Чарльз Диккенс

David Copperfield – Tome I


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certainement, repris-je.

      – Ah! dit-il en tournant lentement les yeux vers moi. Eh bien! si vous lui écrivez, peut-être vous souviendrez-vous de lui dire que Barkis veut bien, voulez-vous?

      – Que Barkis veut bien, répétai-je innocemment. Est-ce là tout?

      – Oui, dit-il lentement, oui, Barkis veut bien.

      – Mais vous serez demain de retour à Blunderstone, monsieur Barkis, lui dis-je (et mon coeur se serrait à la pensée que moi j'en serais bien loin), il vous serait plus facile de faire votre commission vous-même.»

      Mais il me fit signe de la tête que non, et répéta de nouveau du ton le plus grave: «Barkis veut bien. Voilà tout.» Je promis de transmettre exactement la chose. Et ce jour-là même en attendant à Yarmouth la diligence, je me procurai un encrier et une feuille de papier, et j'écrivis à Peggotty un billet ainsi conçu:

      «Ma chère Peggotty, je suis arrivé ici à bon port. Barkis veut bien. Mes tendresses à maman. Votre bien affectionné,

      «Davy.»

      «P. S. Il tient beaucoup à ce que vous sachiez que Barkis veut bien

      Lorsque j'eus fait cette promesse, M. Barkis retomba dans un silence absolu; quant à moi, je me sentais épuisé par tout ce qui m'était arrivé récemment, et me laissant tomber sur une couverture, je m'endormis. Mon sommeil dura jusqu'à Yarmouth, qui me parut si nouveau et si inconnu dans l'hôtel où nous nous arrêtâmes, que j'abandonnai aussitôt le secret espoir que j'avais eu jusqu'alors d'y rencontrer quelque membre de la famille de M. Peggotty, peut-être même la petite Émilie.

      La diligence était dans la cour, parfaitement propre et reluisante, mais on n'avait pas encore attelé les chevaux, et dans cet état il me semblait impossible qu'elle allât jamais jusqu'à Londres. Je réfléchissais sur ce fait, et je me demandais ce que deviendrait définitivement ma malle, que M. Barkis avait déposée dans la cour, après avoir fait tourner sa carriole, et ce que je deviendrais moi-même, lorsqu'une dame mit la tête à une fenêtre où étaient suspendus quelques gigots et quelques volailles, et me dit:

      «Êtes-vous le petit monsieur qui vient de Blunderstone?

      – Oui, madame, dis-je.

      – Votre nom? demanda la dame.

      – Copperfield, madame, dis-je.

      – Ce n'est pas ça, reprit la dame. On n'a pas commandé à dîner pour une personne de ce nom?

      – Est-ce Murdstone, madame? dis-je.

      – Si vous êtes le jeune Murdstone, dit la dame, pourquoi commencez-vous par me dire un autre nom?»

      Je lui expliquai ce qu'il en était, elle sonna et cria: «William, montrez à monsieur la salle à manger» sur quoi un garçon arriva en courant, de la cuisine qui était de l'autre côté de la cour, et parut très-surpris de voir que c'était pour moi seul qu'on le dérangeait.

      C'était une grande chambre, garnie de grandes cartes de géographie. Je crois que, quand les cartes auraient été de vrais pays étrangers, au milieu desquels on m'aurait lancé comme une bombe, je ne me serais pas senti plus dépaysé. Il me semblait que je prenais une étrange liberté d'oser m'asseoir, ma casquette à la main, sur un coin de la chaise la plus rapprochée de la porte, et lorsque je vis le garçon mettre une nappe sur la table, tout exprès pour moi, et y placer une salière, je suis sûr que je devins tout rouge de modestie.

      Il m'apporta des côtelettes et des légumes, et enleva les couvercles des plats avec tant de brusquerie que j'avais la plus grande peur de l'avoir apparemment offensé. Mais je me sentis rassuré en le voyant mettre une chaise pour moi devant la table, et me dire du ton le plus affable: «Maintenant, mon petit géant, asseyez-vous.»

      Je le remerciai et je m'établis devant la table; mais il me semblait extraordinairement difficile de manier un peu adroitement mon couteau ou ma fourchette, ou d'éviter de jeter de la sauce sur moi, tant que le garçon serait là debout en face de moi, ne me quittant pas des yeux, et me faisant rougir jusqu'aux oreilles chaque fois que je le regardais. Lorsqu'il me vit entamer la seconde côtelette:

      «Voilà, dit-il, une demi-pinte d'ale pour vous. La voulez-vous à présent.

