reporter Report Moteur de 70 chevaux complet Essence et eau pour huit heures de marche Ventilateur pour le service du ballonnet Hélice à deux palettes en toile et acier, et son arbre Gouvernails horizontaux et verticaux Poids de cinq personnes (à 70 kil. chaque) Accessoires divers, outils, etc Lest de route Force ascensionnelle au départ Total
—En effet, en effet, marmotta le néophyte; il me semble que vous n'avez rien oublié. Seulement 150 kilos d'essence et d'eau pour alimenter pendant huit heures consécutives un moteur de 70 chevaux, cela me paraît fort peu; car je crois savoir qu'il faut compter un demi-litre d'essence par heure et par cheval. Or, 70 chevaux demandent 35 litres, et pour huit heures cela fait 280 litres. D'autre part, on perd bien quatre litres d'eau à l'heure par évaporation avec un 70 H.P. soit encore 32 kilos pour huit heures. J'arrive donc à un total de 228 kilos au lieu de 150.
—Et vous en concluez, n'est-ce pas, que mes calculs ne sont pas justes?...
—Dame!...
—Eh bien! mon cher client, votre conclusion n'est pas exacte, parce que vous ne tenez pas compte d'un point de première importance....
—Bah! Et lequel donc?...
—Le moteur à pétrole a l'inconvénient de délester constamment le navire aérien pendant son fonctionnement, si bien que le ballon perd inutilement du gaz par suite de sa tendance à s'élever. Or, votre moteur est à quatre cylindres, indépendants deux par deux; c'est-à-dire qu'il est formé, en réalité, de deux moteurs à deux cylindres pouvant fonctionner indépendamment l'un de l'autre. L'un de ces moteurs est alimenté de pétrole gazéifié dans un carburateur suivant le procédé ordinaire, mais l'autre peut être alimenté à volonté par l'hydrogène du ballon, dont il absorbe 16 mètres cubes à l'heure. L'aéronat, qui se trouve délesté de 18 litres d'essence et 5 d'eau, soit 20 kilogrammes, perd dans le même temps 20 kilos de force ascensionnelle. Le gain et la perte se trouvent donc contrebalancés, grâce à ce dispositif nouveau, et il en résulte que l'appareil conserve son équilibre en hauteur.
—Oui, mais en huit heures j'aurai perdu 128 mètres cubes d'hydrogène!... fit observer le client.
—Et dépensé 140 litres d'essence et 40 d'eau, soit les 150 kilos prévus au tableau. C.q.f.d!... riposta le constructeur. Il est bien certain qu'il faudra ravitailler le dirigeable en hydrogène, pétrole et eau, à chacune de ses escales! C'est là une inéluctable nécessité!... Mais voyez, en revanche, quels avantages vous retirerez de l'usage d'un semblable moteur, avec lequel vous pourrez, ou bien naviguer à petite vitesse en ne faisant travailler que deux cylindres sur quatre et en alimentant à volonté ces cylindres, soit d'hydrogène, soit d'air carburé, ou bien aller à une vitesse plus grande en faisant fonctionner les quatre cylindres. Vous avez, en réalité, deux moteurs indépendants que vous pouvez accoupler au besoin ou faire travailler individuellement en cas de panne de l'un des deux. C'est un gros, gros avantage et que ne possède aucun des aéronats actuels!...
L'aéronaute s'échauffait en parlant.
—Oui! Vous allez disposer d'un navire aérien qui sera pourvu des tous derniers perfectionnements suggérés par une expérience déjà longue. L'équilibre longitudinal, transversal et vertical de l'aéronat est assuré; sa vitesse lui permettra de sortir au moins trois jours sur cinq et de revenir à son point de départ. Il pourra camper au besoin en plein champ pour passer la nuit sans redouter d'être emporté par la brise ni exiger tout un régiment pour le retenir!...
