Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 1 - (A)
bien être l'auteur des chapelles absidales de la cathédrale de Reims. Ces deux artistes composèrent ensemble une église sur un plan fort original, décrit par Villard 4.
C'est principalement dans les villes du nord qui s'érigent en communes au XIIe siècle que l'on voit l'architecture se dégager plus rapidement des traditions romanes. Le mouvement intellectuel dans ces nouveaux municipes du nord ne conservait rien du caractère aristocratique de la municipalité romaine; aussi ne doit-on pas être surpris de la marche progressive des arts et de l'industrie, dans un espace de temps assez court, au milieu de ces cités affranchies avec plus ou moins de succès, et de l'importance que devaient prendre parmi leurs concitoyens les hommes qui étaient appelés à diriger d'immenses travaux, soit par le clergé, soit par les seigneurs laïques, soit par les villes elles-mêmes.
Il est fort difficile de savoir aujourd'hui quelles étaient exactement les fonctions du maître de l'oeuvre au XIIIe siècle. Était-il seulement chargé de donner les dessins des bâtiments et de diriger les ouvriers, ou administrait-il, comme de nos jours, l'emploi des fonds? Les documents que nous possédons et qui peuvent jeter quelque lumière sur ce point, ne sont pas antérieurs au XIVe siècle, et à cette époque, l'architecte n'est appelé que comme un homme de l'art que l'on indemnise de son travail personnel. Celui pour qui l'on bâtit, achète à l'avance et approvisionne ses matériaux nécessaires, embauche des ouvriers, et tout le travail se fait suivant le mode connu aujourd'hui sous le nom de RÉGIE. L'évaluation des ouvrages, l'administration des fonds ne paraissent pas concerner l'architecte. Le mode d'adjudication n'apparaît nettement que plus tard, à la fin du XIVe siècle, mais alors l'architecte perd de son importance; il semble que chaque corps d'état traite directement en dehors de son action pour l'exécution de chaque nature de travail; et ces adjudications faites au profit du maître de métier, qui offre le plus fort rabais à l'extinction des feux, sont de véritables forfaits.
Voici un curieux document 5 qui indique d'une manière précise quelle était la fonction de l'architecte au commencement du XIVe siècle. Il s'agit de la construction de la cathédrale de Gérone; mais les usages de la Catalogne, à cette époque, ne devaient pas différer des nôtres, d'ailleurs il est question d'un architecte français.
Le chapitre de la cathédrale de Gérone se décide, en 1312, à remplacer la vieille église romane par une nouvelle, plus grande et plus digne. Les travaux ne commencent pas immédiatement, et on nomme les administrateurs de l'oeuvre (obreros), Raymond de Viloric et Arnauld de Montredon. En 1316 les travaux sont en activité, et on voit apparaître, en février 1320, sur les registres capitulaires, un architecte désigné sous le nom de maître Henry de Narbonne. Maître Henri meurt et sa place est occupée par un autre architecte son compatriote, nommé Jacques de Favariis; celui-ci s'engage à venir de Narbonne six fois l'an, et le chapitre lui assure un traitement de deux cent cinquante sous par trimestre (la journée d'une femme était alors d'un denier).» Voici donc un conseil d'administration qui probablement est chargé de la gestion des fonds, puis un architecte étranger, appelé, non pour suivre l'exécution chaque jour, et surveiller les ouvriers, mais seulement pour rédiger les projets, donner les détails, et veiller de loin en loin à ce que l'on s'y conforme; pour son travail d'artiste on lui assure, non des honoraires proportionnels, mais un traitement qui équivaut, par trimestre, à une somme de quinze cents francs de nos jours. Il est probable qu'alors le mode d'appointements fixe était en usage lorsqu'on employait un architecte.
À côté de tous nos grands édifices religieux, il existait toujours une maison dite de l'oeuvre, dans laquelle logeaient l'architecte et les maîtres ouvriers qui, de père en fils, étaient chargés de la continuation des ouvrages. L'oeuvre de Notre-Dame à Strasbourg a conservé cette tradition jusqu'à nos jours, et l'on peut voir encore dans une des salles de la maîtrise, une partie des dessins sur vélin qui ont servi à l'exécution du portail de la cathédrale, de la tour, de la flèche, du porche nord, de la chaire, du buffet d'orgues, etc. Il est de ces dessins qui remontent aux dernières années du XIIIe siècle, quelques-uns sont des projets qui n'ont pas été exécutés, tandis que d'autres sont évidemment des détails préparés pour tracer les épures en grand sur l'aire. Parmi ceux-ci on remarque les plans des différents étages de la tour et de la flèche superposés. Ces dessins datent du XIVe siècle, et il faut dire qu'ils sont exécutés avec une connaissance du trait, avec une précision et une entente des projections, qui donnent une haute idée de la science de l'architecte qui les a tracés (voy. ÉPURE, TRAIT).
