je secouai la tête, et lui dis que je ne le croyais pas. «Alors, en marche,» dit-il à son indolente bête, qui se mit effectivement en marche.

      Après avoir pleuré toutes les larmes de mes yeux, je commençai à réfléchir que cela ne servait à rien de pleurer plus longtemps, d'autant plus que ni Roderick Random, ni le capitaine de la marine royale, n'avaient jamais, à ma connaissance, pleuré dans leurs situations les plus critiques. Le voiturier voyant ma résolution, me proposa de faire sécher mon mouchoir sur le dos de son cheval. Je le remerciai et j'y consentis. Mon mouchoir ne faisait pas grande figure, en manière de couverture de cheval.

      Je passai ensuite à l'examen de la bourse. Elle était en cuir épais, avec un fermoir, et contenait trois shillings bien luisants que Peggotty avait évidemment polis et repolis avec soin pour ma plus grande satisfaction. Mais ce qu'elle contenait de plus précieux, c'étaient deux demi-couronnes enveloppées dans un morceau de papier, sur lequel ma mère avait écrit: «Pour Davy avec toutes mes tendresses.» Cela m'émut tellement, que je demandai au voiturier d'avoir la bonté de me rendre mon mouchoir de poche; mais il me répondit que selon lui, je ferais mieux de m'en passer, et je trouvai qu'il avait raison; j'essuyai donc tout bonnement mes yeux sur ma manche et ce fut fini pour de bon.

      Cependant il me restait encore de mes émotions passées, un profond sanglot de temps à autre. Après avoir ainsi voyagé pendant quelque temps, je demandai au voiturier s'il devait me conduire tout le long du chemin.

      «Jusqu'où? demanda le voiturier.

      – Eh bien! jusque-là, dis-je.

      – Où ça, là? demanda le voiturier.

      – Près de Londres, dis-je.

      – Mais ce cheval-là, dit le voiturier en secouant les rênes pour me le montrer, serait plus mort qu'un cochon rôti, avant d'avoir fait la moitié du chemin.

      – Vous n'allez donc que jusqu'à Yarmouth? demandai-je.

      – Justement, dit le voiturier. Et là je vous mettrai dans la diligence, et la diligence vous mènera… où c'que vous allez.»

      C'était beaucoup parler pour le voiturier (qui s'appelait M. Barkis), homme d'un tempérament flegmatique, comme je l'ai dit dans un chapitre précédent, et point du tout conversatif. Je lui offris un gâteau, comme marque d'attention; il l'avala d'une bouchée, ainsi qu'aurait pu faire un éléphant, et sa large face ne bougea pas plus que n'aurait pu faire celle d'un éléphant.

      «Est-ce que c'est elle qui les a faits? dit M. Barkis, toujours penché, avec son air lourdaud, sur le devant de sa carriole, un bras placé sur chacun de ses genoux.

      – C'est de Peggotty que vous voulez parler, monsieur?

      – Ah! dit M. Barkis. Elle-même.

      – Oui, c'est elle qui fait tous les gâteaux chez nous, d'ailleurs elle fait toute la cuisine.

      – Vraiment?» dit M. Barkis.

      Il arrondit ses lèvres comme pour siffler, mais il ne siffla pas. Il se pencha pour contempler les oreilles de son cheval, comme s'il y découvrait quelque chose de nouveau, et resta dans la même position pas mal de temps, enfin il me dit:

      «Pas d'amourettes, je suppose?

      – Des amourettes de veau, voulez-vous dire, monsieur Barkis? Je vous demande pardon, elle les accommode aussi à merveille, car je croyais qu'il avait envie de prendre quelque chose, et qu'il désirait particulièrement se régaler d'un plat d'amourettes.

      – Non, des amourettes… d'amour. Il n'y a personne qui aille se promener avec elle?

      – Avec Peggotty?

      – Ah! dit-il, elle-même!

      – Oh! non, jamais, jamais elle n'a eu d'amour ni d'amourettes.

      – Non, vraiment?» dit M. Barkis.

      Il arrondit de nouveau ses lèvres comme pour siffler, mais il ne siffla pas plus que la première fois, et se mit à considérer encore les oreilles de son cheval.

      «Et ainsi, dit M. Barkis, après un long silence, elle fait toutes les tartes aux pommes, et toute