ce que la position de l’escalier nous permettra de faire en toute sécurité.
«Traçons tout cela, à peu près correctement; ce sera à revoir quand nous aurons étudié le premier étage dont les dispositions peuvent nous obliger à modifier quelques-unes de celles du rez-de-chaussée. (fig. 1)[7].
Fig. 1.
«Comme les murs doivent monter de fond, vous allez poser, sur ce plan du rez-de-chaussée, un papier à calquer pour éviter une perte de temps. Vous aurez ainsi, sous les yeux et sous votre crayon, la construction sur laquelle il convient de s’établir, et nous verrons de suite s’il y a lieu de modifier quelques parties de ce plan inférieur.
«Voilà qui est fait. Traçons d’abord l’arrivée de l’escalier; la dernière des trente marches dont nous avons besoin s’aligne avec le mur de droite du vestibule; c’est la marche palière qui donnera dans l’antichambre placée au-dessus du vestibule. Au-dessus du salon, nous disposerons la chambre de la maîtresse du logis; mais, comme cette chambre serait trop vaste, nous profiterons de l’espace qui nous est donné pour établir une deuxième cloison, ce qui donnera doubles portes et un bel espace pour placer des armoires, dont les dames n’ont jamais de trop. Pour donner du jour dans cet espace, nous vitrerons une partie haute de la cloison qui clôt l’antichambre. Ces doubles portes feront que Madame sera plus retirée dans son appartement et n’entendra pas le bruit des allants et des venants. De plus, cette seconde antichambre privée nous permettra d’établir une communication directe avec l’appartement de Monsieur, que nous placerons du côté de la belle orientation, c’est-à-dire au-dessus de la salle de billard.
«Comme aussi cette surface est trop grande, nous prendrons, aux dépens de l’espace libre, un cabinet de toilette pour Madame, avec baignoire; et nous entrerons chez Monsieur directement de l’antichambre par un couloir privé qui s’ouvrira en même temps dans le cabinet de toilette de Madame, dans celui de Monsieur, placé au-dessus du cabinet de travail, dans la chambre à coucher et dans les deux water-closets réservés à ces deux appartements. Ainsi, les deux portes donnant sur l’antichambre, fermées, les maîtres de la maison seront complètement chez eux. Répétant le corridor du rez-de-chaussée à droite, nous établirons une communication de l’antichambre avec l’escalier de service, avec la lingerie (grave affaire) que nous placerons au-dessus de la cuisine, avec une grande garde-robe pour Madame à droite de sa chambre, et une chambre d’enfants (car il faut tout prévoir), laquelle, ainsi que la garde-robe, seront placées au-dessus de la salle à manger. La loge ou bretêche[8] du rez-de-chaussée nous fera un beau cabinet de toilette pour cette chambre d’enfants ou d’amis au premier étage, et celle de la salle de billard fera une annexe fort agréable à la chambre de Monsieur. Quant à la loge du salon, nous la couvrirons par une terrasse, ce qui donnera à la chambre de Madame un beau balcon où l’on pourra placer en été une banne et des fleurs (fig. 2)[9].
«Vous voyez, petit cousin, que notre plan commence à s’ordonner. Voici bientôt l’heure du déjeuner, allez faire un tour de promenade, et, dans l’après-midi, nous reprendrons notre travail, c’est-à-dire que nous passerons aux élévations.»
En descendant au jardin, M. Paul examinait la maison paternelle avec une attention toute nouvelle. Il n’avait jamais songé auparavant à observer les distributions de ce logis. Il supputait la place perdue par ces couloirs sans fin; il voyait, de ci et de là, des coins sombres et sans destination. L’escalier débouchait mal. Au rez-de-chaussée, il fallait connaître les êtres de l’habitation pour le trouver. La cuisine était à une distance énorme de la salle à manger, et, pour communiquer de l’une à l’autre, il fallait traverser un passage de voitures, descendre deux marches et en monter six. Cela lui parut barbare pour la première fois de sa vie. M. Paul, tout en se promenant et attendant le tintement de la cloche du déjeuner, se demandait si son père ne ferait pas bien aussi de démolir son vieux manoir pour bâtir une maison sur un plan nouveau composé par lui-même avec les conseils du grand cousin. Il énumérait une à une toutes les fautes de distribution de la maison paternelle, ses trop nombreux casse-cou. Il voyait le salon sombre, flanqué des deux côtés par les deux vieilles tours qui masquaient les vues latérales, le petit cabinet de son père éclairé par une fenêtre étroite et précédé d’une assez grande pièce sans emploi et qui servait de fruitier à l’automne; bien d’autres défauts encore...
