George Sand

Césarine Dietrich


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année d'examen je me résumai ainsi avec M. Dietrich:

      —Je resterai. Je ne suis pas nécessaire à votre fille. Personne ne lui est et ne lui sera, peut-être jamais nécessaire, car, ne vous y trompez pas, elle est une personne supérieure par elle-même; mais je peux lui être utile, en ce sens que je peux la confirmer dans l'essor de ses bons instincts. S'il venait à s'en produire de mauvais, je ne les détruirais pas, et vous ne les détruiriez pas plus que moi; mais à nous deux nous pourrions en retarder le développement ou en amortir les effets. Elle me le dit du moins, elle a pris de l'affection pour moi et me prie avec ardeur de ne pas la quitter. Moi, je me dis qu'elle mérite que je m'attache à elle, fallût-il souffrir quelquefois de mon dévouement.

      M. Dietrich m'exprima une très-vive reconnaissance, et je m'installai définitivement chez lui. Je donnai congé du petit appartement que j'avais voulu garder jusque-là, j'apportai mon modeste mobilier, mes petits souvenirs de famille, mes livres et mon piano à l'hôtel Dietrich, et je consentis à y occuper un très-joli pavillon que j'avais jusque-là refusé par discrétion. C'était le logement de mademoiselle Helmina, qui prenait celui de sa défunte belle-soeur et se trouvait ainsi sous la même clef que Césarine.

      J'eus dès lors une indépendance plus grande que je ne l'avais espéré. Je pouvais recevoir mes amis sans qu'ils eussent à défiler sous les yeux de la famille Dietrich. Le nombre en était bien restreint; mais je pouvais voir mon cher filleul tout à mon aise et le soustraire aux critiques probablement trop spirituelles que Césarine eût pu faire tomber sur sa gaucherie de collègien.

      Cette gaucherie n'existait plus heureusement. Ce fut une grande joie pour moi de retrouver mon cher enfant grandi et en bonne santé. Il n'était pas beau, mais il était charmant, il ressemblait à ma pauvre soeur: de beaux yeux noirs doux et pénétrants, une bouche parfaite de distinction et de finesse, une pâleur intéressante sans être maladive, des cheveux fins et ondulés sur un front ferme et noble. Il n'était pas destiné à être de haute taille, ses membres étaient délicats, mais très-élégants, et tous ses mouvements avaient de l'harmonie comme toutes les inflexions de sa voix avaient du charme.

      Il venait de terminer ses études et de recevoir son diplôme de bachelier. Je m'étais beaucoup inquiétée de la carrière qu'il lui faudrait embrasser. M. Dietrich, à qui j'en avais plusieurs fois parlé, m'avait dit:

      —Ne vous tourmentez pas; je me charge de lui. Faites-le moi connaître, je verrai à quoi il est porté par son caractère et ses idées.

      Toutefois, quand je voulus lui présenter Paul, celui-ci me répondit avec une fermeté que je ne lui connaissais pas:

      —Non, ma tante, pas encore! Je n'ai pas voulu attendre ma sortie du collège pour me préoccuper de mon avenir. J'ai eu pour ami particulier dans mes dernières classes le fils d'un riche éditeur-libraire qui m'a offert d'entrer avec lui comme commis chez son père. Pour commencer, nous n'aurons que le logement et la nourriture, mais peu à peu nous gagnerons des appointements qui augmenteront en raison de notre travail. J'ai six-cents francs de rente, m'avez-vous dit; c'est plus qu'il ne m'en faut pour m'habiller proprement et aller quelquefois à l'Opéra ou aux Français. Je suis donc très-content du parti que j'ai pris, et comme j'ai reçu la parole de M. Latour, je ne dois pas lui reprendre la mienne.

      —Il me semble, lui dis-je, qu'avant de t'engager ainsi tu aurais dû me consulter.

      —Le temps pressait, répondit-il, et j'étais sûr que vous m'approuveriez. Cela s'est décidé hier soir.

      —Je ne suis pas si sûre que cela de t'approuver. J'ignore si tu as pris un bon parti, et j'aurais aimé à consulter M. Dietrich.

