n'est pas comme médecin que je me présente, c'est comme client.
—Ce n'est pas l'heure de me consulter.
—Puisque vous êtes chez vous.
—Au fait!
Et Caffié, se décidant à ouvrir la porte, livra passage à Saniel, puis il la referma.
—Entrez dans mon cabinet.
Ils étaient dans une toute petite pièce encombrée de dossiers, qui n'avait pour tout mobilier qu'un vieux bureau et trois chaises; elle communiquait directement avec le cabinet de l'homme d'affaires, plus grand, mais meublé avec la même simplicité et tout encombré de paperasses, qui dégageaient une odeur de moisissure.
—Mon clerc est malade en ce moment, dit Caffié, et quand je suis seul je n'aime pas à ouvrir.
Cette excuse donnée, il montra une chaise à Saniel et, s'asseyant lui-même devant son bureau, éclairé par une lampe dont il avait enlevé l'abat-jour, il dit:
—Docteur, je vous écoute.
Il remit l'abat-jour sur la lampe.
Saniel exposa sa demande, non avec tous les développements dans lesquels il était entré pour Glady, mais succinctement: il devait trois mille francs au tapissier qui lui avait fourni son mobilier et, comme il ne pouvait payer en ce moment, il était sous le coup de poursuites imminentes.
—Quel est ce tapissier? demanda Caffié en tenant sa joue gauche dans sa main droite.
—Jardine, boulevard Haussmann.
—Connu. C'est son industrie de reprendre ainsi les meubles qu'il a vendus quand ils sont aux trois quarts payés, et elle l'a enrichi. Quelle somme lui avez-vous déjà versée sur ce mobilier de dix mille francs?
—Avec les acomptes et les intérêts, près de douze mille.
—Et vous en redevez trois mille?
—Oui.
—C'est gentil.
Caffié parut plein d'admiration pour cette façon de procéder.
—Quelles garanties avez-vous à offrir pour cet emprunt de trois mille francs?
—Pas d'autres que ma position présente, je l'avoue, et surtout mon avenir.
Sur un signe de Caffié, il expliqua quel était cet avenir, tandis que l'homme d'affaires, sa joue dans sa main, écoutait en poussant, de temps en temps, un soupir étouffé, une sorte de plainte.
—Hum! hum! dit Caffié quand Saniel fut arrivé au bout de son explication; vous savez, mon cher monsieur, vous savez:
Ma foi, sur l'avenir bien fou qui se fiera: Tel qui rit vendredi, dimanche pleurera.
Vous en êtes à dimanche, mon cher monsieur.
—Mais je ne suis ni au bout de ma vie, ni au bout de mon énergie, et je vous assure que cette énergie me rend capable de beaucoup de choses.
—Je n'en doute pas; je sais ce que peut l'énergie: dites à un Grec crevant de faim de monter au ciel, il y va:
Greculus esuriens in caelum, jusseris, ibit.
Mais je ne vois pas que vous soyez parti pour le ciel.
Caffié eut un mauvais sourire accompagné d'une grimace: avant d'être l'usurier de la rue Sainte-Anne dont tout le monde parlait comme d'un coquin, il avait été avoué en province, juge suppléant, et si des malheurs immérités l'avaient obligé à se démettre, pour venir cacher ses désagréments à Paris, il ne perdait jamais l'occasion de montrer qu'il était, par l'éducation, au-dessus de sa situation présente trouvant dans ce nouveau client un érudit, il était bien aise de placer quelques citations qui devaient lui valoir de la considération.
—C'est peut-être parce que je ne suis pas Grec, répondit Saniel; mais je suis Auvergnat, et les gens de mon pays ont les reins solides.
Caffié secoua la tête:
—Mon cher monsieur, je dois vous dire franchement que je ne crois pas l'affaire possible: je la ferais bien moi-même, parce que, par l'intelligence que je lis sur votre physionomie, la résolution qui se montre dans toute votre personne, vous m'inspirez confiance; mais je n'ai pas de fonds à mettre dans ces sortes d'opérations; je ne puis être, comme toujours, qu'un intermédiaire, c'est-à-dire proposer cet emprunt à un de mes clients, et je ne vois pas qui se contentera de garanties ne reposant que sur un avenir plus ou moins problématique; il y a tant de médecins à Paris qui sont dans votre position!
Saniel se leva.
—Vous partez! s'écria Caffié.
—Mais....
—Asseyez-vous donc, mon cher monsieur. Il ne faut pas ainsi jeter le manche après la cognée. Vous m'adressez une proposition, je vous montre les difficultés qu'elle rencontrera selon moi, mais je ne dis pas qu'il n'y a pas un moyen de vous tirer d'embarras; c'est à chercher. Il n'y a que quelques minutes que je vous connais, mais il ne faut pas longtemps pour apprécier les gens comme vous, et franchement vous m'inspirez un très vif intérêt.
Où voulait-il en venir? Saniel n'était pas un naïf qui se laisse prendre au premier mot, et il n'était pas davantage un fat qui accepte bouche béante les compliments qu'on lui adresse. Pourquoi inspirait-il ainsi un intérêt subit à ce coquin, qui avait la réputation de pousser la dureté des hommes d'affaires jusqu'à la férocité. C'était à voir. En attendant il devait se tenir sur ses gardes.
—Je suis très touché de votre sympathie, dit-il.
—Je veux vous prouver qu'elle est réelle et qu'elle peut devenir efficace. Vous venez à moi parce que vous avez besoin de trois mille francs. Que je vous les trouve—et je vous promets de les chercher, bien que cela me paraît difficile, très difficile—ils assureront votre repos présent; mais assureront-ils votre avenir, c'est-à-dire vous permettront-ils de continuer les travaux importants dont vous venez de me parler et sur lesquels votre ambition compte? Non. Les luttes dans lesquelles vous vous débattez et vous usez, recommenceront bientôt. Et c'est de ces luttes que vous devez vous débarrasser pour vous assurer la liberté de travail qui vous est indispensable si vous voulez marcher droit et vite. Pour cela, je ne vois qu'un moyen:—vous marier.
IV
Saniel, qui était sur ses gardes et s'attendait à quelque rouerie de la part de l'agent d'affaires, n'avait pas du tout prévu que ces témoignages d'intérêt aboutiraient à une proposition de mariage; une exclamation de surprise lui échappa. Mais elle se perdit dans le tintement de la sonnette.
Caffié se leva:
—Quel ennui de n'avoir pas de clerc! dit-il.
Il mit à aller ouvrir la porte un empressement qu'il n'avait pas eu pour Saniel, et qui prouvait que, n'étant pas seul, il n'avait plus les mêmes craintes d'introduire quelqu'un chez lui.
Ce fut un garçon de banque qui entra.
—Vous permettez, dit Caffié, revenant dans son cabinet et s'adressant à Saniel; c'est l'affaire d'un instant.
Sous la lampe, le garçon de banque cherchait dans son portefeuille; il en tira une traite qu'il présenta à Caffié.
—Les fonds sont faits, dit celui-ci.
—Avec vous, monsieur Caffié, les fonds sont toujours faits.
Caffié avait tiré de la poche de son gilet une clef avec laquelle il avait ouvert la caisse en fer placée derrière son bureau, et tournant le dos à Saniel ainsi qu'au garçon de banque, il comptait des billets dont ils entendaient