«Eh bien, lui dit son père, dès qu’on fut à table, il paraît que vous avez déjà travaillé ce matin?»
M. Paul, tout pénétré de son sujet, fit une description assez exacte du plan dressé, mais ne put terminer sans se livrer à des appréciations critiques à l’endroit de l’habitation paternelle.
CHAPITRE III
L’ARBRE DE LA SCIENCE
Sa mère le regardait d’un air étonné; quant au père, il devint sérieux et parla ainsi: «Paul, cette maison plaît à ta mère, telle qu’elle est; elle me plaît aussi à moi; vous y êtes nés tous trois, tes sœurs et toi; mon père me l’a laissée, et je n’y ai ajouté que ce qui nous était nécessaire. Il n’est pas un coin de cette habitation qui ne me rappelle un souvenir de bonheur ou de tristesse; elle est consacrée par le travail de trois générations d’honnêtes gens. Tous les habitants du pays, qui veulent bien l’appeler le Château, savent qu’ils y trouvent du pain quand ils en manquent, des vêtements pour leurs petits enfants, des conseils dans leurs différends, et des secours s’ils sont malades. Ils n’ont pas besoin qu’on leur indique l’escalier qui monte à l’appartement de ta mère ou à mon cabinet, car ils le connaissent comme nous; ils savent comme nous où se trouvent ces casse-cou que tu signales et ne se perdent pas dans les longs couloirs. Si la cuisine est un peu trop éloignée de la salle à manger, elle est assez vaste pour contenir les moissonneurs quand ils arrivent pour souper et les pasteurs quand ils viennent régler leurs comptes. Je ne me crois pas le droit de changer tout cela; car cette maison est la maison de tous ici, et tu ne dois pas oublier plus que moi qu’en 1793, mon grand-père y resta seul avec sa femme et mon père, sans être inquiétés, tandis que tous les châteaux voisins étaient abandonnés et pillés.
«Quand nous ne serons plus de ce monde, ta mère et moi, vous ferez de cette vieille maison ce que vous jugerez convenable; mais, si j’ai un conseil à vous donner, gardez-la telle qu’elle est, car elle peut rester debout plus longtemps que vous et que vos enfants. Gardez-la, car il faudrait que vous fissiez bien des fautes pour qu’elle ne fût plus une protection pour notre famille.
«Je sais, aussi bien et mieux que toi probablement, tout ce qui lui manque pour être une habitation dans le goût du jour, et, si je venais à la vendre à quelque riche propriétaire, il est probable que celui-ci s’empresserait de la démolir pour bâtir une maison ou un château plus confortable et mieux approprié aux habitudes de notre temps. Ce que cet acquéreur pourrait faire, moi je ne le puis, je ne le dois pas faire.
«Ces bonnes gens qui viennent ici me causer avec leurs sabots aux pieds, leur limousine sur le dos et qui protégeraient au besoin (ils me l’ont prouvé) ma vieille maison, ne viendraient plus dans une habitation neuve qu’ils ne connaîtraient pas et où tout serait fait pour leur causer de l’effarement, sinon de l’envie. Je me déshabituerais de les voir, et, s’il me semble tout naturel de recevoir à toute heure leur visite dans ce logis qui ne rappelle que le passé et où tout est simple et un peu gauche comme eux, il me paraîtrait probablement étrange de les introduire dans des appartements disposés et décorés suivant la mode du jour.
«L’habitude des yeux est quelque chose qu’il ne faut point heurter, les gens du pays réunissent dans leur pensée l’habitant et