Жорж Санд

Histoire de ma Vie, Livre 2 (Vol. 5 - 9)


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ses draps de lit n'enlevassent le brillant de ses bottes. Il se releva donc sur le minuit, et vint dans ma chambre pour les examiner à la clarté du feu qui brillait encore dans la cheminée. Ma bonne, qui couchait dans un cabinet voisin, voulut le renvoyer. Ce fut impossible. Il me réveilla pour me montrer ses bottes, puis s'assit devant le feu ne voulant point dormir, car c'eût été perdre pour quelques instans le sentiment de son bonheur. Pourtant le sommeil vainquit cette ivresse, et quand ma bonne m'éveilla pour partir, nous vîmes Hippolyte qui s'était laissé glisser par terre et qui dormait sur le carreau, devant la cheminée.

      Je vis peut-être un peu moins ma mère à Paris dans l'hiver de 1811 à 1812. On m'habituait peu à peu à me passer d'elle, et, de son côté, sentant qu'elle se devait davantage à Caroline, qui n'avait pas de bonne maman pour la gâter, elle secondait le désir qu'on éprouvait de me voir prendre mon parti. J'eus, cette fois, des distractions et des plaisirs conformes à mon âge. Ma grand'mère était liée avec Mme de Fargès, dont la fille, Mme de Pontcarré, avait une fille charmante, nommée Pauline. On nous fit faire connaissance, et nous sommes restées intimement liées jusqu'à l'époque de nos mariages respectifs, qui nous ont éloignées l'une de l'autre, avec des circonstances que je raconterai en leur lieu. Pauline, qui fut plus tard une ravissante jeune fille, était un enfant blond, mince, un peu pâle, vif, agréable et fort enjoué. Elle avait une magnifique chevelure bouclée, des yeux bleus superbes, des traits réguliers. Elle avait, à peu de chose près, le même âge que moi. Comme sa mère était une femme de beaucoup d'esprit, l'enfant n'était point maniéré. Cependant, elle avait une meilleure tenue que moi, elle marchait plus légèrement et perdait beaucoup moins souvent ses gants et son mouchoir. Aussi ma grand'mère me la proposait-elle pour modèle à toute heure, moyen infaillible pour me la faire détester si j'avais eu l'amour-propre qu'on voulait me donner, et si je n'avais pas eu toute ma vie un besoin irrésistible de m'attacher aux êtres avec lesquels le hasard me fait vivre.

      J'aimais donc tendrement Pauline qui se laissa aimer: c'était là sa nature. Elle était bonne, sincère, aimable, mais froide. J'ignore si elle a changé. Cela m'étonnerait beaucoup.

      Nous prenions toutes nos leçons ensemble, et ma grand'mère n'ayant guère le temps, à Paris, de s'occuper de moi sous ce rapport, Mme de Pontcarré eut la bonté de m'associer aux études de Pauline, comme on associait Pauline à mes leçons. Il vint chez nous, pour nous deux, trois fois par semaine, un maître d'écriture, un maître de danse, une maîtresse de musique. Les autres jours, Mme de Pontcarré venait me chercher, et c'était elle-même qui se donnait la peine de nous faire repasser les principes et de nous mettre les mains sur son piano. Elle était excellente musicienne et chantait avec beaucoup de feu et de grandeur. Sa belle voix et les brillans accompagnemens qu'elle trouvait sur un instrument moins aigre et plus étendu que le clavecin de Nohant, augmentèrent mon goût pour la musique. Après la musique, elle nous enseignait la géographie et un peu d'histoire. Pour tout cela, elle se servait des méthodes de l'abbé Gaultier, qui étaient en vogue alors et que je crois excellentes. C'était une sorte de jeu avec des boules et des jetons comme au loto, et on apprenait en s'amusant.

