Various

Choix de contes et nouvelles traduits du chinois


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car ces fleurs étaient surprenantes, extraordinaires: à la vue des promeneurs, elles augmentaient encore leur éclatante beauté, leur splendeur était doublée, elles semblaient sourire aux passants.

      Malgré l'étonnement mêlé d'effroi dont il était frappé, Tchang-Oey n'avait en rien du tout changé d'avis, il désirait toujours se rendre maître de ce lieu; et après l'avoir regardé une fois encore, une mauvaise pensée s'empara soudainement de son esprit, il rappela sa troupe: Allons-nous-en, dit-il. Et tous sortirent sur ses pas. Eh quoi! lui demandèrent ses amis, est-ce que votre Seigneurie n'a plus de goût pour ce jardin? J'ai un plan, répondit le jeune homme, un bon plan qu'il est inutile de vous exposer ici. Demain ce jardin doit être à moi. – Mais quel est donc ce fameux plan? – Le voici, reprit Tchang-Oey. Je viens d'apprendre que Wang-Sse de Pey-Tcheou, en pleine révolte contre l'empereur, a eu recours aux sortilèges: le ministre de la guerre a envoyé une circulaire qui ordonne de réprimer sévèrement les mauvaises doctrines, tant à l'armée que dans les départements, et d'emprisonner ceux qui s'adonnent à la magie. Le préfet de ce district a même promis 3,000 tsien8 de récompense, pour encourager les délations. Ce qui s'est passé hier dans le jardin de Tsieou-Sien me servira de texte. J'envoie mon affidé, Tchang-Pe, au palais, dénoncer cet individu comme pratiquant la magie; le vieux jardinier est torturé avec la dernière rigueur, il avoue: on le jette en prison, l'enclos est vendu au profit de l'état. Qui osera l'acheter? personne: il m'est donc dévolu, et de plus j'ai trois mille tsien de récompense.

      Les amis de Tchang approuvèrent très fort le plan de sa Seigneurie. Il était urgent de s'occuper de le réaliser; ayant donc pris toutes les mesures, ils allèrent à l'instant même à la ville pour y dresser leur accusation, que le lendemain Tchang-Pe eut ordre d'aller présenter au préfet de Ping-Kiang. Or, ce Tchang-Pe, le plus intelligent, le plus rusé des subordonnés de la maison Tchang, était aussi très versé dans les intrigues du palais: voilà pourquoi on le chargeait de cette affaire.

      Le juge suprême était précisément occupé à poursuivre les sorciers. En apprenant cette histoire dont tout le village avait été témoin, il ne put se refuser d'y croire, et envoya à l'instant même des satellites et des alguazils qui emmenèrent avec eux d'autres affidés du palais; quant à Tchang-Pe, il devait aller en avant donner le coup-d'œil, entrer le premier pour saisir le coupable. Tchang-Oey, grâce à quelques largesses, disposa toute l'affaire selon ses vues, et laissant Tchang-Pe passer le premier avec les alguazils, il se tint à l'arrière-garde avec ses amis.

      Le chef des recors pénétra dans le jardin: Tsieou-Sien, persuadé que c'était un amateur venu pour contempler ses pivoines, n'y prit pas garde. Mais toute la bande courut sur lui en poussant des cris, et on le garrotta comme un malfaiteur. Le vieillard criait aussi de toute sa force: Quel crime a donc commis le vieux Chinois, Messieurs? j'espère que vous le lui ferez au moins savoir! – Mais les sbires le chargeaient d'imprécations, l'appelant sorcier, bandit, et sans autre explication, ils l'entraînèrent hors du jardin.

      A cette vue, les voisins frappés de stupeur, accoururent en foule pour connaître la cause de cette conduite. – Qu'est-ce que vous demandez? leur répondit le chef de l'escouade; son crime n'est pas léger, et peut-être même que, vous autres habitants du village, vous en avez votre part. Les paysans stupides, effrayés par ces grands mots, n'eurent plus dans le cœur que de la crainte au lieu de zèle; et ils se dispersèrent précipitamment, redoutant encore de se trouver compromis. Hou-Kong et Tan-Lao, amis intimes et de vieille date du pauvre jardinier, se hasardèrent seuls à suivre de bien loin pour voir où tout cela devait aboutir.

      Or, Tchang-Oey, resté en arrière avec les siens, attendit que le propriétaire fût sorti, et s'étant assuré par une inspection minutieuse qu'il n'y avait plus personne dans le jardin, il en ferma la porte, et se rendit en hâte au tribunal.

      Le commandant des alguazils avait fait mettre le vieillard à genoux au milieu de la salle. Le pauvre Tsieou, prosterné sur les dalles, regardait tout autour de lui, et ne rencontrait pas un visage connu, mais il ignorait que les geôliers, soudoyés par son ennemi, s'apprêtaient à le torturer! En effet, ils apportèrent les instruments de supplice et attendirent.

