se sont complètement adaptés à la vie terrestre. Chez leurs ancêtres directs, les Amphibies, comme chez les Poissons, cet appareil protecteur fait encore défaut: il était superflu chez ces animaux aquatiques. A l'acquisition de ces enveloppes se rattachent, chez tous les Amniotes, deux changements: premièrement, la disparition complète des branchies (tandis que les arcs branchiaux et les fentes qui les séparaient se transmettent sous forme d'«organes rudimentaires») et deuxièmement la formation de l'allantoïde. Ce sac plein d'eau, en forme de vésicule, se développe chez l'embryon de tous les Amniotes aux dépens de l'intestin postérieur et n'est pas autre chose que la vessie urinaire agrandie des Amphibies ancestraux. Ses parties interne et inférieure formeront plus tard la vessie définitive des Amniotes, tandis que la partie externe, la plus grande, entre en régression. D'ordinaire l'allantoïde joue, pendant quelque temps, un rôle important dans la respiration de l'embryon par ce fait que d'importants vaisseaux s'étalent sur sa paroi. La formation des enveloppes embryonnaires (amnion et sérolemme), aussi bien que celle de l'allantoïde, a lieu chez l'homme absolument de la même manière que chez tous les autres Amniotes et par les mêmes processus compliqués de développement: l'homme est un véritable Amniote.
Le placenta de l'homme.—La nutrition de l'embryon humain dans la matrice a lieu, on le sait, au moyen d'un organe spécial, extrêmement vascularisé, qu'on appelle placenta ou «gâteau vasculaire». Cet important organe de nutrition forme un disque orbiculaire spongieux, de 16 à 20 centimètres de diamètre, 3 à 4 centimètres d'épaisseur, et pèse de 1 à 2 livres; après la naissance de l'enfant il se détache et il est expulsé sous le nom d'arrière-faix. Le placenta comprend deux parties toutes différentes: le gâteau fœtal ou placenta de l'enfant (Pl. fœtalis) et le gâteau maternel ou gâteau vasculaire maternel (Pl. uterina). Ce dernier contient des sinus sanguins bien développés qui reçoivent le sang amené par les vaisseaux utérins. Le gâteau fœtal, au contraire, est formé de nombreuses villosités ramifiées qui se développent à la surface de l'allantoïde de l'enfant et tirent leur sang de ses vaisseaux ombilicaux. Les villosités creuses, remplies par le sang du gâteau fœtal, pénètrent dans les sinus sanguins du gâteau maternel et la mince cloison qui les sépare l'un de l'autre s'amincit tellement qu'un échange direct des matériaux nutritifs du sang peut avoir lieu (par osmose) à travers elle.
Dans les groupes primitifs les plus inférieurs de Placentaliens, la superficie tout entière de l'enveloppe externe de l'embryon est couverte de nombreuses petites villosités; ces «villosités du chorion» pénètrent dans des excavations de la muqueuse utérine et s'en détachent aisément lors de la naissance. C'est le cas chez la plupart des Ongulés (par exemple, le porc, le chameau, le cheval); chez la plupart des Cétacés et des Prosimiens: on a désigné ces Malloplacentaliens du nom d'Indécidués (à placenta diffus, malloplacenta). Chez les autres Placentaliens et chez l'homme, la même disposition s'observe au début. Elle change cependant bientôt, les villosités venant à disparaître sur une partie du chorion, mais elles ne se développent que davantage sur la partie restante et se soudent très intimement à la muqueuse utérine. Une partie de celle-ci, par suite de cette soudure intime, se déchire à la naissance et son expulsion amène un flux sanguin. Cette membrane caduque ou membrane criblée (Décidue) est une formation caractéristique des Placentaliens supérieurs qu'on a réunis à cause de cela sous le nom de Décidués; à ce groupe appartiennent principalement les Carnivores, les Onguiculés, les singes et l'homme; chez les Carnivores et chez quelques Ongulés (par exemple l'éléphant) le placenta présente la forme d'une ceinture (Zonoplacentaliens); par contre, chez les Onguiculés, chez les Insectivores (la taupe, le hérisson) chez les singes et l'homme il a la forme d'un disque (Discoplacentaliens).
