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La vita Italiana nel Risorgimento (1815-1831), parte II


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amour-propre, meurtri dans ses affections intimes! Charles-Albert a épousé une archiduchesse Autrichienne. On donne à sa femme le pas sur lui, dans toutes les cérémonies. Encore, s'il l'aimait? mais non, il ne l'aime pas, il ne peut l'aimer. Le Prince souffre de la médiocrité de sa femme, comme il souffre de la médiocrité du roi, comme il souffre de celle du gouvernement, comme il souffre de tout ce qui l'entoure et l'étouffe.

      Quand on n'est pas heureux, on accueille la plainte d'autrui avec une sorte de volupté. Il semble que ce soit un soulagement d'entendre gémir. Charles-Albert en est là. Il voit triste, si je puis ainsi dire, et ne s'attache qu'aux gens qui voient comme lui. Hélas! il ne laisse que trop deviner ses intimes sentiments à ceux qui, autour de lui, ont intérêt à le desservir ou à le compromettre.

      Aussi, quand éclate la révolution, le Prince de Carignan en devient, aux yeux du plus grand nombre, l'éditeur responsable.

      Je n'ai pas à vous rappeler l'échauffourée de 1821. Le trône, un instant ébranlé, se raffermit bien vite. Charles-Félix succède au débonnaire Victor-Emmanuel. Il continue les errements de son frère avec plus de fermeté, et le Prince de Carignan, après avoir été l'éditeur responsable de la Révolution, en devient, pardonnez-moi le mot, le bouc émissaire.

      Il n'est pas, en histoire, d'épopée sans quelqu'épisode de deuil!

      Le 2 avril de cette année 1821, le Prince, banni de son pays, arrivait à Florence, et pouvait répéter cette plainte du Dante:

      «Je m'en vais dans le pays de notre langue, étranger et presque mendiant… et j'ai paru misérable à bien des gens qui m'avaient imaginé sous une autre forme…»

      Oui, on l'avait imaginé sous une autre forme, celui qu'on appelait à Turin, le Prince de la jeunesse. On l'avait acclamé comme une espérance. On ne voyait plus en lui qu'un vaincu, quelques-uns même ne voyaient en lui qu'un coupable; et cet enfant de 25 ans tombait écrasé sous la plus cruelle douleur qui existe ici-bas, la douleur d'être méconnu.

      Cette douleur frappait le Prince de Carignan en plein cœur, en pleine vie, en pleine illusion.

      Si l'étude que je poursuis devant vous était une étude purement historique, j'aurais à vous raconter ce qui s'était passé à Turin, ce qui se passa à Florence, ce qui allait se passer à Vérone.

      Mais je n'ai ici, qu'un médiocre souci des faits. C'est l'âme de mon malheureux prince, comme disait le vieux Costa qui avait eu l'honneur de l'accompagner à Florence, c'est cette âme mystérieuse que je veux continuer à interroger.

      «Le désespoir de mon prince, écrivait le fidèle écuyer, frise la folie.»

      Quelques-uns pourtant n'ont voulu voir dans ce désespoir qu'une ambition déçue. Mais pour être ambitieux, il faut croire à la vie. Charles-Albert ne semblait plus croire à grand chose de ce qu'elle promettait.

      Sans crainte d'exagérer, je puis dire que la vie lui était à charge, et qu'une étrange rupture s'était faite entre les ambitions humaines, et son âme endolorie.

      Le mysticisme qui n'avait fait jusque-là qu'effleurer le Prince, était en quelque sorte devenu le seul flambeau qui guidât ses pas, «dans la forêt sombre où il entrait au milieu de sa vie.»

      Ce fut à la lueur de ce flambeau que Charles-Albert poursuivit dès lors sa marche, interprétant à son gré l'éternelle vérité et adaptant le dogme, quelques fois la morale, aux passions de son cœur et aux rêves de son patriotisme.

      Le mysticisme est l'exagération du sentiment religieux.

      Comme toute exagération, il défigure ce qu'il prétend grandir, et compromet ce qu'il croit épurer. Vivant dans un surnaturel de convention, l'âme estime tout permis, croyant purifier jusqu'à ses fautes.

      «La guenille,» comme disait Henri IV, «ne perd jamais ses droits, et il arrive parfois à l'ange de faire la bête.»