Claude Réviliod, qui avait consulté sa montre, tout en feuilletant les dessins d'exécution, parvint à endiguer le torrent d'éloquence du redondant constructeur. Il coupa:
—Vous avez raison, mon cher Fruscou, et d'ailleurs je m'en remets entièrement à vos lumières pour me procurer ce qui pourra se faire de mieux. Je vous ai dit que, pour obtenir le summum de la perfection en fait de dirigeable de plaisance, la question d'argent passait pour moi au second rang. Par conséquent n'épargnez rien pour que la réussite soit complète.
—Vous pouvez en être assuré. A moins, bien entendu, de temps exceptionnellement mauvais et de tempêtes, la solidité du matériel sera parfaite.
—Bien. Résumons donc cette conversation. Voici l'ordre de mise en chantier d'un dirigeable qui devra être conforme en toutes ses parties aux plans que vous venez de me soumettre. Nous sommes le 12 janvier, à quelle date prenez-vous l'engagement d'effectuer la livraison?...
Le grand constructeur réfléchit un instant.
—Le 30 avril prochain, répliqua-t-il enfin, tout le matériel sera rendu au parc de manoeuvre que vous m'indiquerez.
—Ce parc ne sera pas très éloigné. Vous connaissez Triel sur la Seine?...
—Triel, oui. J'y suis descendu de ballon, il y a deux ans. Un douze cents mètres cubes. Figurez-vous...
—A quelques kilomètres de là, sur le versant des bois de l'Hautie regardant la vallée de l'Oise, coupa Réviliod, j'ai eu l'occasion d'acheter une propriété de près de quatre hectares entourée de hauts murs et d'arbres très élevés. Je vais la faire aménager en vue de l'usage auquel je la destine, c'est-à-dire faire niveler les pelouses.
—Et surtout édifier un hangar abrité des vents d'ouest, je vous le recommande!
—J'ai pris rendez-vous pour cet après-midi même avec un architecte spécialiste que je compte charger de ce travail.
—Le ballon mesurant 7 m. 50 de diamètre au maître-couple et 48 m. 50 de longueur, le hangar devra avoir les dimensions suivantes: longueur 50 mètres, largeur 12 mètres, hauteur maximum 15 mètres. La face d'avant de ce hangar devra être démontable pour sortir et rentrer le ballon à volonté.
Le Petit Biscuitier prit note sur son carnet de ces chiffres, et il serra la main de l'ingénieur aéronaute.
—Voilà donc qui est convenu, dit-il. Le premier mai prochain, je serai au parc d'Ecancourt afin d'assister à l'arrivée du matériel que le hangar sera tout prêt à recevoir. Vous penserez également à envoyer un appareil à gaz pour produire l'hydrogène nécessaire au gonflement...
—Je ne l'oublierai pas.
—Combien faudra-t-il de temps ensuite pour ajuster les machines et préparer l'aérostat?
—Une douzaine de jours au plus.
—Bon, en ce cas nous serons prêts vers le 15 mai, c'est tout ce qu'il faut.
—Vous pouvez compter sur moi pour cette date.
—Je me fie à votre parole. A fin avril, donc!...
Et sur une dernière et cordiale étreinte, le futur navigateur aérien regagna sa voiture tout en monologuant:
—Je serai prêt avant les autres. Nous verrons alors qui l'emportera de l'aéroplane ou du dirigeable. A nous deux, mon petit La Tour-Miranne, à nous deux!...
CHAPITRE V
MAÎTRE MARTIN LANDOUX L'INVENTEUR.
HISTOIRE DE MARTIN LANDOUX.—LES AVATARS D'UN GRAVEUR.—ROI DU VOLANT!—ON DISCUTE FERME.—UNE PROPOSITION INATTENDUE.—LES IDÉES D'UN MÉCANICIEN AU SUJET DES AÉROPLANES.—SIX BIPLANS EN CHANTIER.
Martin Landoux était un débrouillard et un original.
Parisien