Pierre Loius Ginguené

Histoire littéraire d'Italie (1


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ardent de la religion, ne nous apprennent pas cependant la propriété des termes attiques, et l'élégance de la langue grecque. Ces prêtres sans doute montrèrent une malveillance honteuse envers les anciens poètes; mais ils donnèrent une grande preuve d'intégrité, de probité et de religion 44».

      Ces funestes effets d'un zèle mal entendu ne pouvaient être compensés par les moyens d'instruction employés dans les écoles. Il y en avait de particulières auprès de chaque église, où les jeunes ecclésiastiques étaient instruits, dit-on, dans les sciences divines et humaines 45; mais ce qui précède fait assez voir ce qu'on doit entendre par ces sortes d'humanités. Outre ces écoles privées, il y en avait un grand nombre de publiques, destinées à former de vaillants athlètes qui puissent défendre avec vigueur la foi et l'orthodoxie contre les hérétiques, les juifs et les gentils 46: or cette direction donnée aux écoles publiques par une religion dominante et exclusive, dut en peu de temps réduire toute l'instruction de la jeunesse à des questions de controverse et en bannir toutes les études, qui ne font que polir l'esprit, aggrandir l'âme, et l'élever de la connaissance au sentiment et à l'amour du beau. On sait que quand une fois le goût des lettres a commencé à se corrompre et à décliner chez un peuple, tous les efforts de la Puissance, toutes les influences dont elle dispose, suffisent à peine pour en retarder la chûte totale; qu'est-ce donc lorsque les choses en sont au point où nous les avons vues avant Constantin, et que les esprits reçoivent tout à coup une telle impulsion, qu'ils la reçoivent universelle et qu'elle reste permanente?

      Mais qu'arriva-t-il de cette révolution? ce qui était inévitable: c'est que les études ecclésiastiques elles-mêmes déchurent et tombèrent bientôt. On ne vit pas que ceux qui en avaient été les lumières s'étaient, dans leur jeunesse, nourris du suc littéraire qu'on ne peut tirer que de ces auteurs qu'on appelait profanes, comme si ce titre avait jamais pu s'appliquer à un Platon, à un Cicéron, à un Virgile, à un Sophocle, ou au divin Homère; qu'en retranchant aux esprits cette nourriture, pour les alimenter de questions de controverse, on leur faisait perdre non seulement la grâce, toujours nécessaire à la force, mais la force elle-même; qu'enfin les lettres ecclésiastiques étaient bien une branche de la littérature, et si l'on veut, la plus précieuse et la plus belle, mais que si l'on abattait, ou si on laissait dépérir le tronc, cette branche ne tarderait pas à éprouver le même sort.

      Aussi, dès le siècle suivant 47, vit-on commencer à se ternir ce grand éclat qu'avait jeté celui de Constantin et de Théodose 48. On y aperçoit encore un Cyrille, un Théodoret, un Léon et quelques autres 49; mais les connaisseurs dans ces matières voient en eux une grande infériorité; et une époque dont ils font toute la gloire, en est sûrement une de décadence et d'appauvrissement.

      Quant aux lettres, que nous n'appellerons point profanes, mais purement humaines, au milieu de leur décadence rapide, quelques noms surnagent encore dans les derniers siècles que nous venons de parcourir. Je ne parlerai point de Victorin le rhéteur 50, à qui pourtant on éleva de son vivant des statues publiques, et dont tous les auteurs de ce temps, S. Augustin entre autres 51 font des éloges sans mesure, mais qui nous a laissé des ouvrages de rhétorique et de grammaire, un commentaire sur deux livres de Cicéron 52, quelques écrits religieux, et un petit poëme sur les Machabées, où la grossièreté et l'obscurité du style, la médiocrité des idées, en un mot le défaut absolu de talent, déposent vigoureusement contre ces éloges et contre ces statues, ou plutôt nous attestent de la manière la moins suspecte quelle était la misère et la honte littéraire de ce temps. Un certain sophiste grec, nommé Proérésius, eut encore plus de renommée: des statues furent aussi dressées en son honneur, non seulement à Rome mais à Athènes. Celle de Rome portait une inscription qu'on peut rendre ainsi 53:

Rome, Reine du monde, au Roi de l'éloquence:

      Une des beautés de cette inscription est sans doute dans les quatre R initiales. Je n'en ai pu mettre que trois dans mon vers français.