      Le grand-juge commença son interrogatoire d'une voix menaçante: – Quel audacieux sorcier êtes-vous donc, vieillard, pour avoir osé dans ce pays abuser les cent familles par des artifices magiques? Si vous avez des complices, avouez-le sincèrement. Celui qui au milieu de l'obscurité entend éclater une bombe, sans savoir d'où elle est venue, n'est pas plus surpris que ne le fut Tsieou-Sien, en entendant ces mots. Il répondit donc pour s'excuser: J'ai toute ma vie habité le village de Tchang-Yo; il ne s'y trouve point de sorciers comme il peut y en avoir ailleurs; je ne sais vraiment pas de quels artifices magiques il est question. Mais ces jours passés, ajouta le juge, vous avez employé la magie pour remettre sur la tige les fleurs brisées, et vous avez le front de nier!

      Le texte de l'accusation fit voir clairement au vieillard que le trait avait été lancé par Tchang-Oey; il raconta donc en détail la manière dont son ennemi s'était comporté dans l'intention de s'emparer du jardin, et la visite de la jeune immortelle. Mais il ne songeait pas que le juge était trop obstiné pour ajouter foi à ce récit. Combien de gens, reprit le magistrat, en souriant, ont respecté les immortels et pratiqué la vertu sans avoir pu réussir à obtenir la visite des esprits; et vous, parce que vous avez pleuré vos fleurs, voilà qu'un être céleste consent à descendre du ciel. Au moins en partant il eût dû laisser son nom, afin qu'on pût le connaître! Est-ce qu'il s'en est allé sans faire d'adieux? Celui qui cherche à tromper par des paroles aussi artificieuses est bien évidemment un magicien; cela va sans se dire.

      Aussitôt s'étançant des deux côtés, les geôliers répondent tous ensemble à la voix du juge; pareils à une troupe de tigres, ils entourent brusquement le prisonnier, et vont lui serrer les pieds et les mains. Ils étaient sur le point de commencer la torture, lorsque le juge, saisi d'un étourdissement subit, faillit rouler au bas du tribunal; sa tête et ses yeux sont troublés par des vertiges; il ne peut demeurer sur son siège. Il ajourne donc au lendemain la suite de l'affaire, après avoir ordonné aux geôliers de conduire en prison le patient, chargé de la cangue.

      Tsieou-Sien, pleurant et sanglotant, s'en allait donc en prison sous l'escorte des gardiens, lorsque Tchang-Oey se présente à ses regards. Seigneur Tchang, s'écrie-t-il, je ne vous ai jamais, avant ce jour, donné aucun sujet de me haïr; je n'ai jamais été votre ennemi: pourquoi donc m'accabler de la sorte, et pourquoi chercher à m'arracher la vie? Mais le jeune seigneur, sans répondre, se joignit à Tchang-Pe et au reste de la bande, fit une pirouette et s'en alla.

      Les deux vieillards, Hou-Kong et Tan-Lao, vinrent au-devant de leur ami pour savoir ce qui s'était passé au tribunal. Quand ils en furent informés, ils lui dirent: C'est évidemment une injustice dont vous êtes victime, mais cela n'aura pas de suite; demain, nous tous habitants du village, nous signerons une pétition en votre faveur, et nous nous porterons caution; rassurez-vous!

      Ce que vous désirez faire serait bien utile, répondit Tsieou-Sien en gémissant … et les geôliers l'interrompirent par des injures: Allons, canaille de prisonnier, tu pleures au lieu d'avancer! – Et le vieillard arrêtant ses larmes, entra dans le cachot. Les voisins allèrent chercher du vin et des mets qu'ils déposèrent à la porte de la prison; mais qui d'entre les geôliers aurait eu la complaisance de lui faire passer ces vivres? Il les prirent pour eux, et s'en régalèrent.

      A la nuit, le pauvre jardinier fut étendu sur la planche qui sert de lit aux prisonniers; là, plus mort que vif, garrotté de manière à ne pouvoir allonger les pieds ni les mains, dans l'amertume de sa douleur il se livrait à ces pensées. Aurais-je pu prévoir qu'en rendant la vie à mes fleurs, cette jeune immortelle donnait à mon cruel ennemi l'occasion de me tyranniser ainsi? O jeune immortelle, si tu as pitié de Tsieou-Sien, viens donc, viens sauver ses jours en péril; je suis résolu à quitter le monde pour entrer dans la vie religieuse.

      Ces paroles l'agitaient encore lorsqu'il vit la même immortelle qui s'avançait doucement devant lui. Aussitôt il crie vers elle: Puissante immortelle, sauvez votre jeune frère, sauvez-le, en grâce! Tu veux donc que je t'arrache à ce danger, répondit la jeune fille; et à un signe de