      —Chère tante, je ne désire pas être protégé; je veux n'être l'obligé de personne avant de savoir si je peux aimer l'homme qui me rendra service. Vous voyez, je suis aussi fier que vous pouvez désirer que je le sois. J'ai beaucoup réfléchi depuis un an. Je me suis dit que, dans ma position, il fallait faire vite aboutir les réflexions, et que je n'avais pas le droit de rêver une brillante destinée difficile à réaliser. Je m'étais juré d'embrasser la première carrière qui s'ouvrirait honorablement devant moi. Je l'ai fait. Elle n'est pas brillante, et peut-être, grâce à la bienveillance de M. Dietrich, aviez-vous rêvé mieux pour moi. Peut-être M. Dietrich, par une faveur spéciale, m'eût-il fait sauter par-dessus les quelques degrés nécessaires à mon apprentissage. C'est ce que je ne désire pas, je ne veux pas appartenir à un BIENFAITEUR, quel qu'il soit. M. Latour m'accepte parce qu'il sait que je suis un garçon sérieux. Il ne me fait et ne me fera aucune grâce. Mon avenir est dans mes mains, non dans les siennes. Il ne m'a accordé aucune parole de sympathie, il ne m'a fait aucune promesse de protection. C'est un positiviste très-froid, c'est donc l'homme qu'il me faut. J'apprendrai chez lui le métier de commerçant et en même temps j'y continuerai mon éducation, son magasin étant une bibliothèque, une encyclopédie toujours ouverte. Il faudra que j'apprenne à être une machine le jour, une intelligence à mes heures de liberté; mais, comme il m'a dit que j'aurais des épreuves à corriger, je sais qu'on me laissera lire dans ma chambre: c'est tout ce qu'il me faut en fait de plaisirs et de liberté.

      Il fallut me contenter de ce qui était arrangé ainsi. Paul n'était pas encore dans l'âge des passions; tout à sa ferveur de novice, il croyait être toujours heureux par l'étude et n'avoir jamais d'autre curiosité.

      M. Dietrich, à qui je racontai notre entrevue sans lui rien cacher, me dit qu'il augurait fort bien d'un caractère de cette trempe, à moins que ce ne fût un éclair fugitif d'héroïsme, comme tous les jeunes gens croient en avoir; qu'il fallait le laisser voler de ses propres ailes jusqu'à ce qu'il eût donné la mesure de sa puissance sur lui-même, que dans tous les cas il était prêt à s'intéresser à mon neveu dès la moindre sommation de ma part.

      Je devais me tenir pour satisfaite, et je feignis de l'être; mais la précoce indépendance de Paul me rendait un peu soucieuse. Je faisais de tristes réflexions sur l'esprit d'individualisme qui s'empare de plus en plus de la jeunesse. Je voyais, d'une part, Césarine s'arrangeant, avec des calculs instinctifs assez profonds, pour gouverner tout le monde. D'autre part, je voyais Paul se mettant en mesure, avec une hauteur peut-être irréfléchie, de n'être dirigé par personne. Que mon élève, gâtée par le bonheur, crût que tout avait été créé pour elle, c'était d'une logique fatale, inhérente à sa position; mais que mon pauvre filleul, aux prises avec l'inconnu, déclarât qu'il ferait sa place tout seul et sans aide, cela me semblait une outrecuidance dangereuse, et j'attendais son premier échec pour le ramener à moi comme à son guide naturel.

      Peu à peu, l'influence de Césarine agissant à la sourdine et sans relâche, aidée du secret désir de sa tante Helmina, les relations que sa mère lui avait créées se renouèrent. Les échanges de visites devinrent plus fréquents; des personnes qu'on n'avait pas vues depuis un an furent adroitement ramenées: on accepta quelques invitations d'intimité, et à la fin du deuil on parla de payer les affabilités dont on avait été l'objet en rouvrant les petits salons et en donnant de modestes dîners aux personnes les plus chères. Cela fut concerté et amené par la tante et la nièce avec tant d'habileté que M. Dietrich ne s'en douta qu'après un premier résultat obtenu. On lui fit croire que la réunion avait été, par l'effet du hasard, plus nombreuse qu'on ne l'avait désiré. Un second dîner fut suivi d'une petite soirée où l'on fit un peu de musique sérieuse, toujours par hasard, par une inspiration de la tante, qui avait vu l'ennui se répandre parmi les invités, et qui croyait faire son devoir en s'efforçant de les distraire.

      La semaine suivante, la musique sacrée fit place à la profane. Les jeunes amis des deux sexes chantaient plus ou moins bien. Césarine n'avait pas de voix, mais elle accompagnait et déchiffrait on ne peut mieux. Elle était plus musicienne que tous ceux qu'elle feignait de faire briller, et dont elle se moquait intérieurement avec un ineffable sourire d'encouragement et de pitié.

      Au bout de deux mois, une jeune étourdie joua sans réflexion une valse entraînante. Les autres jeunes filles bondirent sur le parquet. Césarine ne voulut ni danser, ni faire danser; on dansa cependant, à la grande joie de mademoiselle Helmina et à la grande stupéfaction des domestiques. On se