H. de Graffigny

Le tour de France en aéroplane


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ne saurais trop vous louer de votre prudence, approuva La Tour-Miranne, intervenant dans la conversation. Il ne faut pas en effet risquer une chute, si anodine fût-elle, un jour comme celui-ci surtout. Ce serait fâcheux à tous égards. Libre à notre ami Médrival de s'exposer à démolir son appareil en le sortant par un vent pareil lorsqu'il saura s'en servir, mais pour ma part, je crois qu'il est plus sage de s'abstenir et de remettre la suite des expériences à un moment plus favorable.

      —Bien parlé, président!... scanda Damblin. On voit que c'est de votre biplan qu'il s'agit; mais un monoplan tel que celui qui j'ai combiné ne craint pas des brises de dix mètres, je vous montrerai cela!.... En attendant, voudriez-vous nous dire à quelle époque l'aérodrome sera ouvert aux essais pratiques des membres du Club?...

      —Mais à partir d'aujourd'hui même, répliqua avec vivacité le marquis. Aérovilla ne refermera plus devant ses amis ses portes qui viennent d'être ouvertes toutes grandes.

      —Bon!... Tout est pour le mieux, en ce cas. Dès demain, je vais faire apporter mon mono et je commencerai sans tarder à m'entraîner.

      —Moi aussi!... Moi aussi!... firent à l'unisson plusieurs clubmen.

      —Notre constructeur, M. Martin Landoux, dont vous venez de constater de visu l'incontestable maestria dans la direction des aéroplanes, nous fera l'amitié de nous guider dans nos premiers tâtonnements, ajouta le président. Il a accepté devenir, toutes les après-midi où le temps sera convenable, à Aérovilla, afin de mettre les néophytes au courant de la manoeuvre des aéroplanes constituant la flottille de notre Aéro-tourist-club.

      Un murmure de satisfaction courut parmi la foule.

      —J'espère donc, conclut La Tour-Miranne, que la présence d'un tel professeur rassurera les esprits les plus timorés, et que nous aurons le plaisir de voir participer à l'excursion que nous projetons d'exécuter parmi les régions les plus pittoresques de notre beau pays de France, les gracieuses personnes qui n'ont pas hésité tout à l'heure à confier leur existence à la machine volante!...

      —Certainement!... susurrèrent plusieurs voix féminines.

      —Je note cette promesse. Maintenant, l'inauguration d'Aérovilla est un fait accompli, la période préparatoire d'élaboration est close. Le champ d'expériences est prêt ainsi que les véhicules, il ne reste plus, pour réaliser le programme qui nous a ralliés, qu'à utiliser ces ailes que la science nous donne et, pas à pas, saut à saut, vol à vol, comme le disait le regretté capitaine Ferber, devenir hommes-oiseaux, et créer, non pas le sport, mais le tourisme aérien!...

      Le jeune homme avait prononcé ces dernières paroles d'une voix vibrante et persuasive. Sa péroraison fut accueillie par un tonnerre de bravos et d'acclamations.

      —Et dans deux mois, grrrand départ de la flottille aérienne pour le premier tour de France en aéro!... clama le fausset suraigu de Médouville. Mesdames, retenez vos places d'avance, il n'y en aura pas pour tous les amateurs! Prenez vos bibi... prenez vos billets et suivez le monde!...

       Table des matières

       Table des matières

      UN ADVERSAIRE DU PROGRÈS.—LE PÈRE ET LE FILS.—UN DUC CHEZ UN OUVRIER.—JE NE SUIS PAS UN TRAÎTRE, MONSIEUR!—CHARLES BADER DIT CHARLOT.—AU PARC D'AÉROSTATION D'ECANCOURT.—GONFLEMENT DU DIRIGEABLE.—LES RANCUNES DE M. FIRMIN.—UNE MISSION MYSTÉRIEUSE.

      L'inauguration du champ d'aviation d'Aérovilla avait fait sensation.

