(astronomie) de ce temps-là.
Il avait beaucoup de goût pour les arts, la musique surtout, et il avait étudié le dessin auprès de son ami Giotto et de Cimabue. Quant à la poésie, bien «qu'il se fût de bonne heure exercé à rimer», c'est à son amour pour Béatrice, morte en 1290, qu'il rapporte lui-même le développement de ses instincts poétiques.
On paraît assez incertain au sujet de la part qu'a pu prendre à son éducation Brunetto Latini, dont il parle dans la Comédie avec des expressions d'une reconnaissance attendrie.[9]
Brunetto Latini était né à Florence en 1210; il y est mort en 1284. Il était en 1263 à Paris, et il a fait un long séjour en France. Il ne rentra à Florence qu'en 1266, avec les autres exilés Guelfes. Ce n'est donc qu'après l'âge de dix-neuf ans que Dante a pu s'entretenir avec lui, car il ne s'est agi peut-être que d'un commerce plutôt intellectuel et aflectueux que d'un enseignement proprement dit.
On ne peut pas prendre à la lettre les témoignages excessifs que nous trouvons dans la Vita nuova de la passion de Dante pour Béatrice. Il ne faudrait pas nous le représenter, comme on pourrait être tenté de le faire, passant son temps à courir les rues à la recherche de cette beauté dont son coeur ne pouvait se détacher. Ce serait, dit M. Del Lungo, en faire un Dante ridicule.[10]
S'il a pu concevoir dès son enfance une passion qui ne devait jamais s'éteindre (en dépit d'éclipses passagères), on doit croire que, dans cette âme extraordinaire, la pensée et l'imagination n'ont pas dû montrer une moindre précocité.
Le désordre où vivait la société d'alors, les révolutions incessantes que subissait le gouvernement de son pays, le spectacle humiliant et scandaleux qu'offrait le gouvernement de l'Église, depuis le trône de saint Pierre jusqu'aux dernières ramifications du monde ecclésiastique, ont dû faire éclore de bonne heure, dans cette tête puissante et dans ce coeur d'une merveilleuse sensibilité, bien des rêves étranges et des conceptions extraordinaires, s'agiter bien des doutes cuisans, peut-être même se former déjà des fantasmagories délirantes.
Dante menait pendant cette première jeunesse une vie assez retirée[11], et ne paraît pas avoir précisément vécu dans le monde, comme nous entendons ce mot, où peut-être sa situation personnelle ne l'appelait pas, et dont son propre caractère pouvait l'éloigner. Cependant il avait des amis parmi les jeunes gens de son âge, et il paraît les avoir choisis parmi les jeunes littérateurs les plus distingués, les rimeurs, comme on les appelait alors, et il était lui-même un rimeur.
Du reste, il ne nous éclaire pas lui-même sur son genre de vie et ses habitudes. On peut remarquer que, soit dans les récits en prose de la Vita nuova, soit dans les vers qu'ils encadrent, il ne s'écarte pas un instant de ce qui touche à Béatrice, qu'il s'agisse d'incidens quelconques ou de sa propre pensée.
Les moeurs étaient sans doute très relâchées à Florence. Boccace nous dit que c'est un sujet d'étonnément (una piccola maraviglia) qu'alors qu'on fuyait tout plaisir honnête, et qu'on ne songeait qu'à se procurer des plaisirs conformes alla propria lascivia, Dante ait pu aimer autrement.[12] Du reste, le poète a exprimé lui-même l'étonnement que pourrait causer l'empire que «tant de jeunesse avait pu exercer sur ses passions et ses impulsions».[13]
Cependant, si la pureté de sa passion pour Béatrice n'a subi aucune tache, il ne paraît pas que l'on puisse en dire autant pour ce qui concerne d'autres périodes de son existence.
La virulente admonestation qu'il se fait adresser par l'Ombre de Béatrice au sommet du Purgatoire[14] est une confession touchante des écarts dont il témoigne un repentir si poignant.
A quelle époque peut-on faire remonter ces allusions à certains incidens dont on a cru retrouver quelques indices dans l'oeuvre du Poète, et qu'a rassemblés la légende? dirons-nous la malignité?
Ce n'est sans doute pas dans les années qui ont suivi la mort de Béatrice. Ce n'est pas alors que nous les savons remplies par les études auxquelles il se livrait avec un tel entraînement, et par les préoccupations de la vie politique où il entrait, que nous pouvons lui attribuer avec quelque vraisemblance des habitudes de dissipation.[15]
Lorsque la Béatrice du Purgatoire lui reprochait, sous le voile de l'allégorie, de s'être abandonné aux vanités du plaisir, alors qu'il n'avait plus l'excuse de la jeunesse et de l'inexpérience[16], Dante nous laisse clairement deviner que c'est au temps de sa maturité, c'est-à-dire de sa vie errante d'exilé, que doivent être rapportés ses faiblesses et ses remords.
Il est encore un point que je voudrais toucher.
On s'est plu à voir dans la Divine Comédie une construction architecturale (Giuliani) dont le plan aurait été arrêté par le Poète de temps en quelque sorte immémorial, et dont la conception remonterait aux époques mêmes de sa jeunesse; et l'on s'appuie sur maint passage de la Vita nuova dont l'interprétation est en effet assez problématique.
Je ne crois pas qu'il en soit ainsi.
La Vita nuova est une oeuvre qui déborde de jeunesse et d'illusion; c'est au bord de clairs ruisseaux ou dans des milieux mondains que la scène se déroule, et les douleurs les plus poignantes y revêtent une douceur infinie; et, si le coeur se révolte, ce n'est que contre la nature et ses décrets impitoyables, et l'âme du Poète ne semble atteinte que par les blessures que ceux-ci lui ont infligées.
La Divine Comédie est l'oeuvre d'un âgé mûri, et qui a traversé les expériences les plus terribles et les épreuves les plus cruelles de la vie. Elle est l'expression des amertumes, des rancunes, des indignations que laissent les déceptions, les iniquités, et les trahisons. Elle est le cri d'un coeur torturé par la méchanceté des hommes.
Je ne pense donc pas que le poète de la Vita nuova, quand il la composa, ait eu une intuition prévise de la Divine Comédie. Quant aux passages auxquels je viens de faire allusion, et sur lesquels j'aurai à revenir dans mes Commentaires, il faut croire qu'ils y auront été introduits par de tardives interpolations.
III
Si l'on veut comprendre la construction et, si je puis ainsi dire, l'économie littéraire de la Vita nuova, il est nécessaire de jeter un coup d'oeil sur l'état de la littérature au moyen âge.
Pendant la longue période à laquelle on a donné ce nom, tandis que les moines, penchés sur les manuscrits héroïques de l'antiquité, préparaient à la Renaissance un héritage qu'ils lui conservaient pieusement, et tandis qu'une jeunesse avide de savoir se pressait de toutes parts vers les écoles célèbres d'alors, —pour s'y battre à coups des syllogismes sur le dos de la scolastique,—deux langues se formaient, la langue Italienne et la langue Française. Après avoir secoué le joug du latin, elles s'essayaient dans des idiomes, informes d'abord, puis devenus peu à peu capables de vivre de leur vie propre.
Dans les régions qui devaient être un jour le coeur de la France, les contes, les fabliaux, les mystères, s'inspiraient d'une verve libre, ironique, frondeuse, familière, souvent grossière, où Boccace a puisé ce qui lui a été depuis repris si largement. Les chansons de geste venaient y mêler leurs accens héroïques, et une