      Peut-être la chose arriva-t-elle à Florence, quand le Prince associait le scapulaire à l'échelle de soie, le balcon de Juliette à la cellule de Savonarole, et envoyait dans un missel ses messages d'amour.

      Que voulez-vous?

      Trovai l'amor nel mezzo della via

      Con abito leggier di peregrino.

      Les défauts chez l'homme sont la fumée sans laquelle il n'est pas de flamme.

      Et ne retrouvez-vous pas cette flamme qui, douloureusement, consumait l'existence du Prince de Carignan, dans ce qui aurait dû l'embellir et la charmer?.. Ne la retrouvez-vous pas dans ce mot si désolé: «Je ne suis sûr de moi, ni en politique, ni en amour»?

      Mais si le temps peu à peu embaumait ses souffrances d'amour, les souffrances politiques, patriotiques (devrais-je dire) du prince, demeuraient sans remède.

      Il voyait, malgré les efforts d'une impitoyable réaction, le vieux monde s'abîmer, et il sentait sous ses pieds les frémissements du monde nouveau.

      «Eppur si muove,» disait Galilée.

      Eppur si muove, répétait celui dont une aveugle politique menaçait de paralyser à jamais l'élan et la clairvoyance.

      Tout cela date d'hier, et cependant, ne dirait-on pas Charles-Albert le héros de quelqu'une de ces chroniques qui se perdent dans les brumes du moyen-âge? Et ce roi Charles-Félix ne vous apparaît-il pas comme un type de souverain emprunté à quelque légende? et ce petit royaume qu'il gouvernait si sagement, ne vous rappelle-t-il pas quelqu'une de ces chapelles où les moines, jadis, chantaient éternellement l'office des morts?

      Que reste-t-il des répressions à outrance de 1821, des mœurs patriarcales du Piémont, du gouvernement paternel du bon Charles-Félix?

      On ne tue pas son successeur.

      Le successeur, c'est la réaction fatale. C'est l'explosion de la force comprimée. C'est la découverte qui bouleverse la routine. C'est l'idée nouvelle qui rompt avec la tradition.

      Et c'est toujours à la théorie par laquelle j'ai commencé cette étude qu'il faut revenir. C'est la souffrance qu'il faut donner pour point d'appui, ou plutôt pour compagne à tout grand effort «sur ce chemin de halage où,» comme dit Châteaubriand, «les hommes sacrifiés traînent le vieux monde vers un monde inconnu.»

      La souffrance devait frapper dans le prince de Carignan, le vieil or de Savoie à une effigie nouvelle, ne lui laissant de l'ancienne effigie que ses lauriers.

      Vous vous souvenez de cette fière devise du héros de Saint-Quentin: «Spoliatis arma supersunt

      Rien n'est désespéré pour un prince de Savoie quand on lui laisse son épée.

      C'est l'épée à la main qu'Emmanuel-Philibert a retrouvé la route de ses Etats.

      C'est au Trocadéro que Charles-Albert a reconquis son trône.

      Au premier coup de canon, l'âme héroïque de Savoie rentra dans ce corps alangui, mourant, et le fit revivre.

      «Mon prince est fou à lier,» écrivait le fidèle Costa. «Mais cette fois, il est fou de joie. Il nous faut des princes de cœur et de main, comme disait Henri IV; le mien est de ceux là.»

      Le descendant du Prince Eugène se battit à côté du petit fils de Louis XIV; on vit Charles-Albert montant à l'assaut, s'envelopper dans les plis du drapeau blanc avec le même amour que s'il eût été le sien, et l'on entendit l'armée française acclamer le prince italien. L'écho de ces acclamations se prolonge, Messieurs, et de l'autre côté des Alpes, les épaulettes rouges du Trocadéro se confondent encore dans un même souvenir avec les galons de laine de Palestro.

      Les chevaliers au moyen-âge avaient cette héroïque coutume de donner un nom à l'épée qui personnifiait leur bravoure.

      Il y avait, dit le poète, deux grandes épées,

      Dont les lames d'un flot divin furent trempées.

      L'une a pour nom Joyeuse, et l'autre Durandal.

      Sœurs jumelles de gloire, héroïnes d'acier,

      En