Чарльз Диккенс

Le magasin d'antiquités. Tome I


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à retrouver jamais la même chance, ou vous compteriez sans votre hôte.» À quoi le jeune petit-fils dissipé répond ainsi: «Vous avez autant de fortune qu'on peut en avoir; vous avez fait pour moi des dépenses considérables; vous entassez des piles d'écus pour ma petite soeur, avec laquelle vous vivez secrètement, comme à la dérobée, comme un vrai grigou, sans lui donner aucun plaisir. Pourquoi ne pas mettre de côté une bagatelle en faveur du petit-fils adulte?» Là-dessus, le brave grand-père réplique, «que non-seulement il refuse d'ouvrir sa bourse avec ce gracieux empressement qui a toujours tant de charmes chez un gentleman de son âge, mais qu'il éclatera en reproches, lui dira des mots durs, lui fera des observations toutes les fois qu'ils se trouveront ensemble. Voilà donc la question tout simplement. N'est-ce pas pitié qu'un pareil état de choses se prolonge? et combien ne vaudrait-il pas mieux que le vieux gentleman donnât du métal en quantité raisonnable, pour rétablir la tranquillité et le bon accord!»

      Après avoir prononcé ce discours en taisant décrire à son bras une foule d'ondulations élégantes, M. Swiveller plongea vivement dans sa bouche la tête de sa canne, comme pour s'enlever lui-même le moyen de nuire à l'effet de sa harangue en ajoutant un mot de plus.

      «Pourquoi me poursuivez-vous? pourquoi me persécutez-vous? au nom du ciel! s'écria le vieillard se tournant vers son petit-fils. Pourquoi amenez-vous ici vos compagnons de débauche? Combien de fois aurai-je à vous répéter que ma vie est toute de dévouement et d'abnégation, et que je suis pauvre?

      – Combien de fois aurai-je à vous répéter, dit l'autre en le regardant froidement, que je sais bien que ce n'est pas vrai?

      – C'est vous qui vous êtes mis où vous êtes, dit le vieillard, restez-y; mais laissez-nous, Nelly et moi, travailler sans relâche.

      – Nell sera bientôt une femme. Élevée à vous croire aveuglément, elle oubliera son frère s'il n'a soin de se montrer quelquefois à elle.

      – Prenez garde, dit le vieillard, dont les yeux étincelèrent, qu'elle ne vous oublie quand vous souhaiteriez le plus de vivre dans sa mémoire. Prenez garde qu'un jour ne vienne où vous marcherez pieds nus dans les rues, tandis qu'elle vous éclaboussera dans son brillant équipage!

      – C'est-à-dire quand elle aura votre argent. Voilà donc cet homme si pauvre!

      – Et cependant, dit le vieillard laissant tomber sa voix et parlant en homme qui pense tout haut, combien nous sommes pauvres! quelle vie que la nôtre! Et quand on songe que c'est la cause d'une enfant, d'une enfant qui n'a jamais fait de tort ni de peine à personne, que nous soutenons… et que cependant nous ne réussissons à rien!.. Espoir et patience! c'est notre devise. Espoir et patience!»

      Ces paroles furent prononcées trop bas pour arriver aux oreilles des jeunes gens. M. Swiveller sembla penser que les mots inintelligibles marmottés par le vieillard étaient l'indice d'une lutte morale produite par la puissance de sa harangue; car il toucha son ami du bout de sa canne en lui insinuant la conviction où il était, qu'il avait jeté «le grappin» sur le vieux, et qu'il comptait bien obtenir un droit de courtage sur les bénéfices. Peu de temps après, il s'aperçut de sa méprise; il prit alors un air endormi et mécontent, et plus d'une fois il avait insisté sur ce qu'il était temps de partir promptement, lorsque la porte s'ouvrit et la petite fille parut en personne.

