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La vita Italiana nel Risorgimento (1815-1831), parte II


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éprouvé une émotion pareille à celle qui m'a secoué, lorsqu'en ce moment, un immense cri de: – Vive le roi – s'est élevé de toutes les lignes…»

      Quelle mystérieuse intuition isolait donc le roi de l'enthousiasme qui l'entourait?

      Je ne sais rien de plus caractéristique que ces pressentiments du malheur qu'eut toujours Charles-Albert, pressentiments qui ne faisaient en quelque sorte qu'aviver sa passion du sacrifice. Cette fois encore, ils n'étaient pas pour le tromper.

      Aux victoires de Goito et de Peschiera, succédaient les défaites de Custoza et de Volta. Celles-ci n'étaient que le triste prélude du désastre de Milan.

      Je ne vous redirai pas ces navrantes épisodes. À grand peine, peut-on, le soir du 4 août, arracher le roi du champ de bataille. Depuis une heure déjà, le canon s'était tu, que Charles-Albert restait là encore sur les remparts de la ville, le visage tourné vers l'ennemi, espérant un boulet qui ne vint pas.

      La mort glorieuse du soldat, ce dernier, ce seul bonheur qu'il eût rêvé le fuyait comme tous les autres bonheurs. Mais les agonies pour cela ne devaient pas lui être épargnées.

      Il y a vraiment de singulières coïncidences, ou plutôt d'étranges ironies dans les choses. Vous souvenez-vous de ce balcon où Charles-Albert naguère apparaissait à Turin, agitant devant le peuple en délire l'écharpe aux trois couleurs italiennes? Vous souvenez-vous?

      Ce balcon s'appelait le balcon de Pilate. Ah! c'est bien encore de ce nom qu'aurait dû s'appeler le balcon du palais Greppi, où les Milanais insultèrent le lamentable Ecce homo que vous savez.

      La couronne de Charles-Albert ne fut plus qu'une couronne d'épines quand il eut repassé le Tessin.

      Il retrouvait son royaume en pleine anarchie, comme du reste l'était toute l'Europe.

      Le ministère Gioberti y avait déchaîné toutes les passions, ou plutôt toutes les incohérences. Il ne restait au roi qu'un parti à prendre, celui de la folie; folie sublime qui, seule, pouvait ramener l'union et la concorde dans les esprits troublés. On venait d'être battu par Radetzky. On résolut de recommencer la lutte. Cette fois, il n'était plus question d'arracher à l'Autriche la Lombardie, le Quadrilatère et Venise. Il s'agissait de l'honneur. Il s'agissait de ramener les cœurs et les esprits à des passions plus hautes que celles de la politique de parti.

      En effet, Messieurs, il n'est rien en ce monde pour parler un plus haut langage à une nation qu'un champ de bataille. Et il n'est pas de nation pour mieux comprendre ce langage que la vôtre.

      Quant au roi, rien ne pouvait plus l'atteindre en fait d'amertumes, de déboires, de déceptions, de sacrifices.

      Comme le Taciturne, il semblait dire:

      Pas n'a été besoin d'espérer pour entreprendre;

      Pas n'est besoin de réussir pour persévérer.

      Transportez-vous dans cette salle du Palais de Turin, où s'achèvent en hâte les derniers préparatifs du départ. Le roi, plus pâle, plus défait que jamais, donne ses derniers ordres.

      A côté de lui, la reine. Cette reine qu'il a épousée sans amour et qu'il ne paraît pas voir, hasarde en tremblant la terrible question:

      «Quando ci rivedremo, Carlo?»

      Et lui de répondre: «Forse mai.»

      Dans ce jamais est toute la fatalité de la situation. Le mot sonne comme un glas. Le roi, en effet, sait bien qu'il part, non pour vaincre, mais pour mourir.

      Impénétrable, impassible comme toujours, il suit la route funèbre: on le dirait déjà raidi par la mort.

      La nuit qui précède la bataille, il a toutes les visions sinistres du moribond. Il en a les mouvements convulsifs, les soubresauts, les effrois. On dirait qu'il voit des spectres.