Il n'y a pas plus de dix ans, la plupart des embryologistes croyaient encore que l'homme se distinguait, dans la formation de son placenta, par certaines particularités, surtout par l'existence de ce qu'on appelle la décidue reflexe et par celle du cordon ombilical qui relie cette décidue au fœtus; on pensait que ces organes embryonnaires spéciaux manquaient aux autres placentaliens et en particulier aux singes. Le cordon ombilical (funiculus umbilicalis), organe important, est un cordon cylindrique et mou, de 40 à 60 cm. de long et de l'épaisseur du petit doigt (11 à 13 mm.). Il sert de lien entre l'embryon et le gâteau maternel en ce qu'il conduit les vaisseaux sanguins, porteurs des matériaux nutritifs du corps de l'embryon dans le gâteau fœtal; de plus il renferme aussi l'extrémité de l'allantoïde et du sac vitellin. Mais tandis que ce sac, chez le fœtus humain de trois semaines, représente encore la plus grande moitié de la vésicule embryonnaire, il se résorbe bientôt après, si bien qu'on n'en trouve plus trace chez le fœtus parvenu à maturité; cependant il persiste à l'état rudimentaire et on le retrouve, même après la naissance, sous forme de minuscule vésicule ombilicale. L'ébauche de l'allantoïde, en forme de vésicule, entre elle-même de bonne heure en régression chez l'homme et ce fait est en rapport avec la formation, par l'amnion, d'un organe un peu différent, ce qu'on appelle le pédicule ventral. Nous ne pouvons pas, d'ailleurs, insister ici sur les relations anatomiques et embryologiques compliquées de ces organes: je les ai d'ailleurs décrites en y joignant des illustrations, dans mon Anthropogénie (Leçon 23).
Les adversaires de la théorie de l'évolution invoquaient encore il y a dix ans «ces particularités tout à fait caractéristiques» de la fécondation chez l'homme, lesquelles devaient le distinguer de tous les autres Mammifères. Mais en 1890, Émile Selenka démontra que les mêmes particularités se présentent chez les singes anthropoïdes, et notamment chez l'orang (satyrus), tandis qu'elles font défaut chez les singes inférieurs. Ainsi se justifiait, ici encore, le principe pithecométrique de Huxley: «Les différences entre l'homme et les singes anthropoïdes sont moindres que celles qui existent entre ces derniers et les singes inférieurs». Les prétendues «preuves contre l'étroite parenté de l'homme et du singe» se révélaient, ici encore, à un examen plus minutieux des données réelles, comme constituant, au contraire, d'importants arguments en faveur de cette parenté.
Tout naturaliste qui voudra pénétrer, les yeux ouverts, plus avant dans cet obscur mais si intéressant labyrinthe de notre embryologie, s'il est en état d'en faire la comparaison critique avec celle des autres Mammifères, y trouvera les fanaux les plus importants pour la compréhension de notre phylogénie. Car les divers stades du développement embryonnaire, en vertu de la grande loi biogénétique, jettent comme phénomènes d'hérédité palingénétiques, une vive lumière sur les stades correspondants de notre série ancestrale. Mais, de leur côté, les phénomènes d'adaptation cinogénétiques, la formation d'organes embryonnaires passagers—les enveloppes caractéristiques et avant tout le placenta—nous donnent des aperçus très précis sur notre étroite parenté originelle avec les Primates.
CHAPITRE V
Notre généalogie.
Études monistes sur l'origine et la descendance de l'homme, tendant a montrer qu'il descend des Vertébrés et directement des Primates.
L'esquisse générale de l'arbre généalogique des Primates, depuis les plus anciens Prosimiens de l'éocène jusqu'à l'homme, est renfermée tout entière dans la période tertiaire: il n'y a plus là de «membre manquant» important. La descendance de l'homme d'une lignée de Primates de la période tertiaire, formes aujourd'hui disparues, n'est plus une vague hypothèse mais un fait historique. L'importance incommensurable qu'offre cette connaissance certaine de l'origine de l'homme s'impose à tout penseur impartial et conséquent.
(Conférence faite à Cambridge sur l'état actuel de nos connaissances relativement à l'origine de l'homme, 1898.)
SOMMAIRE DU CINQUIÈME CHAPITRE
Origine de l'homme.—Histoire mythique de la création. Moïse et Linné.—Création des espèces