mais son propriétaire voulait que personne ne puisse jamais la rallumer.
– Tu vois que ce n’était pas les batteries qui étaient déchargées, espèce de gros imbécile que tu es, s’écria le gros en s’adressant à son acolyte.
– Non, il n’y a aucune batterie à l’intérieur, poursuivit le nerd. Je crois qu’elle fonctionne avec une source d’énergie externe, une espèce de flux électromagnétique qu’elle arrive à capter et à transformer en puissance pure.
– Intéressant, commenta le maigrichon. Mais quelle est sa portée ?
– Plusieurs centaines de milliers de kilomètres, en théorie.
– Ah quand même ! s’exclama le gros en prenant l’étrange objet en main. Tu veux dire que cette petite chose pourrait transmettre un signal d’ici à la Lune ?
– Je crois bien que oui, et elle l’a probablement déjà fait.
– Et qu’est-ce qu’elle aurait donc transmis ?
– C’est là que ça devient intéressant, continua le jeune homme en affichant une nouvelle image sur le grand écran. Voilà les symboles qui sont apparus sur sa façade quand je l’ai réactivée.
– On dirait une espèce de langage antique, commenta le maigre. Il me semble que j’ai déjà vu ça quelque part.
– Oui, c’est du cunéiforme. Les Sumériens l’utilisaient plusieurs milliers d’années avant Jésus-Christ.
– Et qu’est-ce qu’ils font sur un instrument aussi avancé technologiquement ?
– C’est la langue de nos visiteurs extraterrestres.
– Tu veux dire que les énergumènes qui nous ont capturé parlent le cunéiforme ? demanda le gros, tout surpris.
– Euh –essaya d’expliquer le jeune homme- on ne peut pas dire qu’on parle le cunéiforme. C’est une forme d’écriture. Mais je crois que c’est bien leur langue.
– Et tu es arrivé à traduire ?
– En fait, pour que la commande soit envoyée, j’ai dû saisir une espèce de mot de passe. Concrètement, en effleurant les symboles dans un certain ordre, je l’ai passé en mode actif.
– Comme ce système qu’on utilise maintenant pour déverrouiller les portables ?
– Oui, plus ou moins, dit le nerd en souriant, heureux qu’ils aient enfin compris de quoi il s’agissait.
– Tu as vraiment fait un excellent travail, dit le gros, satisfait.
– Oui, mais on n’a toujours pas compris à quoi ça sert vraiment, répliqua le maigre, assez contrarié.
– Je pense pouvoir faire une hypothèse que je crois être assez réaliste, dit alors le jeune homme avec un filet de voix.
– Eh bien, qu’est-ce que tu attends ? lui lança le gros en s’approchant à quelques centimètres de lui.
– Je crois que c’est le système d’activation de la procédure d’autodestruction d’un vaisseau, entre autres fonctions que nous ne connaissons pas.
Les deux acolytes se regardèrent un instant, abasourdis, puis le gros s’écria, comme si on venait de lui faire le plus beau cadeau du monde :
– S’il te plaît, dis-moi que tu les as faits sauter.
– Les extraterrestres auront très probablement eu le temps de se mettre en sécurité, mais leur engin pourrait bien avoir connu un triste sort.
– Tu es un génie, mon garçon, s’écria le gros.
Puis il prit une clef USB de sa poche et ajouta :
– Copie là-dedans toutes les informations que tu as sur ce truc et efface tout ensuite. Si on découvre que tu as gardé ne serait-ce qu’un seul byte pour toi…
– Je sais, je sais. Vous me découpez en rondelles.
– Bravo. J’étais sûr que tu avais l’esprit vif.
La copie ne prit que quelques secondes. Après avoir retiré la clef de son ordinateur, le nerd la tendit au gros qui la lui prit aussitôt des mains. Puis, après avoir aussi attrapé l’étrange objet, et les avoir mis tous les deux dans la poche droite de son pantalon, il dit à son acolyte :
– Allons-y, mon vieux, nos rêves vont peut-être se réaliser.
Ils étaient presque sur le seuil quand le jeune homme s’écria :
– Eh, vous n’oubliez rien ?
– Quoi donc ? demanda le grand maigre.
– Le reste de mon argent.
– Ton argent ? répondit le gros. Remercie le ciel qu’on ne t’ait pas tordu le cou.
Et il claqua la porte derrière lui.
Constellation du Taureau – Planète Kérion
À soixante-cinq années-lumière de la Terre environ, la géante rouge appelée Aldebaran éclaire faiblement une planète désolée connue sous le nom de Kérion. Sa surface, qui n’est plus aujourd’hui couverte que de déserts arides, de secs paysages rocheux, de profondes gorges asséchées et de hauts-plateaux aplanis, n’a pas toujours été ainsi. Le lent déclin de la planète a commencé il y a dix mille ans environ, quand, pour des motifs encore inconnus, le fluide métallique qui permettait la rotation de son noyau commença lentement mais inexorablement à ralentir, provoquant la réduction progressive de son champ magnétique.
L’atmosphère de Kérion, autrefois composée majoritairement d’azote et de vingt pour cent de méthane environ, n’existe pratiquement plus aujourd’hui. N’étant plus filtrés par le puissant champ magnétique de la planète, les rayons néfastes provenant de son étoile l’ont progressivement dissoute et l’ont ramenée à 0.1 pour cent de ce qu’elle était initialement. Des mers d’hydrocarbures liquides occupaient auparavant presque la moitié de la surface de la planète. Des lacs de méthane et d’innombrables étendues de glace d’eau constellaient les zones émergées et la vie y prospérait, vigoureuse. Mais cet événement catastrophique semblait avoir marqué le destin de Kérion. Pendant des millénaires, ses occupants avaient essayé de trouver une solution pour réactiver la rotation du noyau, sans jamais y parvenir. Dès les premiers signes de ralentissement, ils avaient même tenté de très longs et périlleux voyages interstellaires à la recherche d’une planète semblable à la leur, où ils auraient pu migrer, mais aucune de ces missions ne fut jamais couronnée de succès.
Alors qu’ils avaient presque épuisé leurs ressources et étaient déjà quasiment résignés à leur inévitable extinction, l’un des esprits les plus brillants de la planète proposa ce qui, pour la majorité de la population, semblait être une folie absolue : se libérer de tout ce qui pourrait “ mourir ”. Le Kérien se consacra à une série d’expériences qui, en quelques décennies, l’amenèrent à extraire des corps matériels de ses semblables tout ce que nous pourrions définir comme “ âme ”, en la libérant de son lien avec le corps, jusqu’alors considéré comme indissoluble. L'essence de certains volontaires fut séparée de la matière vivante et implantée dans de nouvelles structures complètement mécaniques. Une nouvelle espèce naquit, entièrement enracinée dans des corps cybernétiques mais dotée d’une intelligence propre et de cette essence cosmique appelée âme, ou, plus simplement, vie.
La séparation des âmes de tous les habitants fut achevée en quelques années, mais le manque de matériaux adaptés à la réalisation des nouveaux corps cybernétiques ralentissait la translation. Il fut alors décidé de procéder à la conservation des “ essences ” dans des enveloppes ovoïdes dédiées à cet usage, de façon à pouvoir les préserver de la destruction jusqu’à ce que le nouvel exosquelette ne soit assemblé.
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