      Cette fois la campagne fut courte. L'armistice était dénoncé le 14 mars 1849. Le 23, l'armée Piémontaise était vaincue à Novare. Et le soir même, Charles-Albert, entouré de ses fils et de son état-major, abdiquait.

      Dans une des salles du palais Bellini, à Novare, le roi est adossé à la cheminée.

      Le duc de Gênes et le duc de Savoie se tiennent à ses côtés. Les généraux font cercle devant lui. Charles-Albert demande s'il est possible de faire une trouée sur Verceil ou sur Alexandrie.

      «Non.»

      Alors, il se fait un grand silence dans cette pièce où se joue un des drames les plus poignants de ce siècle. Et ces soldats se sentent pénétrés pour leur maître d'une infinie compassion.

      Charles-Albert seul reste impassible.

      Il reprend de sa voix lente et grave:

      «Rien jusqu'ici, ne m'a coûté pour le bonheur du Piémont et de l'Italie. Je me sens maintenant un obstacle à ce bonheur. Pour que cet obstacle disparût, j'ai toute la journée cherché une balle sans la rencontrer. Il me reste l'abdication.»

      On se jette sur les mains du roi. On le conjure de renoncer à un projet si funeste. Mais lui reprend:

      «Je ne suis plus votre roi. – Votre roi le voilà, c'est mon fils Victor.»

      Et ce fut fini.

      Dieu avait enlevé au roi jusqu'à la force de souffrir, et dans la petite maison d'Oporto, Charles-Albert entama avec la mort qui, cette fois, venait au devant de lui, ce dialogue dont parle Michel-Ange:

      L'anima mia che con la morte parla.

      La mort lui disait qu'il ne verrait plus les maux de la patrie.

      Et lui répondait:

      Grato m'è il sonno e più l'esser di sasso

      Mentre che il danno e la vergogna dura

      Non veder, non sentir m'è gran ventura.

      Permettez-moi un dernier souvenir.

      Le roi mourant refusait la statue que l'Italie en deuil voulait lui élever.

      Le Tasse mourant refusait, lui aussi, les honneurs du Capitole.

      «C'est un cercueil qu'il me faut,» disait-il, «et non un char de triomphe. Si vous me réservez une couronne, gardez-la pour orner ma tombe.»

      Le Tasse mourut pendant qu'on préparait la couronne de lauriers, et la couronne fut déposée sur son cercueil.

      C'est de même sur le tombeau de Superga que vous avez déposé la couronne d'Italie.

················

      Messieurs, combien différente de votre souriant pays est cette rude Savoie, que j'ai traversée naguère pour venir jusqu'à vous. On dirait cette région hérissée de forêts, creusée de précipices qui, dans les visions de votre poète défendait les jardins d'Armide. Et voilà que, visionnaire à mon tour, il me semblait qu'un souffle faisait frémir les grands arbres, qu'un écho se répercutait aux rochers, que les torrents murmuraient des mots vagues. Il me semblait que des entrailles mêmes du sol, s'échappaient des voix lointaines. Tout cela parlait une langue que j'avais jadis entendue. C'était la langue des ancêtres; oui, c'était la langue qu'avaient parlée pendant huit cents ans, de l'autre côté des Alpes, les serviteurs et les soldats de la maison de Savoie. Mon cœur frissonnait à ces accents que je pourrais dire d'outre-tombe, et cependant j'admirais, en revoyant, comme un nid abandonné, ce château de Charbonnières qui fut le berceau de votre race royale, j'admirais la destinée des aigles qui s'en étaient envolés. Dieu, jadis, nous les avait donnés pour maîtres et pour amis, vous les avez choisis pour rois, ces princes, tour à tour politiques raffinés et soldats héroïques. Leur mission historique est aujourd'hui accomplie.

      Qu'importent, après la victoire, les péripéties, les angoisses de la lutte? Quel est le champ de bataille qui ne soit jonché de morts?

      Arrière donc les douloureux souvenirs et «Sempre avanti Savoja

      SILVIO PELLICO

CONFERENZADIAUGUSTO