Nicky Persico

La Danse Des Ombres


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fromages, légumes frits, sauces onctueuses et parfumées, et toutes sortes de mets délicats. S’ajoutaient à cela deux bouteilles de vin et des verres.

      Tous lui proposèrent quelque chose (à l’exception cette fois du chien, qui au lieu de cela mastiquait lentement un os apparu d’on ne sait où), et ils le faisaient avec joie et générosité. Ils souhaitaient vraiment le voir accepter, comme s’ils savaient exactement ce que ressentait son estomac désormais relié à son esprit.

      Après un instant d’hésitation, il accepta, et en un rien de temps fit de la place sur ses genoux.

      Tous commencèrent à manger, doucement et calmement.

       Et lui, sourit de gratitude comme il put, la bouche pleine, mais sans pour autant être inconvenant.

      Quelle situation étrange. Mais quelle situation étrange. À présent, il éprouvait une sensation vraiment étrange. Un je-ne-sais quoi difficile à décrire, mais en l’espace d’un instant un mot lui traversa l’esprit. Un mot qui le laissait sceptique: heureux. Mais pourquoi? s’interrogea-t-il.

      Peut-être, se dit-il, parce que pour une fois les gens m’ont surpris. Et pourtant ils ne me connaissent même pas!

      Ce sont des gens simples. Sincères, courtois, généreux et attentionnés.

       Et il mangea de bon coeur, pour une fois. Pour la dernière fois.

      Puis, l’adolescent, entre un artichaut frit et un morceau de fromage affiné, prit la parole: «Alors, ce soir, qui commence?»

      Tous demeurèrent silencieux. Même le guichetier, chef de gare et contrôleur, qui, ayant retiré sa veste, s’était assis sur un accoudoir et prenait part au festin. Il y avait maintenant de tout à manger, y compris des sucreries et de la liqueur à la rose, que tout le monde se partageait.

      Tous ces passagers avaient, entre eux, une proximité naturelle. Comme s’ils se connaissaient depuis toujours. Comme si tout ceci était un rituel.

      En lui jetant un regard furtif, le jeune homme à l’air suffisant asséna au jeune garçon un coup de coude et d’un clignement d’oeil lui indiqua Asdrubale. En retour, avec naturel et sans hésitation, le jeune garçon poursuivit: «Ah oui, c’est vrai. Écoutez, Monsieur, nous prenons parfois ce train tous ensemble. Et pour passer le temps, vous savez, nous nous racontons d’amènes historiettes. Cela vous ennuierait-il?»

      Asdrubale demeura tout d’abord interdit, puis manifesta rapidement son assentiment, bien évidemment. Et à dire vrai, tout ceci l’intriguait au plus haut point. Il ne manquait plus que cela, à présent, à cette soirée.

      «Bien. Alors, qui a une histoire à raconter? Voulez-vous ouvrir le bal, Agnès?».

       La femme au visage poupin se mit à sourire. Elle parut quelque peu embarrassée, mais peina à dissimuler que cela la tentait.

      «Oh, eh bien, je ne sais pas. Bien sûr, après réflexion, j’en aurais bien une, très confidentielle, à raconter. Car, pour être exacte, il s’agit d’un secret, vous comprenez? Mais un secret unique. Un secret spécial.»

      À ces mots, seize yeux – dont ceux du contrôleur – s’écarquillèrent.

      «Racontez-nous Agnès! S’il vous plaît, racontez» fit le vieil homme au pain et au saucisson.»

      «Très bien. Si vous insistez. Mais gardez à l’esprit que ce que vous allez entendre est une histoire vraie. Un secret qui se transmet depuis des millénaires et que vous allez maintenant connaître. Mais vous ne devrez le révéler à personne. Même si vous en avez envie. Vous pourrez le raconter à une seule personne, mais cette personne – vous le savez – ne devra jamais le révéler.

      C’est pour cette raison qu’il s’agit toujours d’un secret.

      Et c’est pour cette raison qu’il restera un secret pour toujours.»

      Sur ces mots, la femme arbora un sourire énigmatique.

      Autour d’elle était tombé le silence de l’attente et les postures des corps, elles aussi, semblaient traduire la curiosité éveillée.

      Agnès prit une grande inspiration et s’éclaircit la voix. À l’aide de ses mains épaisses, elle rangea un petit paquet et posa son verre. Puis, elle prit donc la parole.

      «L’histoire que je vais vous raconter, Mesdames et Messieurs, est l’histoire de Pembaca. Mais, afin de pouvoir vous la conter comme il se doit, permettez-moi cette fois de me mettre debout.»

      Tous acquiescèrent, et la femme se leva. C’est ainsi qu’elle commença à raconter, d’une voix posée, avec emphase, application et manières théâtrales.

      La pierre polie était glissante et usée.

      Et ancienne. On pouvait le sentir à son odeur.

      Odeur de pas, d’histoires. De mer, de pain et d’amour.

      De temps passé. De mort et de passion, ayant frappé les personnes qui, sur ces pierres, étaient passées.

      Il faisait sombre, et aucune lumière ne venait éclairer cette nuit noire et sans étoiles.

      Dans la ruelle, ancienne et rongée par le temps, une bourrasque soudaine, et un léger frisson.

      Pembaca se recroquevilla sur lui-même et souleva le col de sa veste, au beau milieu de cette profonde nuit de juin.

      Il regarda autour de lui, circonspect: personne.

      Il ne savait pas exactement où il se trouvait: il avait franchi de quelques pas une arche en pierres, guidé par son instinct et le doux fracas du ressac dans le lointain.

      Il se mit en chemin après trois coups de cloche qui, depuis des siècles, marquaient l’heure.

      Trois coups.

      Et toujours l’obscurité et des pas silencieux. Les siens. Et rien d’autre.

      Mais quel était cet endroit enchanté? De quelles histoires avait-il été le théâtre?

      Les yeux fermés, il essaya d’imaginer les nombreuses aventures qui avaient tourbillonné au travers des époques: histoires de familles, d’amour, intrigues, complots, chances, déchéances, épreuves surmontées, et pêcheurs, qui avaient foulé ces pierres.

       Les destinées de ceux qui l’avaient précédé en ces lieux. Avant cette nuit sombre.

      Par toutes ces nuits de lune, d’étoiles, de calme ou de tempête.

      Et par toutes ces journées, chaudes et ensoleillées aux premières heures de l’après-midi ou glacées en hiver par les morsures du vent.

      L’histoire est ainsi faite.

      L’histoire de tout lieu en ce monde et celle de chacun d’entre nous.

      Ayant relevé les yeux, Pembaca parvint à distinguer, non sans peine, une grande horloge, sur la façade blanche face à lui.

      Il avait atteint une grande place blanche.

      Au-delà de la place, l’on pouvait apercevoir, une fois encore, une ruelle étroite.

      Le doux brisement du ressac sur les récifs, dans le lointain, le guida.

      Il était serein et avançait lentement, tout en respirant profondément, pour emplir à nouveau ses narines et ses poumons du parfum de l’Histoire, intense et captivant pour tous ses sens.

      Soudain, un bruit strident, et une lumière à peine perceptible.

      Il tressaillit, le cœur serré. «Qu’est-ce?», se demanda-t-il.

      Une lumière, une boule, un flocon lumineux, gauche et maladroit, avait effleuré une de ses épaules, très rapidement.

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