pas décacheté cette lettre-là.
Je l'ouvris avec un sentiment de morne défiance: ce ne pouvait être qu'une mauvaise nouvelle. Je naviguais dans une de ces passes où l'on se trouve offert aux coups du sort, qui se fait rarement faute d'en profiter.
Ce n'était rien, rien du tout. Lanoue m'annonçait qu'il prenait ses vacances et me priait de l'aller voir à la première occasion.
--Tu iras ce soir, me dit maman.
Une phrase que je n'avais pas du tout préparée me vint aux lèvres et s'échappa, sans qu'il m'ait été possible de la retenir. Je répondis:
--Non! J'irai cet après-midi.
A peine eus-je articulé ces mots que je devinai l'imminence de la grande crise. Je n'avais plus à revenir sur mes pas. La guerre était déclarée. Je me sentis le visage enflammé, les tempes battantes, les lèvres retroussées comme celles d'un roquet qui relève un défi.
Ma mère allait sûrement répondre: «Comment? Cet après-midi? Et le bureau»? Je ne lui en laissai pas le temps et je proférai, avec une force explosive:
--Je ne vais pas au bureau cet après-midi. Je n'irai plus chez Socque et Sureau. C'est fini! C'est fini! J'ai perdu ma place.
J'étais debout, raide; mais je me sentais quand même comme ramassé, prêt à bondir. Je soufflais fort; j'attendais.
Ma mère était venue s'asseoir dans son fauteuil, près de la fenêtre. Elle leva la tête sans se presser et me regarda.
Ma mère porte lunettes, à cause de l'âge. Elle a des yeux d'un bleu chaud, miroitant. Quand elle veut voir bien en face, elle relève la tête pour mieux utiliser ses verres.
C'est comme cela qu'elle me regarda, paisiblement, pendant une grande minute. Et je voyais son beau regard attaché sur moi, ce regard chargé de tendresse inquiète, ce regard qui ne m'a pas quitté depuis que je suis au monde. Je sentais mes jambes trembler, trembler. Alors ma mère murmura d'une voix si naturelle, si profonde, si sûre:
--Que veux-tu, mon Louis, une place, ça se retrouve. Ce n'est pas un grand malheur.
O suprême sagesse! O bonté! C'était vrai, ce n'était pas un malheur. Je l'entrevis dans un éclair. C'était vrai, nul malheur ne m'était arrivé. Alors, pourquoi donc étais-je malheureux, pourquoi donc étais-je misérable?
Je fis un pas, deux pas, et puis je sentis que je n'étais plus le maître, que la meute des bêtes enragées qui me ravageait allait s'enfuir en désordre, me délivrer. J'eus la Déchirante impression d'être sauvé, tiré de l'abîme. Je tombai à genoux devant la pauvre femme, je cachai mon visage dans sa robe et me pris à sangloter avec fureur, avec frénésie; des sanglots qui me sortaient du ventre, et qui déferlaient, comme des vagues de fond, chassant tout, balayant tout, purifiant tout.
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