Demoiselle a volé à près de cent à l'heure entre Saint-Cyr et Bue, mais, à côté de cela, Glen Curtis a égalé, à quelques cinquièmes de seconde près, la vitesse de Blériot, et cependant il montait un biplan. Enfin, ce n'est pas la grande vitesse que vous cherchez, je crois...
Le père Tranquille, Outremécourt, intervint.
—Non, tout ce que nous désirons c'est d'avoir, surtout, le moins de pannes possible en cours de route. Quant à la rapidité, nous nous contenterons très bien d'une moyenne de quarante à cinquante kilomètres à l'heure.
—Pour cela, il faut avoir avant tout un moteur irréprochable, reprit l'inventeur, et on peut y arriver en ne sacrifiant pas outre mesure à la légèreté. Messieurs, je crois avoir votre affaire, et je suis persuadé que vous serez satisfaits des services que mon nouveau type de moteur vous rendra.
—N'oubliez pas, fit observer à son tour Médouville, que nos appareils devront être capables de transporter un passager en plus du conducteur.
Martin Landoux se leva et atteignit, parmi un monceau de calques et de dessins d'exécution, une feuille qu'il déroula sous les yeux de ses interlocuteurs.
—Voici, messieurs, dit-il, un dessin représentant le modèle dont je me permets de vous conseiller l'adoption.
—Ah! ah!... voyons donc, modula le président en s'approchant.
—C'est un biplan rappelant dans ses lignes principales le Wright, c'est-à-dire dépourvu de tout fuselage et de toute cellule ou queue stabilisatrice, cet organe encombrant et d'ailleurs complètement inutile, sinon nuisible...
—Comment, nuisible?.... se récria le sportsman.
—Oui, nuisible, je ne m'en dédis pas, car c'est à sa présence que j'attribue la mort du capitaine Ferber. Il faut donc supprimer cet appendice encombrant. D'ailleurs, ainsi que l'a très judicieusement énoncé un technicien de haute valeur, des travaux de qui je me suis inspiré, H. Noalhat, il faut, pour devenir maître des éléments et dompter les lois de la nature, créer un jeu de forces antagonistes, continuellement en action, ce qui permet de réaliser l'équilibre cherché.
—Mais la cellule stabilisatrice le donne automatiquement, cet équilibre!
—Ah!... L'automatisme!... fit l'inventeur en branlant la tête. C'est souvent un tort que d'attacher une importance capitale au fonctionnement automatique d'un organe!... Concevriez-vous, messieurs, une bicyclette dont la direction serait automatique?... Or la direction d'un aéroplane n'est pas sans ressemblance, et je crois que l'on réalise bien mieux l'équilibre en tenant le guidon qu'en se fiant à l'action d'une surface le mieux agencée qu'il soit possible.....
—Peut-être avez-vous raison, murmura Outremécourt.
—Pour moi, repartit Martin Landoux, on peut comparer une machine volante à un bateau sous-marin. Ce sont là deux faces d'un même problème, et l'on n'a qu'à copier ce qui donne de bons résultats dans un système pour avoir les mêmes avantages dans l'autre. Or, comment assure-t-on l'équilibre dans un bateau sous-marin?... En créant un jeu de forces que l'on équilibre, non pas automatiquement, mais à la main. Pour maintenir une route horizontale, on incline d'abord la paire de gouvernails d'arrière que l'on fixe suivant l'inclinaison convenable. On donne ensuite l'inclinaison voulue à la paire de gouvernails d'avant que l'on manoeuvre à l'aide d'une roue de barre, et cette roue est mise aux mains d'un pilote qui, les yeux fixés sur le manomètre d'immersion, s'efforce de maintenir l'horizontalité par des déplacements imperceptibles des gouvernails. Il en est de même dans l'aéroplane. Les plans sustenteurs correspondent aux plans horizontaux d'arrière du sous-marin, et leur inclinaison fixe est telle qu'elle correspond au meilleur angle d'attaque possible. A une certaine distance en avant, se trouvent les plans équilibreurs ou stabilisateurs dont le pilote doit pouvoir modifier constamment l'obliquité. C'est en somme le principe appliqué par les Wright.
—Revenons-en à nos aéroplanes, dit le marquis.
