le marcandier. Vous créyez bien, monsieur Paul, que ce plâtre qui est dans la charrote, faut que je le paye au plâtrier, que cette brique, faut que je la paye au chaufournier, et ainsi du tout. Si le bourgeois fait attendre ses écus, faut brêter partout pour avoir de l’argent et on est dans l’embarras. Mais il est bon que je m’embauche, excusez; mon garçon est là qui m’attend.
—Est-ce que vous pourriez bâtir une grande maison, père Branchu?
—Voire! tout de même, monsieur Paul; j’ai bien bâti celle au maire, qui est grande assez!»
Cependant M. Paul ne trouve plus, comme la veille, les heures un peu longues; il a une idée. La maison projetée pour sa sœur ne lui sort pas de l’esprit; il la voit, tantôt sous forme d’un palais, tantôt d’un manoir à tourelles, tantôt d’un chalet tout entouré de lierres et de clématites avec force balcons découpés. M. Paul a un grand cousin qui est architecte; il l’a vu travailler souvent sur une planchette; sous sa main, les bâtiments s’élevaient comme par enchantement. Cela ne lui a pas paru trop difficile. Le grand cousin a, dans la chambre qu’il occupe quand il vient au château, les outils qui lui sont nécessaires. M. Paul va essayer de mettre sur le papier un de ces projets qu’il entrevoit. Mais une première difficulté se présente. Il faudrait savoir ce qui conviendrait à la sœur; est-ce un manoir seigneurial avec tours et créneaux, un chalet ou une villa italienne? Si l’on prétend lui ménager une surprise, encore faut-il qu’elle lui soit agréable. Après une bonne heure de méditations, M. Paul pense, non sans quelque raison, qu’il convient d’aller trouver son père. «Là, là, tu es bien pressé, dit le père, après les premiers mots de Paul. Eh! la chose n’est point si avancée. Tu veux faire un projet de maison pour Marie; soit, essaye donc. Mais avant tout, il serait bon alors de savoir ce que désire ta sœur, comment elle entend que sa maison soit distribuée. Il ne me déplaît point d’ailleurs de brusquer un peu les choses. Nous allons lui envoyer une dépêche.
TÉLÉGRAMME.
Baveno Italie, de X..., Mad. N..., hôtel de..., Paul veut bâtir maison ici pour Marie, envoyer programme. de Gandelau.
Vingt heures après, on recevait au château le télégramme suivant:
X... de Baveno. M. de Gandelau à... Arrivés ce matin, bonne santé. Paul a excellente idée. Rez-de-chaussée: vestibule, salon, salle à manger, office, cuisine pas dans sous-sol, billard, cabinet de travail. Premier: deux grandes chambres, deux cabinets toilette, bains; petite chambre, cabinet de toilette; lingerie, garde-robes; combles, chambres, armoires trop. Escalier pas casse-cou. Marie N...
Sans douter un instant que sa sœur n’eût pris au sérieux la demande qui lui avait été adressée et sa propre réponse, M. Paul se met résolûment à l’œuvre et, installé dans la chambre du grand cousin, il essaye, en rassemblant toutes ses connaissances en dessin linéaire, de réaliser sur le papier le programme envoyé. La chose présente des difficultés assez sérieuses pour qu’il soit nécessaire de faire prévenir à deux reprises M. Paul que le déjeuner est servi. L’après-midi s’écoule avec rapidité, et, au moment du dîner, M. Paul descend au salon avec une belle feuille de papier passablement couverte de plans et de façades.
«Voilà qui me paraît très beau, dit M. de Gandelau en déroulant le vélin; mais ton cousin arrive demain et, mieux que moi, il pourra critiquer ton projet.»
Toute la nuit, M. Paul fut fort agité. Il rêva palais, s’élevant sous sa direction. Mais, à sa bâtisse, il manquait toujours quelque chose. Là, les fenêtres faisaient absolument défaut; ailleurs, l’escalier n’était qu’une échelle branlante, et sa sœur Marie ne voulait pas y monter. Plus loin, les plafonds étaient si bas qu’on ne pouvait se tenir debout, tandis que d’autres étaient si hauts que cela lui faisait peur. Le père Branchu riait et remuait les murs avec sa main pour montrer qu’ils n’étaient point solides. Les cheminées fumaient horriblement, et la petite sœur demandait impérieusement une chambre pour sa poupée.
