Pierre Loius Ginguené

Histoire littéraire d'Italie (1


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trois premiers volumes de cet ouvrage ont paru en 1811; les deux suivans, en 1812; le sixième, en 1813 13; et les trois derniers, en 1819, après la mort de l'auteur. Le septième est tout entier de lui, à l'exception de quelques pages. Mais il n'y a guère qu'une moitié, tant du huitième que du neuvième, qui lui appartienne. L'autre moitié est de M. Salfi, qui, par ces supplémens, et par un tome dixième de sa composition, imprimé en 1823, a complété les annales littéraires de l'Italie jusqu'à la fin du seizième siècle. L'accueil honorable que l'ouvrage de Ginguené a reçu en France, en Italie, en Allemagne, en Angleterre, les traductions qui en ont été faites, et la seconde édition qu'on en donne aujourd'hui, quatre ans après la publication des derniers tomes de la première, ne nous laissent rien à dire ici sur le mérite de ces neuf volumes. Il paraît que le public leur assigne un rang fort élevé parmi les livres composés en prose française au dix-neuvième siècle; qu'il y trouve un heureux choix de détails et de résultats, de faits historiques et d'observations littéraires. Tiraboschi, dans une bien plus volumineuse histoire, n'avait guère recueilli que des faits; Ginguené y a su joindre, en un bien moindre espace, des considérations neuves et des analyses profondes. Il s'était donné une très-riche matière: il l'a disposée avec méthode, et sans chercher à la parer, il s'est appliqué et il a réussi à lui conserver toute sa beauté naturelle.

      Cependant lorsqu'après la publication et le succès des six premiers volumes, quelques-uns de ses amis, membres de l'Académie française, s'avisèrent de le porter à une place vacante dans cette compagnie, et lorsque, l'ayant fait consentir à cette candidature, ils croyaient avoir vaincu le plus grand obstacle, on ne le jugea pas digne encore d'un si grand honneur; et puisqu'il le faut avouer, il fut si peu sensible à ce déplaisir, que personne en vérité n'eut à regretter ni à se réjouir de le lui avoir donné: on l'avait, de tout temps, fort accoutumé à ces mésaventures. Présenté une fois par l'Institut, une autre fois par le Collége royal de France, pour remplir des chaires vacantes dans ce dernier établissement, il n'obtint ni l'une ni l'autre, quoiqu'il eût déjà montré à l'Athénée de Paris comment il savait remplir ce genre de fonctions. Quant aux pures faveurs, grandes ou petites, hautes ou vulgaires, il ne songeait point à les demander, et l'on s'abstenait de les lui offrir. Il n'était pas membre de la Légion-d'Honneur; mais enfin pourtant on l'inscrivit dans l'ordre demi-étranger de la Réunion; et cette distinction pouvait le flatter, comme moins prodiguée alors en France, et comme ayant quelque analogie avec ses ouvrages. On permit d'ailleurs aux académies de Turin et de la Crusca à Florence de le placer au nombre de leurs associés. En ses qualités de Breton, et de littérateur fort instruit, il était membre de l'académie celtique de Paris et de plusieurs autres.

      Au milieu des bouleversemens politiques et des intrigues littéraires, il a joui d'un bonheur inaltérable qu'il trouvait dans ses travaux, dans ses livres, au sein de sa famille et dans la société de ses amis. Il s'était composé une très-bonne plutôt qu'une très-belle bibliothèque, qui embrassait tous les genres de ses études, et dont un tiers à peu près consistait en livres italiens, au nombre d'environ 1,700 articles ou 3,000 volumes. Floncel et d'autres particuliers avaient possédé des collections plus amples, beaucoup plus riches et réellement bien moins complètes. La bibliothèque entière de Ginguené a été vendue à un seul acquéreur, qui l'a transportée en Angleterre. Elle était, avec sa modeste habitation de Saint-Prix, à peu près toute sa fortune, acquise par quarante-quatre années de travaux assidus, et par une conduite constamment honorable. La liste des amis d'un homme tel que lui n'est jamais bien longue; mais il eut le droit et le bonheur d'y compter Chamfort, Piccini, Cabanis, Parny, Lebrun, Chénier, Ducis, Alphonse Leroi, Volney, pour ne parler que de ceux qui ne sont plus et qui ont laissé comme lui d'immortels souvenirs. Tous leurs succès étaient pour lui, plus que les siens propres, de vives jouissances: mais il survivait à la plupart d'entre eux, et ne s'en consolait que par les hommages qu'obtenait leur mémoire, et qu'en voyant renaître dans les générations nouvelles, des talens dignes de remplacer les leurs. Entre les littérateurs jeunes encore, lorsqu'il achevait sa carrière, et dont les essais lui inspiraient de hautes espérances, on ne se permettra de nommer ici que M. Victorin Fabre, qu'il voyait avancer d'un pas rapide et sûr dans la route des lumières, du vrai talent et de l'honneur.