      Sa vie a été longuement et pompeusement écrite 54: ses contemporains ne tarissent point sur sa louange. Il était chrétien, et cependant l'empereur Julien lui écrivit dans les termes de l'admiration la plus exagérée 55. Mais ce qu'il y a peut être de plus heureux pour lui, c'est qu'il ne nous est resté que ces éloges, et que nous n'avons aucun ouvrage de lui pour les démentir.

      L'art oratoire était réduit alors aux panégyriques directs et prononcés en présence, genre misérable, où l'orateur ne peut le plus souvent satisfaire l'orgueil, pas plus que blesser la modestie, ou même un reste de pudeur. Ceux qui se sont conservés et qu'on joint souvent au panégyrique par lequel Pline le jeune outragea l'amitié qui l'unissait avec Trajan, sans pouvoir lasser sa patience, sont bien au-dessous de ce chef-d'œuvre de l'adulation antique. Claude Mamertin, Eumène, Nazaire, Latinus Pacatus, les prononcèrent dans des occasions solennelles; le temps qui a dévoré tant de chefs-d'œuvre les a respectés, mais s'ils sont de quelque utilité pour l'Histoire civile et littéraire, ils en ont peu pour l'étude de l'art oratoire et pour la gloire de ces orateurs.

      Symmaque56 plus célèbre qu'eux tous, passa du plus haut degré de faveur et de gloire au comble de l'infortune. Théodose avait trouvé fort bon qu'il prononçât devant lui son panégyrique; mais lorsqu'il apprit que Symmaque avait aussi prononcé celui de ce tyran Maxime, qui avait régné quelque temps avant lui et qu'il avait, par politique, reconnu lui-même, il exila ce panégyriste trop flexible, le persécuta et le réduisit à se réfugier, quoique païen, dans une église chrétienne, pour mettre sa vie en sûreté 57. A entendre le poète Prudence, qui a pourtant écrit deux livres contre lui, ce Symmaque était un homme d'une éloquence prodigieuse 58, et supérieur à Cicéron lui-même: Macrobe le propose pour modèle du genre fleuri 59; d'autres auteurs renchérissent encore sur cet éloge; et cependant si nous voulons y souscrire, il faut nous dispenser de lire les dix livres de lettres qui nous restent seuls de lui. Cette lecture rend tout-à-fait inconcevables les louanges prodiguées à leur auteur 60.

      Deux recueils d'un autre genre renferment plusieurs productions littéraires de cette triste époque: ce sont ceux des anciens grammairiens, Ælius Donatus, Diomède, Priscien, Charisius de Pompéius Festus, Nonius Marcellus, etc. 61. Leur nom n'est guère connu que des érudits de profession, qui parlent d'eux plus encore qu'ils ne s'en servent. Il n'en est pas ainsi de Macrobe 62, dont nous avons des dialogues intitulés les Saturnales 63, remplis de détails curieux sur divers sujets d'antiquité, de mythologie, de poésie, d'histoire. C'est un recueil peu recommandable par le style (ce qui n'est pas étonnant, puisque la langue était déjà fort altérée et que de plus l'auteur 64 était étranger); mais il est précieux par l'explication d'un grand nombre de passages des auteurs classiques, principalement de Virgile, par des citations de lois et de coutumes anciennes enfin par des recherches curieuses et une grande variété d'objets. Ses deux livres de commentaires sur le fragment de Cicéron, connu sous le titre de Songe de Scipion, nous le montrent comme très-versé dans la philosophie platonicienne. Nous y voyons aussi qu'il savait en astronomie tout ce qu'on savait de son temps, et que de son temps on savait peu.

      Marcian Capella 65 dont il faut bien dire un mot, nous a laissé un ouvrage latin en neuf livres,