      CHAPITRE III

      Nelly était suivie de près par un homme âgé, dont les traits étaient remarquablement durs et repoussants. Cet homme était de si petite taille, qu'il eût pu passer pour un nain, bien que sa tête et sa figure n'eussent pas déparé le corps d'un géant. Ses yeux noirs, vifs et empreints d'une expression d'astuce, étaient sans cesse en mouvement, sa bouche et son menton hérissés du chaume d'une barbe dure et inculte. Il avait de ces teints qui ont toujours l'air malpropre ou malsain. Mais ce qui donnait à l'ensemble de sa physionomie quelque chose de plus grotesque encore, c'était un sourire sinistre qui semblait provenir d'une simple habitude sans avoir rapport à aucun sentiment de joie ou de plaisir, et mettait constamment en évidence le peu de dents jaunâtres éparpillées dans sa bouche, ce qui lui donnait l'aspect d'un dogue haletant. Son costume se composait d'un vaste chapeau rond à haute forme, de vêtements de drap noir usé, d'une paire de larges souliers, et d'une cravate d'un blanc sale chiffonnée comme une corde, de manière à laisser à découvert la plus grande partie de son cou roide et nerveux. Le peu de cheveux qu'il avait étaient d'un noir grisonnant, coupés ras, aplatis sur les tempes et retombant sur ses oreilles en frange dégoûtante. Ses mains, couvertes d'un véritable cuir à gros grains, étaient d'une odieuse malpropreté; il avait les ongles crochus, longs et jaunes.

      J'eus amplement le temps de noter ces traits caractéristiques; car, outre qu'ils étaient de nature à frapper sans plus ample examen, il se passa quelques instants avant que le silence, fût rompu. L'enfant s'avança timidement vers son frère et mit sa main dans la sienne. Le nain, si l'on veut bien nous permettre de l'appeler ainsi, avait embrassé d'un coup d'oeil pénétrant tous ceux qui étaient présents; et le marchand de curiosités, qui sans doute ne comptait pas sur cet étrange visiteur, semblait éprouver un profond embarras.

      «Ah! ah! dit le nain qui, la main posée au-dessus de ses yeux, avait regardé attentivement le jeune homme; ce doit être là votre petit-fils, voisin?

      – Vous voulez dire qu'il ne devrait pas l'être, répondit le vieillard; mais il l'est en effet.

      – Et celui-ci? demanda le nain, montrant Dick Swiveller.

      – C'est un de ses amis, aussi bienvenu que l'autre dans ma maison.

      – Et celui-là? demanda encore le nain, tournant sur ses talons et me montrant du doigt.

      – Un gentleman qui a eu la bonté de ramener Nell au logis l'autre soir qu'elle s'était égarée en revenant de chez vous.»

      Le petit homme se tourna vers l'enfant pour la gronder ou lui exprimer son étonnement; mais, comme elle était en train de causer avec le jeune homme, il se contint et pencha la tête afin d'entendre leur conversation.

      «Eh bien, Nelly, disait à haute voix le jeune homme, est-ce qu'on ne vous enseigne pas à me haïr, hein?

      – Non, non. Quelle horreur! Oh! non.

      – On vous enseigne à m'aimer, peut-être? dit-il en ricanant.

      – Ni l'un ni l'autre. Jamais on ne me parle de vous, jamais.

      – J'en suis persuadé, dit-il en lançant à son grand-père un regard farouche; j'en suis persuadé, Nell. Je vous crois.

      – Moi, je vous aime sincèrement, Fred.

      – Sans doute!

      – Je vous aime et vous aimerai toujours, répéta-t-elle avec une vive émotion; mais si vous vouliez cesser de le tourmenter, de le rendre malheureux, ah! je vous aimerais encore davantage.

      – Je comprends, dit le jeune homme qui s'inclina nonchalamment vers l'enfant et la repoussa après l'avoir embrassée. Là! maintenant que vous avez bien débité votre leçon, vous pouvez vous retirer. Il est inutile de pleurnicher. Nous ne nous quittons pas mal ensemble, si c'est cela qu'il vous faut.»

      Il demeura silencieux, la suivant du regard jusqu'à ce qu'elle eût regagné sa petite chambre et fermé la porte; se tournant ensuite vers le nain, il lui dit brusquement:

      «Écoutez-moi, monsieur…

      – C'est à moi que vous parlez? répliqua le nain. Mon nom est Quilp. Ce n'est pas long à retenir: Daniel Quilp.

      – Alors, écoutez-moi, monsieur Quilp. Vous avez un peu d'influence sur mon grand-père…

      – Un peu! dit l'autre avec un ton d'importance.

      – Vous êtes un peu dans la confidence de ses mystères, de ses secrets?

      – Un peu! répliqua Quilp sèchement.

      – Dites-lui donc de ma part, une fois pour toutes, qu'il doit s'attendre à me voir entrer ici et en sortir aussi souvent qu'il me conviendra, aussi longtemps qu'il gardera Nelly ici, et que, s'il veut se débarrasser de moi, il faut