      – Merci, lui dis-je, je veux bien.»

      Alors il versa la bière dans un grand verre, et la mit devant la fenêtre pour m'en faire admirer la belle couleur.

      «Ma foi! dit-il, il y en a beaucoup, n'est-ce pas?

      – Il y en a beaucoup, répondis-je en souriant.»

      Car j'étais charmé de le trouver si aimable. C'était un petit homme, aux yeux brillants, avec un visage rougeaud et des cheveux tout hérissés; il avait l'air très-avenant, le poing sur la hanche, et de l'autre main il tenait en l'air le verre plein d'ale.

      «Il y avait bien ici un monsieur, dit-il, un gros monsieur qu'on nommait Topsawyer, peut-être le connaissez-vous?

      – Non, dis-je, je ne crois pas.

      – En culotte courte et en guêtres, un chapeau à larges bords, un habit gris, un cache-nez à pois, dit le garçon.

      – Non, dis-je avec embarras, je n'ai pas ce plaisir.

      – Il est venu ici hier, dit le garçon en regardant la bière au jour, il a demandé un verre de cette ale, il l'a voulu absolument, je lui ai dit qu'il avait tort, il l'a bue et il est tombé mort. Elle était trop forte pour lui. On ne devrait plus en donner, voilà le fait.»

      J'étais épouvanté de ce terrible accident, et je lui dis que je ferais peut-être mieux de ne boire qu'un verre d'eau.

      «C'est que, voyez-vous, dit le garçon tout en regardant toujours la bière à la fenêtre, et en clignant de l'oeil, on n'aime pas beaucoup ici qu'on laisse ce qu'on a commandé. Ça blesse mes maîtres. Mais moi, je peux la boire si vous voulez. J'y suis habitué, et l'habitude fait tout. Je ne crois pas que cela me fasse mal, pourvu que je renverse ma tête en arrière, et que j'avale lestement. Voulez-vous?»

      Je lui répondis qu'il me rendrait un grand service en la buvant, pourvu que cela ne pût pas lui faire de mal, sans cela je ne voulais pas en entendre parler. Quand il rejeta sa tête en arrière pour avaler lestement, je fus saisi, je l'avoue, d'une terrible frayeur; je croyais que j'allais le voir tomber sans vie sur le parquet, comme le malheureux M. Topsawyer. Mais cela ne lui fit aucun mal. Au contraire, il ne m'en parut que plus frais et plus gaillard.

      «Qu'avons-nous donc là? dit-il en mettant sa fourchette dans mon plat. N'est-ce pas des côtelettes?

      – Des côtelettes, dis-je.

      – Que Dieu me bénisse! je ne savais pas que ce fussent des côtelettes, s'écria-t-il. C'est justement ce qu'il faut pour neutraliser les mauvais effets de cette bière. Quelle chance!»

      D'une main il saisit une côtelette, de l'autre il prit une pomme de terre, et mangea le tout du meilleur appétit à mon extrême satisfaction. Puis il prit une autre côtelette et une autre pomme de terre, et encore une autre pomme de terre et une autre côtelette. Quand nous eûmes fini, il m'apporta un pudding, et l'ayant placé devant moi, il se mit à ruminer en lui-même, et resta quelques instants absorbé dans ses réflexions.

      «Comment trouvez-vous le pâté? dit-il tout d'un coup.

      – C'est un pudding, répondis-je.

      – Un pudding! s'écria-t-il. Oui, vraiment! mais, dit-il en le contemplant de plus près, ne serait-ce pas un pudding aux fruits?

      – Oui, certainement.

      – Et mais, dit-il en s'armant d'une grande cuiller, le pudding aux fruits est mon pudding favori, n'est-ce pas heureux? Allons, mon petit homme, voyons qui de nous deux ira le plus vite.»

      Le garçon fut certainement celui qui alla le plus vite. Il me supplia plus d'une fois de me dépêcher de gagner la gageure, mais il y avait une telle différence entre sa cuiller à ragoût et ma cuiller à café, entre son agilité et mon agilité, entre son appétit et mon appétit