Georges Duhamel

Confession de Minuit


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       Georges Duhamel

      Confession de Minuit

      Publié par Good Press, 2020

       [email protected]

      EAN 4064066090227

       I

       II

       III

       IV

       V

       VI

       VII

       VIII

       IX

       X

       XI

       XII

       XIII

       XIV

       XV

       XVI

       XVII

       XVIII

       XIX

       XX

       XXI

       XXII

       FIN

      I

       Table des matières

      Je n'en veux pas à M. Sureau; Je suis tout à fait mécontent d'avoir perdu ma situation. Une douce situation, voyez-vous? Mais je n'en veux pas à M. Sureau. Il était dans son droit et je ne sais trop ce que j'aurais fait à sa place; bien que, moi, je comprenne une foule de choses, malheureusement.

      Il faut dire que M. Sureau n'a pas voulu comprendre. Il m'aurait été nécessaire de lui donner des explications et, tout bien pesé, j'ai mieux fait de ne rien expliquer. Et puis, M. Sureau ne m'a pas laissé le temps de me ressaisir, de me justifier. Il a été vif. Tranchons le mot: il s'est montré brutal et même féroce. Ça ne fait rien: je ne songe pas à lui en vouloir.

      Pour M. Jacob, c'est différent: il aurait pu faire quelque chose en ma faveur. Pendant cinq ans, il m'a, chaque jour, soir et matin, regardé travailler. Il sait que je ne suis pas un homme extraordinaire. Il me connaît. C'est-à-dire qu'à bien juger il ne me connaît guère. Enfin! Il aurait pu prononcer un mot, un seul. Il n'a pas prononcé ce mot, je ne lui en fais pas grief. Il a femme, enfants, et une réputation avec laquelle il ne peut pas jouer.

      A coup sûr, si je disais ce que je sais de M. Jacob... Mais, qu'il dorme tranquille: je ne dirai rien. Il ne m'a pas défendu, il ne m'a pas repêché; toutes réflexions faites, je ne lui en veux pas non plus. Ces gens ne sont pas obligés d'avoir des vues sur certaines choses. Il y a eu là un ensemble de circonstances très pénibles. Mettons, pour le moment, que la faute soit à moi seul. Puisque le monde est fait comme vous savez, je veux bien reconnaître que j'ai eu tort. On verra plus tard!

      Il y a d'ailleurs longtemps de cette aventure. Je n'en parlerais pas si vous n'aviez pas réveillé de mauvais souvenirs. Et puis, il m'est arrivé tant de choses, depuis, que je peux avoir oublié quelques détails. Je dois vous faire remarquer que je n'avais vu M. Sureau que trois fois. En l'espace de cinq ans, c'est peu. Cela tient à ce que la maison Socque et Sureau est trop importante: ces messieurs ne peuvent pas entretenir des relations avec leurs deux mille employés. Quant à mon service, il n'avait aucun rapport avec la direction.

      Un matin donc, le téléphone se met à sonner. Je ne sais si vous êtes sensible aux sonneries, cloches, timbres et autres appareils de cette espèce infernale. Pour moi, j'exècre cela. L'existence d'une sonnerie électrique dans l'endroit où je me tiens suffit à troubler ma vie! Pour cette seule raison, il y a des moments où je me félicite d'avoir quitté les bureaux. Une sonnerie, ce n'est pas un bruit comme les autres; c'est une vrille qui vous transperce soudain le corps, qui embroche vos pensées et qui arrête tout, jusqu'aux mouvements du coeur. On ne s'habitue pas à cela.

      Voilà donc le téléphone qui se met à sonner. Tout le bureau dresse l'oreille, sans en avoir l'air. La sonnerie s'arrête, et on attend. Je ne suis pas plus nerveux qu'un autre, mais cette attente est encore un supplice, car on attend pour savoir s'il n'y aura pas plusieurs coups.

      Un seul coup, c'est pour M. Jacob. Deux coups c'est pour Pflug, le Suisse. Moi, je marchais à trois coups. Depuis que je suis parti, les trois coups doivent être pour Oudin, qui, de mon temps était à quatre coups. Oudin! Il n'est pas nerveux non plus, celui-là! Dès le premier coup, il commençait à se manger un ongle, sans en avoir l'air, bien entendu. Et il a fini par avoir un panaris tournant à ce doigt-là.

      Le jour en question, un coup, pas davantage. Un grand coup long, droit, irritant à force d'assurance.

      M. Jacob sort de derrière sa demi-cloison; il sort de ce réduit où il se tient comme un cheval de course dans son box. Il vient décrocher l'appareil et, selon sa coutume, il S'accote, la tête collée contre le mur, où ses cheveux ont, à la longue, laissé une tache grasse.

      La conversation commence. J'écoute à moitié: c'est toujours étonnant un bonhomme qui cause avec le néant, et qui lui sourit, qui lui fait des grâces, un bonhomme qui, tout à coup, regarde fixement la peinture chocolat, sur le mur, comme s'il voyait quelque chose d'étonnant.

      Ce jour-là, pourtant, M. Jacob ne souriait pas; il ne faisait pas de grâces. Dès les premiers mots, il avait pris un air gêné, puis il était devenu tout rouge, puis il avait baissé les yeux et il s'était mis à contempler le radiateur hérissé dans son coin, comme un roquet qui n'est pas content.

      Moi, je taillais un crayon. Inutile de vous dire que je cassais la mine de seconde en seconde. J'entendais M. Jacob qui balbutiait: «Mais monsieur, mais monsieur...» et je pensais au fond de moi-même: «S'il répète encore une fois son Mais monsieur... je me lève et je vais lui administrer une gifle! Pan! La tête contre le mur!»

      Je