      Tous les journaux «bien informés» avaient publié le compte rendu de la fête donnée à l'aérodrome de Puiseux et n'avaient pas ménagé leurs éloges à Martin Landoux, l'ancien recordman cycliste et automobiliste transformé en aviateur consommé, tout à la fois ingénieur, constructeur et pilote expert. La Tour-Miranne, interviewé, avait exposé ses projets et ses ambitions, et le Tour de France en aéroplane commençait à avoir ce que l'on appelle «une bonne presse».

      Toutefois ce bruit ne fut pas sans déplaire à certaines personnes, et ce, pour différents motifs. Tel fut le cas pour le duc de La Tour-Miranne et Claude Réviliod, entre autres.

      Le duc de La Tour-Miranne était très entiché de sa vieille noblesse. Fidèle au culte du passé, il détestait cordialement toutes les inventions du siècle, et était persuadé que c'était déroger et manquer de respect aux glorieux ancêtres de sa race que de s'occuper de choses bonnes pour les bourgeois et autres manants qu'il méprisait cordialement. Il avait approuvé Robert tant que celui-ci s'était borné à pratiquer les sports mondains, tels que l'escrime et l'hippisme; il avait été jusqu'à lui tolérer le yachting, ce sport de millionnaire, et l'automobilisme, bien qu'il le blâmât hautement de prendre au volant la place d'un laquais. Il s'était hérissé, quand l'unique héritier, du nom et des biens de La Tour-Miranne avait fait l'acquisition de son premier aérostat et accompli une série de voyages aériens réellement remarquables. Lorsqu'il apprit qu'à la suite de son voyage à la grande semaine d'aviation de Reims, Robert, en compagnie de quelques amis, avait fondé l'Aéro-tourist-club, il lui avait adressé une sévère mercuriale en lui enjoignant de ne pas donner suite à son projet ridicule d'exécuter un voyage de circumnavigation aérienne autour de la France, comme un véritable saltimbanque. Les comptes rendus des journaux relatifs à la fête donnée à l'occasion de l'inauguration d'Aérovilla, portèrent à son comble l'exaspération du noble représentant de la vieille France, et il enjoignit à son fils de venir lui expliquer ses projets. L'entrevue entre ces deux caractères opposés, l'un admirateur du passé, l'autre épris du progrès, le père les yeux obstinément fixés en arrière, le fils regardant vers l'avenir, ne pouvait manquer d'être mouvementée.

      —Ainsi, monsieur, commença dédaigneusement le duc, vous avez donc persisté, malgré mes avis et mes conseils, dans vos folies?...

      Robert de La Tour-Miranne releva la tête, prêt à défendre les idées qui lui étaient chères et qu'il croyait justes, fût-ce contre son père, envers lequel il professait cependant un profond respect, sans se permettre de critiquer, même en pensée, les convictions surannées chères à celui qui était le chef de la famille.

      —N'avez-vous pas honte, poursuivit M. de La Tour-Miranne, de vous mêler, avec le nom que vous portez, à des exhibitions telles que je viens d'en lire le récit dans les gazettes!... Avoir transformé les magnifiques haras de notre cousin, le prince Muret, en vélo..., non, en a-é-ro-drome, ainsi que vous dites dans votre jargon, n'est-ce pas inouï, en vérité!... Quelle mouche vous a donc piqué pour que j'aie le déplaisir de voir le dernier de ma race se transformer en acrobate, car ce sont des acrobaties que vos prétendues expériences scientifiques...

      —Mon père!... voulut dire le président de l'Aéro-tourist-club.

      Celui-ci ne lui permit pas de parler. Il continua:

      —Je vous ai déjà adressé à plusieurs reprises des observations au sujet des singulières occupations auxquelles vous vous plaisez depuis quelque temps. Il me déplait fort de voir le nom des La Tour-Miranne mêlé à des entreprises aussi ridicules que celles dont parlent les feuilles en ce moment, et j'entends que vous cessiez au plus tôt toute participation à des exercices qui ne peuvent que vous déconsidérer aux yeux de tous les gens sensés!...

      —Me permettrez-vous, mon père, de vous expliquer...

      L'autoritaire gentilhomme étendit le bras vers son fils, et avec dédain:

      —Que pourriez-vous me dire pour vous excuser?... Je le sais d'avance, parbleu, c'est que vous êtes majeur et libre de mener la vie qui vous convient sans que moi,