M. Paul avait revu son projet aussitôt levé et il lui paraissait beaucoup moins bon que la veille; il rougissait à l’idée de le montrer au grand cousin qui arrivait pour l’heure du déjeuner; il hésitait et songeait à détruire ce travail assidu de toute une journée.
«Père, je crois que mon cousin se moquera de moi si je lui montre mon dessin.
—Mon ami, répliqua M. de Gandelau, quand on a fait ce qu’on peut, du mieux que l’on peut, il ne faut pas reculer devant la critique, c’est le seul moyen de constater l’insuffisance de ce que l’on sait, et, par conséquent, d’acquérir les connaissances qui nous manquent. Si tu croyais en une matinée être devenu architecte, tu serais un sot; mais si, après avoir fait un effort pour exprimer par le dessin ou autrement une idée que tu crois bonne, tu hésitais à soumettre cette expression à plus habile que toi, dans la crainte de provoquer plus de critiques que d’éloges, ce ne serait pas là de la modestie, mais un sentiment d’orgueil très mal placé, car il te priverai de conseils qui ne peuvent être que précieux, à ton âge surtout.»
Le grand cousin arrivé, il n’en fallut pas moins que M. de Gandelau dît à son fils d’apporter son essai, pour que l’architecte en herbe se décidât à dérouler de nouveau la feuille de papier couverte, la veille, de dessins si péniblement tracés.
«Eh! mais, petit cousin, dit le nouveau venu, est-ce que vous voudriez vous faire architecte? Prenez garde! tout n’est pas couleur de rose dans le métier comme sur votre papier.»
En peu de mots, le grand cousin fut mis au fait.
«Mais cela est très bien! Voilà le salon, le vestibule. Je ne comprends pas bien l’escalier; mais c’est un détail. Et les façades? Mais c’est un palais, cela; des colonnes, des balustrades. Il n’y a plus qu’à mettre la main à l’œuvre!
—Vrai! cousin; si nous prévenions le père Branchu? Il travaille ici près.
—Doucement, ce n’est là qu’une esquisse... Et les projets définitifs; et les devis; et les détails d’exécution? Il faut procéder avec ordre. Sachez, petit cousin, que plus on tient à ce qu’une construction s’élève rapidement, plus il est utile que toute chose soit parfaitement arrêtée à l’avance. Rappelez-vous les ennuis de votre voisin le comte de..., qui, depuis six ans, recommence son château chaque printemps sans pouvoir arriver à le terminer, parce qu’il n’a pas su d’abord indiquer tout ce qu’il voulait, que son architecte n’a pas eu le courage de faire adopter une bonne fois un projet étudié, et qu’il s’est prêté à tous les caprices ou plutôt à tous les avis officieux que les amis de la maison ne manquaient pas d’ouvrir, celui-ci sur la dimension des pièces, celui-là sur l’emplacement des escaliers, cet autre sur le style, sur la décoration... Nous n’avons qu’un an devant nous, il faut donc ne commencer qu’avec la certitude de ne pas faire de fausses manœuvres, puis il faut que votre sœur approuve le projet. Voyons un peu, convenons d’abord du système de construction que vous voudrez adopter. Puisque nous sommes pressés, nous n’avons guère le choix; nous ne pouvons songer à élever la maison en pierres de taille du bas en haut: cela serait trop long et trop cher. Il faut nous en tenir à une construction simple et d’une exécution rapide. Cela entre-t-il dans vos idées? Vous placez sur votre façade des colonnes; pour quoi faire? Si elles forment portique, celui-ci rendra les appartements tristes et sombres; si elles sont engagées, elles ne servent à rien ici. Et cette balustrade posée sur les corniches supérieures, que fait-elle là? Est-ce que vous comptez que madame votre sœur se promènera dans les chéneaux? Cela est bon pour les chats... Et, dites-moi? sur ce plan, je vois que, du vestibule, il faut passer par la salle à manger pour aller au salon. Mais si, pendant qu’on est à table, il arrive des visites, il faudra donc les prier d’attendre à la porte ou les inviter à regarder manger les hôtes... Bon! la cuisine s’ouvre sur le billard. Allons, il nous faut étudier cela plus à fond; voulez-vous que nous nous y mettions? À nous deux, la besogne ira peut-être plus vite, et vous me donnerez de bonnes idées; car, mieux que moi, vous connaissez les goûts et les habitudes de votre sœur aînée. Vous