pas de réponse, il fit jouer le ressort de sa lanterne, et il aperçut Gourel à côté de lui qui dormait profondément.
« Qu’est-ce que j’ai à souffrir ainsi ? pensait-il… de véritables tiraillements… Ah ça ! Mais j’ai faim ! Tout simplement je meurs de faim ! Quelle heure est-il donc ? »
Sa montre marquait sept heures vingt, mais il se rappela qu’il ne l’avait pas remontée. La montre de Gourel ne marchait pas davantage.
Celui-ci cependant s’étant réveillé sous l’action des mêmes souffrances d’estomac, ils estimèrent que l’heure du déjeuner devait être largement dépassée, et qu’ils avaient déjà dormi une partie du jour.
– J’ai les jambes tout engourdies, déclara Gourel… et les pieds comme s’ils étaient dans de la glace… Quelle drôle d’impression !
Il voulut se frictionner et reprit :
– Tiens, mais ce n’est pas dans la glace qu’ils étaient mes pieds, c’est dans l’eau… Regardez, chef… Du côté de la première porte c’est une véritable mare…
– Des infiltrations, répondit M. Lenormand. Remontons vers la seconde porte, tu te sécheras…
– Mais qu’est-ce que vous faites donc, chef ?
– Crois-tu que je me laisserai enterrer vivant dans ce caveau ?… Ah ! Non, je ne suis pas encore d’âge… Puisque les deux portes sont fermées, tâchons de traverser les parois.
Une à une il détachait les pierres qui faisaient saillie à hauteur de sa main, dans l’espoir de pratiquer une autre galerie qui s’en irait en pente jusqu’au niveau du sol. Mais le travail était long et pénible, car, en cette partie du souterrain, les pierres étaient cimentées.
– Chef chef, balbutia Gourel, d’une voix étranglée…
– Eh bien ?
– Vous avez les pieds dans l’eau.
– Allons donc ! Tiens, oui… Ma foi, que veux-tu !… on se séchera au soleil.
– Mais vous ne voyez donc pas ?
– Quoi ?
– Mais ça monte, chef, ça monte…
– Qu’est-ce qui monte ?
– L’eau…
M. Lenormand sentit un frisson qui lui courait sur la peau. Il comprenait tout d’un coup. Ce n’était pas des infiltrations fortuites, mais une inondation habilement préparée et qui se produisait mécaniquement, irrésistiblement, grâce à quelque système infernal.
– Ah ! La fripouille, grinça-t-il… Si jamais je le tiens, celui-là !
– Oui, oui, chef, mais il faut d’abord se tirer d’ici, et pour moi…
Gourel semblait complètement abattu, hors d’état d’avoir une idée, de proposer un plan.
M. Lenormand s’était agenouillé sur le sol et mesurait la vitesse avec laquelle l’eau s’élevait. Un quart de la première porte à peu près était couvert, et l’eau s’avançait jusqu’à mi-distance de la seconde porte.
– Le progrès est lent, mais ininterrompu, dit-il. Dans quelques heures, nous en aurons pardessus la tête.
– Mais c’est effroyable, chef, c’est horrible, gémit Gourel.
– Ah ! Dis donc, tu ne vas pas nous ennuyer avec tes jérémiades, n’est-ce pas ? Pleure si ça t’amuse, mais que je ne t’entende pas.
– C’est la faim qui m’affaiblit, chef, j’ai le cerveau qui tourne.
– Mange ton poing.
Comme disait Gourel, la situation était effroyable, et, si M. Lenormand avait eu moins d’énergie, il eût abandonné une lutte aussi vaine. Que faire ? Il ne fallait pas espérer que Ribeira eût la charité de leur livrer passage. Il ne fallait pas espérer davantage que les frères Doudeville pussent les secourir puisque les inspecteurs ignoraient l’existence de ce tunnel.
Donc, aucun espoir ne restait… aucun espoir que celui d’un miracle impossible…
– Voyons, voyons, répétait M. Lenormand, c’est trop bête, nous n’allons pas crever ici ! Que diable ! Il doit y avoir quelque chose… éclaire-moi, Gourel.
Collé contre la seconde porte, il l’examina de bas en haut, dans tous les coins. Il y avait de ce côté, comme de l’autre probablement, un verrou, un énorme verrou. Avec la lame de son couteau il en défit les vis, et le verrou se détacha.
– Et après ? demanda Gourel.
– Après, dit-il, eh bien, ce verrou est en fer, assez long, presque pointu ça ne vaut certes pas une pioche, mais, tout de même, c’est mieux que rien… et…
Sans achever sa phrase, il enfonça l’instrument dans la paroi de la galerie, un peu avant le pilier de maçonnerie qui supportait les gonds de la porte. Ainsi qu’il s’y attendait, une fois traversée la première couche de ciment et de pierres, il trouva la terre molle.
– À l’ouvrage ! s’écria-t-il.
– Je veux bien, chef, mais expliquez-moi…
– C’est tout simple, il s’agit de creuser, autour de ce pilier, un passage de trois ou quatre mètres de long qui rejoindra le tunnel au-delà de la porte et nous permettra de filer.
– Mais il faudra des heures, et pendant ce temps l’eau monte.
– éclaire-moi, Gourel.
L’idée de M. Lenormand était juste et, avec un peu d’effort, en attirant à lui et en faisant tomber dans le tunnel la terre qu’il attaquait d’abord avec l’instrument, il ne tarda pas à creuser un trou assez grand pour s’y glisser.
– À mon tour, chef ! dit Gourel.
– Ah ! Ah ! Tu reviens à la vie ? Bien, travaille… Tu n’as qu’à te diriger sur le contour du pilier.
À ce moment l’eau montait jusqu’à leurs chevilles. Auraient-ils le loisir d’achever l’œuvre commencée ? À mesure qu’on avançait elle devenait plus difficile, car la terre remuée les encombrait davantage, et, couchés à plat ventre dans le passage, ils étaient obligés à tout instant de ramener les décombres qui l’obstruaient.
Au bout de deux heures, le travail en était peut-être aux trois quarts, mais l’eau recouvrait leurs jambes. Encore une heure, elle gagnerait l’orifice du trou qu’ils creusaient.
Cette fois, ce serait la fin.
Gourel, épuisé par le manque de nourriture, et de corpulence trop forte pour aller et venir dans ce couloir de plus en plus étroit, avait dû renoncer. Il ne bougeait plus, tremblant d’angoisse à sentir cette eau glacée qui l’ensevelissait peu à peu.
M. Lenormand, lui, travaillait avec une ardeur inlassable. Besogne terrible, œuvre de termite, qui s’accomplissait dans des ténèbres étouffantes. Ses mains saignaient. Il défaillait de faim. Il respirait mal un air insuffisant, et, de temps à autre, les soupirs de Gourel lui rappelaient l’épouvantable danger qui le menaçait au fond de sa tanière.
Mais rien n’eût pu le décourager, car maintenant il retrouvait en face de lui ces pierres cimentées qui composaient la paroi de la galerie. C’était le plus difficile, mais le but approchait.
– Ça monte, cria Gourel, d’une voix étranglée, ça monte. M. Lenormand redoubla d’efforts. Soudain la tige du verrou dont il se servait jaillit dans le vide. Le passage était creusé. Il n’y avait plus qu’à l’élargir, ce qui devenait beaucoup plus facile maintenant qu’il pouvait rejeter les matériaux devant lui. Gourel, fou de