Pendant le XVe siècle cette place élevée qu'occupaient les architectes des XIIIe et XIVe siècles, s'abaisse peu à peu; aussi les constructions perdent-elles ce grand caractère d'unité qu'elles avaient conservé pendant les belles époques. On s'aperçoit que chaque corps de métier travaille de son côté en dehors d'une direction générale. Ce fait est frappant dans les actes nombreux qui nous restent de la fin du XVe siècle; les évêques, les chapitres, les seigneurs, lorsqu'ils veulent faire bâtir, appellent des maîtres maçons, charpentiers, sculpteurs, tailleurs d'images, serruriers, plombiers, etc., et chacun fait son devis et son marché de son côté; de l'architecte, il n'en est pas question, chaque corps d'état exécute son propre projet. Aussi les monuments de cette époque présentent-ils des défauts de proportion, d'harmonie, qui ont avec raison fait repousser ces amas confus de constructions par les architectes de la renaissance. On comprend parfaitement que des hommes de sens et d'ordre comme Philibert Delorme par exemple, qui pratiquait son art avec dignité, et ne concevait pas que l'on pût élever, même une bicoque, sans l'unité de direction, devaient regarder comme barbare la méthode employée à la fin de la période gothique, lorsqu'on voulait élever un édifice. Nous avons entre les mains quelques devis dressés à la fin du XVe siècle et au commencement du XVIe où cet esprit d'anarchie se rencontre à chaque ligne. Le chapitre de Reims, après l'incendie qui, sous le règne de Louis XI, détruisit toutes les charpentes de la cathédrale et une partie des maçonneries supérieures, veut réparer le désastre; il fait comparaître devant lui chaque corps d'état: maçons, charpentiers, plombiers, serruriers, et il demande à chacun son avis, il adopte séparément chaque projet (voy. DEVIS). Nous voyons aujourd'hui les résultats monstrueux de ce désordre. Ces restaurations, mal faites, sans liaison entre elles, hors de proportion avec les anciennes constructions, ces oeuvres séparées, apportées les unes à côté des autres, ont détruit la belle harmonie de cette admirable église, et compromettent sa durée. En effet le charpentier était préoccupé de l'idée de faire quelque chef-d'oeuvre, il se souciait peu que sa charpente fût d'accord avec la maçonnerie sur laquelle il la plantait. Le plombier venait, qui ménageait l'écoulement des eaux suivant son projet, sans s'inquiéter si, à la chute du comble, elles trouveraient leurs pentes naturelles et convenablement ménagées dans les chéneaux de pierre. Le sculpteur prenait l'habitude de travailler dans son atelier, puis il attachait son oeuvre à l'édifice comme un tableau à une muraille, ne comprenant plus qu'une oeuvre d'art, pour être bonne, doit avant tout être faite pour la place à laquelle on la destine. Il faut dire à la louange des architectes de la renaissance qu'ils surent relever leur profession avilie au XVe siècle par la prépondérance des corps de métiers, ils purent rendre à l'intelligence sa véritable place; mais en refoulant le travail manuel au second rang ils l'énervèrent, lui enlevèrent son originalité, cette vigueur native qu'il avait toujours conservée jusqu'alors dans notre pays.
Pendant les XIIIe et XIVe siècles, les architectes laïques sont sans cesse appelés au loin pour diriger la construction des églises, des monastères, des palais. C'est surtout dans le nord de la France que l'on recrute des artistes pour élever des édifices dans le goût nouveau. Des écoles laïques d'architecture devaient alors exister dans l'Ile-de-France, la Normandie, la Picardie, la Champagne, la Bourgogne, en Belgique, et sur les bords du Rhin. Mais les moyens d'enseignement n'étaient probablement que l'apprentissage chez les patrons, ce que nous appelons aujourd'hui les ateliers. L'impulsion donnée à la fin du XIIe siècle et au commencement du XIIIe à l'architecture, fut l'oeuvre de quelques hommes, car l'architecture à cette époque est empreinte d'un caractère individuel qui n'exclut pas l'unité. Peu à peu cette individualité s'efface, on voit que des règles appuyées sur des exemples adoptés comme