      Ginguené n'avait point d'enfans; mais depuis 1805, il était devenu le tuteur, le père d'un orphelin anglais. Ces soins, cette tendresse, et les progrès de l'élève qui s'en montrait digne, ont jeté de nouveaux charmes sur les onze dernières années de Ginguené. Le sort, qui l'avait trop souvent maltraité, lui devait cette indemnité, dit-il lui-même, dans l'une des trois épîtres en vers adressées par lui à James Parry: c'est le nom de cet excellent pupille, dont les vertus aujourd'hui viriles honorent et reproduisent celles de son bienfaiteur. Il lui disait encore dans cette épître:

      Tu vis ton ami, sans faiblesse,

      Subir un sort peu mérité,

      Mais tu ne vis point sa fierté

      Se soumettre à la vanité

      Du pouvoir ou de la richesse;

      Ni celle de qui la bonté,

      L'esprit et l'amabilité

      Sur mes jours répandent sans cesse

      Une douce sérénité,

      Flétrir, même par sa tristesse,

      Notre honorable adversité.

      Ginguené avait choisi, dans sa propre famille, l'épouse que ces derniers vers désignent, et à laquelle il n'a jamais cessé de rendre grâces de tout ce qu'il avait retrouvé de paix, de bonheur même, au sein des disgrâces et des infortunes.

      On s'est borné, dans cette notice, à recueillir les faits dont on avait une connaissance immédiate, et surtout ceux que Ginguené atteste dans ses propres écrits. Trois de ses amis, MM. Garat, Amaury Duval et Salfi, ont déjà rendu de plus dignes hommages à sa mémoire: M. Garat, dans un morceau imprimé à la tête du catalogue de la bibliothèque de Ginguené 14; M. Amaury Duval, dans les préliminaires du tome XIV de l'Histoire littéraire de la France 15; M. Salfi, à la fin du tome X de l'Histoire littéraire d'Italie 16. On doit infiniment plus de confiance à ces trois notices qu'aux articles qui concernent Ginguené, soit dans les recueils biographiques, soit aussi dans certains mémoires particuliers; par exemple, dans les relations que lady Morgan a intitulées la France. Cette dame, en 1816, a visité Ginguené dans son village de Saint-Prix, qu'elle appelle Eaubonne. Elle rapporte que, pressé de composer des vers contre Bonaparte déchu, il répondit qu'il laissait ce soin à ceux qui l'avaient loué tout puissant; et il paraît certain qu'il fit en effet cette réponse: elle convenait à son esprit et à son caractère. Mais lady Morgan ajoute que dans les cercles de gens éclairés, on ne prononçait jamais son nom qu'en y ajoutant une épithète charmante, qu'on ne l'appelait que le bon Ginguené. Il était sans doute du nombre des meilleurs hommes, mais non pas tout-à-fait de ceux auxquels on attribue tant de bonhomie. Exempt de méchanceté, il ne manquait ni de fierté ni de malice, et ne tolérait jamais dans ses égaux, jamais surtout dans ceux qui se croyaient ses supérieurs, aucun oubli des égards qui lui étaient dus, et que de son côté il avait constamment pour eux; car personne ne portait plus loin cette politesse exquise et véritablement française, qui n'est au fond que la plus noble et la plus élégante expression de la bienveillance. On le disait fort susceptible, à prendre ce mot dans une acception devenue, on ne sait trop pourquoi, assez commune, et dans laquelle il l'a employé lui-même en parlant de Jean-Jacques Rousseau. Mais quoiqu'il ait excusé les soupçons et presque les visions de cet illustre infortuné, il n'avait assurément pas les mêmes travers, et ne s'offensait que des torts réels. Il ne souffrait aucun procédé équivoque, et voulait qu'on eût avec lui autant de loyauté, autant de franchise, qu'il en portait lui-même dans toutes les relations sociales. Il n'y avait là que de l'équité; mais c'était, il faut en convenir, se montrer fort exigeant, ou fort en arrière des progrès que la civitisation venait de faire, de 1800 à 1814.

      Sa constitution physique, quoique