—Voici donc un point d'élucidé, continua imperturbablement l'inventeur. L'équilibre sera obtenu par des moyens réellement scientifiques et rationnels. Il en sera de même pour la question des virages pendant le vol et surtout pour le départ qui n'exigera pas un champ de manoeuvres pour prendre l'élan indispensable...
—Ah! ah!... Voilà qui devient intéressant!...
—Oh! c'est bien simple. J'adjoins à chaque cellule une hélice ascensionnelle que l'on mettra en marche au moment du départ. L'ascension s'opérera donc, sinon tout à fait sur place, tout au moins dans un espace très restreint et suivant un angle très accentué. La hauteur désirée une fois atteinte, ces deux hélices ascensives seront progressivement débrayées et toute la puissance du moteur sera reportée sur les hélices propulsives. Le chariot de roulement peut donc être réduit à sa plus simple expression. Pour l'atterrissage, la manoeuvre inverse sera effectuée; les hélices propulsives ralentiront en même temps que les ascensives se mettront à tourner de plus en plus vite jusqu'au moment où l'arrêt presque complet est obtenu, et alors l'appareil se posera à terre sans le moindre choc.
—Voilà une chose bien comprise, approuva le bailleur de fonds des établissements Martin Landoux, et cette adjonction s'imposait, car elle augmente notablement la sécurité de l'aéroplane. Je l'adopte donc pour ma part et j'engage vivement mes amis à suivre mon exemple. Qu'en pensez-vous, La Tour-Miranne, et vous Outremécourt?...
Ceux-ci avaient suivi avec attention les explications du constructeur, tout en consultant de temps à autre les plans étalés sous leurs yeux.
—Ainsi donc, fit le marquis, vous pourrez nous établir une première série de six aéroplanes identiques à celui que vous venez de nous décrire, c'est-à-dire ayant pour caractéristiques: Biplans à ailerons, munis d'une paire d'hélices propulsives et d'une paire d'hélices ascensives, avec gouvernail de profondeur à l'avant, surface des plans sustenteurs, 50 mètres carrés, moteur de 24-30 chevaux. Poids à vide d'un appareil 280 kilos. Vitesse, 50 kilomètres à l'heure en portant un poids utile de 180 kilos, soit deux personnes et des provisions de combustible et d'eau pour deux heures de marche?... C'est bien cela, n'est-ce pas?...
—Absolument cela, monsieur le marquis.
—Bon, mais ce n'est pas tout, continua le président de l'Aéro-tourist club, il nous faut un professeur pour nous mettre au courant du maniement et de la conduite de ces appareils. Voulez-vous être ce professeur, monsieur Landoux?...
—Vous n'y songez pas, monsieur le marquis! Et mon atelier, mes ouvriers, qui les dirigerait, si je n'étais pas là!...
—Mais puisque nous allons absorber toute votre production d'ici six mois, il me semble que vous pouvez bien vous consacrer exclusivement à l'éducation—j'allais dire au dressage—des membres de notre Club!... D'abord, à quelle époque vous engagez-vous à nous livrer ces six premiers appareils?.
—J'espère que l'on pourra en effectuer le montage dans la seconde quinzaine du mois de mars prochain, répondit le mécanicien après un instant de réflexion.
—Donc, ce ne sera qu'au mois d'avril ou mai que vous aurez à vous déranger. Je dois vous dire que je compte organiser un aérodrome dans les propriétés qu'un de mes parents possède dans le département de l'Oise et où la place ne nous manquera pas, je vous le garantis! C'est là que l'on procédera au montage et aux essais des oiseaux mécaniques à l'aide desquels nous prétendons exécuter le tour de France, par étapes d'environ 100 kilomètres. Il faudra absolument que vous soyez présent pour surveiller cette mise au point et nous donner, par vos conseils et votre exemple, les connaissances spéciales, théoriques et pratiques, qui nous manquent entièrement afin de mener nos projets à bonne fin. Donc, pouvons-nous compter sur votre aide pendant cette période?... La chose est, pour nous, d'importance capitale.
—Vous ne pouvez pas nous refuser cela, mon brave Landoux, implora Médouville.
Le constructeur parut indécis. Il songeait que son absence pourrait nuire à la bonne marche du nouvel établissement