et dépourvus d'argent comme lui, il adopta leurs moeurs et façons de vivre. Bientôt il devint leur chef et leur providence9. Les Repues franches, singulier monument élevé à sa gloire par quelqu'un de ses disciples, nous font connaître par quelles combinaisons ingénieuses lui et ses compagnons se procuraient les moyens de mener joyeuse vie. Leurs friponneries étaient tout à fait dans les moeurs du temps, et ne dépassaient sans doute pas les proportions de ce qu'on serait volontiers tenté d'appeler des bons tours; mais ils étaient sur une pente glissante, et la justice n'entendait pas raillerie.
Note 9: (retour)
C'estoit la mère nourricière
De ceux qui n'avoient point d'argent;
A tromper devant et derrière
Estoit un homme diligent. (P. 190.)
Rien ne prouve cependant que Villon ait eu maille à partir avec elle à cause de ses entreprises sur le bien d'autrui. On a parlé de ses deux procès: il en eut au moins trois, bien constatés par ses oeuvres, et le premier, qu'on n'avait pas fait ressortir jusqu'à présent, est le seul dont le sujet soit indiqué d'une manière certaine. C'est la suite d'une affaire d'amour.
Avant de tomber dans ces relations honteuses avec des femmes perdues dont la Ballade de la Grosse Margot10 nous donne l'ignoble tableau, Villon fut amoureux. Il connut l'amour vrai, l'amour naïf et timide11. Quel fut l'objet de cette passion, c'est ce qu'il n'est pas facile de dire. Il l'appelle de divers noms, Denise, Roze, Katherine de Vauzelles. Que ce fût une femme de moeurs faciles, une gentille bourgeoise ou une noble damoiselle, il paraît certain que c'était une coquette. Elle l'écouta d'abord, l'encouragea12 et finit par le rebuter. Il s'en plaignit sans doute à ses compagnons, que les femmes qu'ils fréquentaient n'avaient pas habitués à de pareilles rigueurs, et qui se moquèrent de lui13. Villon s'emporta contre sa belle, lui fit des avanies, lui dit des injures, composa peut-être contre elle quelque ballade piquante, quelque rondeau bien méchant. Or, bien que religieux au fond, il frondait volontiers les choses sacrées14. La belle dame se plaignit; la juridiction ecclésiastique s'en mêla15, et Villon fut bel et bien condamné au fouet16.
Note 10: (retour) Page 83.
Note 11: (retour) Le doux souvenir de cette passion se montre en maints endroits des oeuvres de Villon, mêlé à ses regrets et aux reproches qu'il adresse à sa maîtresse avide et cruelle. Voy. les huitains III, IV, V et X du Petit Testament, LV à LIX du Grand Testament, la ballade de la page 57, le rondeau p. 59, etc.
Note 12: (retour)
Quoy que je luy voulsisse dire,
Elle estoit preste d'escouter, etc. (P. 47.)
Note 13: (retour)
... qui partout m'appelle
L'amant remys et renié. (P. 48.)
Note 14: (retour) Voir notamment les huitains CVI à CX du Grand Testament.
Note 15: (retour)
Quant chicanner me feit Denise,
Disant que je l'avoye mauldite. P. 69.
Note 16: (retour) La sentence fut exécutée. La Double ballade de la page 45 ne laisse aucun doute à cet égard:
J'en fus batu, comme à ru telles,
Tout nud... (P. 46, v. 24-25.)
C'est à la suite de cette sentence que Villon, décidé à quitter Paris, composa les Lays ou legs auxquels on a donné depuis le titre de Petit Testament.
Dans le huitain VI, page 9, il annonce qu'il s'en va à Angers. Il est probable qu'il ne fit pas ce voyage. Ses habitudes, ses relations, sa misère, le retinrent à Paris ou aux environs. C'était en 1456. Flétri par le châtiment qu'il avait subi, aigri par l'infortune, il ne connut plus de bornes. L'année qui suivit sa condamnation fut assurément l'époque la plus honteuse de sa vie. En 1457, il était dans les prisons du Châtelet, et le Parlement, après lui avoir fait appliquer la question de l'eau17, le condamnait à mort. On ignore le motif de cette condamnation; on a supposé qu'il s'agissait d'un crime commis à Rueil par lui et plusieurs de ses compagnons, dont quelques-uns furent pendus18. Cette supposition paraît fondée. Quant au crime commis, il n'était peut-être pas d'une extrême gravité. Les lois étaient sévères, et les compagnons de Villon devaient avoir, comme lui, des antécédents fâcheux.
Note 17: (retour) C'est ce qu'indiquent clairement ces deux vers de la page 104:
On ne m'eust, parmi ce drapel,
Faict boyre à celle escorcherie.
Note 18: (retour) Voy. la Belle leçon aux enfans perduz, p. 86, et le Jargon, p. 125.
Quoi qu'il en soit, Villon ne partagea pas leur sort. Il est vrai qu'il ne négligea rien pour se tirer d'affaire: il appela de la sentence, ce qui lui valut quelque répit; puis, du moins ceci paraît certain, à l'occasion de la naissance d'une princesse qu'il appelle Marie, il implora la protection du père de cette princesse. Cette démarche lui réussit: le prince intercéda pour lui, et le Parlement commua sa peine en celle du bannissement. Villon se montra pénétré de reconnaissance. Il adressa une requête au Parlement, pour lui rendre grâces autant que pour lui demander un délai de trois jours pour quitter Paris, et il composa pour la princesse qui venait de naître des vers pleins de sentiment. M. Prompsault a cru que cette princesse était Marie de Bourgogne, fille de Charles le Téméraire, née le 13 février 1457; mais c'était une erreur. M. Auguste Vitu, qui prépare depuis nombre d'années une édition de Villon, a reconnu qu'il s'agissait de Marie d'Orléans, fille du poète Charles d'Orléans, née le 19 décembre 1457, et M. Campeaux a clairement démontré que cette opinion était fondée.
A partir du moment où Villon quitte Paris, en exécution de l'arrêt du Parlement, nous perdons sa trace jusqu'en 1461. A cette époque nous le trouvons dans les prisons de Meung-sur-Loire, où le détient Thibault d'Aussigny, évêque d'Orléans. Quel nouveau méfait lui reprochait-on? Ceux qui supposent qu'il avait