      Elle était fort douce et encourageante avec moi; mais, soit que Pauline fût plus distraite, soit le grand désir qu'ont les mères de pousser leurs enfans à de rapides progrès, elle la brutalisait un peu, et lui pinçait même les oreilles d'une façon toute napoléonienne. Pauline pleurait et criait, mais la leçon arrivait à bonne fin, et, aussitôt après, Mme de Pontcarré nous menait promener et jouer chez sa mère qui avait un appartement au rez-de-chaussée et un jardin quelque part comme rue de la Ferme-des-Mathurins ou de la Victoire. Je m'y amusais beaucoup, parce que nous y trouvions souvent des enfans plus âgés que nous, il est vrai, de quelques années, mais qui voulaient bien nous inviter à leur colin-maillard et à leur partie de barres. C'étaient les enfans de Mme Debrosse, seconde fille, je crois, de Mme de Fargès, par conséquent les cousins de Pauline. Je ne me rappelle du garçon que le nom d'Ernest. La fille était déjà une assez grande personne relativement à nous. Mais elle était gaie, vive et fort spirituelle. Elle s'appelait Constance, et était alors au couvent des Anglaises, où nous avons été depuis, Pauline et moi. Il y avait aussi un jeune garçon qui s'appelait Fernand de Prunelet, dont la figure était agréable, malgré un énorme nez. Il était le doyen de nos parties de jeu, par conséquent le plus obligeant et le plus tolérant à l'égard des bouderies ou des caprices des deux petites filles. Nous dînions quelquefois tous ensemble et, après le dîner, on nous laissait nous évertuer dans la salle à manger, où nous faisions grand vacarme. Les domestiques, et même les mamans venaient aussi se mêler aux jeux. C'était une sorte de vie de campagne transportée à Paris, et j'avais grand besoin de cela.

      Je voyais aussi de temps en temps ma chère Clotilde, avec qui je me querellais beaucoup plus qu'avec Pauline, parce qu'elle répondait davantage à mon affection et ne prenait pas mes torts avec la même insouciance. Elle se fâchait quand je me fâchais, s'obstinait quand je lui en donnais l'exemple, et puis après c'étaient des embrassades et des transports de tendresse comme avec Ursule; mieux encore, car nous avions dormi dans le même berceau, nous avions été nourries du même lait, nos mères donnant le sein à celle de nous qui criait la première; et quoique, depuis, nous n'ayons jamais passé beaucoup de temps ensemble, il y a toujours eu entre nous comme un amour du sang plus prononcé encore que le degré de notre parenté. Nous nous considérions, dès l'enfance, comme deux sœurs jumelles.

      Hippolyte était en demi-pension. Dans l'intervalle des heures qu'il passait à la maison, et les jours de congé, il prenait la leçon de danse et la leçon d'écriture avec nous. Je dirai quelque chose de nos maîtres, dont je n'ai rien oublié.

      M. Gogault, le maître de danse, était danseur à l'Opéra. Il faisait grincer sa pochette et nous tortillait les pieds pour nous les placer en dehors. Quelquefois Deschartres, assistant à la leçon, renchérissait sur le professeur pour nous reprocher de marcher et de danser comme des ours ou des perroquets. Mais nous, qui détestions le marcher prétentieux de Deschartres, et qui trouvions M. Gogault singulièrement ridicule de se présenter dans une chambre comme un zéphyr qui va battre un entrechat, nous nous hâtions, mon frère et moi, de nous tourner les pieds en dedans aussitôt qu'il était parti, et, comme il nous les disloquait pour leur faire prendre la première position, nous nous les disloquions en sens contraire dans la crainte de rester comme il nous voulait arranger. Nous appelions ce travail en cachette la sixième position. On sait que les principes de la danse n'en admettent que cinq.

      Hippolyte était d'une maladresse et d'une pesanteur épouvantables, et M. Gogault déclarait que jamais pareil cheval de charrue ne lui avait passé par les mains. Ses changemens de pied ébranlaient toute la maison; ses battemens entamaient la muraille. Quand on lui disait de relever la tête et de ne pas tendre le cou, il prenait son menton dans sa main et le tenait ainsi en dansant. Le professeur était forcé de rire, tandis que Deschartres exhalait une sérieuse et véhémente indignation contre l'élève, qui croyait pourtant avoir fait preuve de bonne volonté.

      Le maître d'écriture s'appelait M. Loubens. C'était un professeur à grandes prétentions et capable de gâter la meilleure main avec ses systèmes. Il tenait à la position du bras et du corps, comme si écrire était une mimique chorégraphique: mais tout se tenait dans le genre d'éducation que ma grand'mère voulait nous donner; il fallait de la grâce dans tout. M. Loubens avait donc inventé divers instrumens de gêne pour forcer ses élèves à avoir la tête droite, le coude dégagé, trois doigts allongés sur la plume, et le petit doigt étendu sur le papier, de manière à soutenir le poids de la main. Comme cette régularité de mouvement et cette tension des muscles sont ce qu'il y a de plus antipathique à l'adresse naturelle et à la souplesse des enfans, il avait inventé: 1o pour la tête, une sorte de couronne en baleine; 2o pour le corps et les épaules, une ceinture qui se rattachait par derrière à la couronne, au moyen d'une sangle; 3o pour le coude, une barre de bois qui se vissait à la table; 4o pour l'index de la main droite, un anneau de laiton soudé à un plus petit anneau dans lequel on passait la plume; 5o pour la position de la main et du petit doigt, une sorte de socle en bois avec