H. de Graffigny

Le tour de France en aéroplane


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monsieur. Je me nomme Martin Landoux!...

      —Le gentilhomme réprima un mouvement de colère et regretta intérieurement le temps où ses nobles aïeux auraient récompensé une semblable réponse par une volée de coups d'étrivières. Il se leva brusquement et d'une voix que la colère faisait chevroter.

      —Je vois que le marquis vous a chèrement payé pour que vous défendiez pareillement ce que vous croyez à tort être son intérêt. Je regrette de ne pouvoir vous convaincre de votre erreur. Adieu, monsieur le fabricant d'aéroplanes; vous regretterez bientôt d'être resté sourd à ma prière!...

      —Ce serait manquer à la plus vulgaire probité commerciale, monsieur, et, si vous voulez bien y réfléchir, vous reconnaîtrez que je ne puis vous répondre autrement que je le fais.

      M. de La Tour-Miranne sortit et Martin Landoux demeura seul devant son bureau encombré de paperasses et de dessins. Le mécanicien resta plusieurs minutes immobile, repassant dans sa mémoire les paroles de son noble interlocuteur. Enfin il se dressa et secoua les épaules avec un geste intraduisible.

      —Au diable! monologua-t-il, voilà un singulier citoyen que le père de M. Robert! Il n'a guère confiance dans les créations scientifiques du temps, ni dans les capacités de son fils, vrai!... Et venir me proposer vingt-cinq mille francs pour détraquer son moteur, mon moteur à moi, le moteur Martin Landoux, il n'a pas peur!... Le plus malheureux, c'est que, si M. Robert persiste dans ses idées, comme il est probable, cela va amener la discorde dans sa famille! Mais je n'y peux rien! J'ai fait ce que je devais et n'ai pas à me repentir de ce que je lui ai dit à ce vieux nobliau!

      L'inventeur fut interrompu dans ses réflexions par quelques coups discrets frappés à la porte de son bureau. Il cria machinalement.

      —Entrez!...

      La porte s'ouvrit et un personnage d'aspect bizarre apparut dans l'encadrement de la baie ouverte.

      Qu'on se figure une espèce de gnome d'un peu plus de quatre pieds de haut, une épaule plus élevée que l'autre, les jambes disproportionnées avec le reste du corps, déjetées et cagneuses, les bras, de longueur également démesurée, terminés par des mains noueuses et larges comme des omoplates de mouton, à l'instar des pieds qu'on eût pu comparer à deux périssoires. Le tout était surmonté d'une énorme tête ronde, aux cheveux hérissés, de couleur moutarde, et dans laquelle on remarquait tout d'abord une immense ouverture allant presque d'une oreille à l'autre et crénelée sur toute sa longueur de rocs verdâtres et inégaux qui étaient les dents du personnage. Une joue était sillonnée d'une cicatrice couleur lie de vin, couvrant la pommette et atteignant le sourcil qui recouvrait un oeil clignotant, dardant par moments des lueurs inquiétantes.

      Cet individu était habillé en ouvrier mécanicien, c'est-à-dire vêtu d'une «salopette» et d'une veste d'un bleu déteint par suite d'un usage prolongé. Un mauvais veston de confection et un foulard complétaient cette tenue plus que modeste.. Le nouveau venu tenait d'une main sa casquette de cuir et de l'autre une lettre cachetée.

      Martin Landoux demeura un instant interloqué en considérant l'étrange visiteur.

      —Pardon, excuse, patron, si je me permets de vous déranger, fit alors l'arrivant. On m'a dit qu'il y avait de l'embauche dans vos ateliers et je me suis présenté...

      —Pourquoi n'êtes-vous pas aller trouver le contremaître? interrogea brusquement le constructeur. Ce n'est pas d'ailleurs à cette heure que se présente pour demander de l'ouvrage!

      —C'est vrai, patron, mais je suis déjà venu et on m'a dit de repasser, que vous n'étiez pas là. Je voulais vous voir pour vous remettre une lettre de recommandation que l'on m'a donnée pour vous.

      —Vous avez cette lettre?...

      —Certainement, patron. Tenez, la voilà!

      L'individu tendit à Martin Landoux l'enveloppe qu'il tenait à la main. Avant de la prendre, l'inventeur questionna encore:

      —Vous êtes ajusteur-mécanicien?... D'où sortez-vous en dernier lieu?...

      —De chez Marius Gallet, à Courbevoie. Je venais alors des usines Debion et Hagraf, où j'étais au réglage des moteurs. Chez Gallet, je montais les châssis d'aéros.

      —Ah!... et pourquoi en êtes-vous parti?...

      Le gnome parut embarrassé. Il se dandina sur ses jambes torses avant de répondre.

      —Oh! des histoires avec les camarades qui blaguaient ma tournure. J'étais leur vrai souffre-douleur. Ils m'appelaient le bosco, Quasimodo, trente-six autres noms encore. J'ai fini par me fâcher, il y a eu une batterie à l'atelier et c'est encore moi qui ai eu tort après avoir encaissé les coups de tampon des autres!...

      Martin Landoux n'écoutait plus; il avait décacheté l'enveloppe et rapidement parcouru la lettre dont il avait reconnu l'écriture au premier coup d'oeil. Elle émanait du bailleur de fonds qui l'avait aidé à fonder son nouvel établissement, de Médouville en un mot. Ce dernier le priait vivement dans sa missive, d'agréer, si la chose était possible, les services de Charles Bader, surnommé Charlot, des capacités professionnelles de qui il serait satisfait, car, malgré son aspect hétéroclite prévenant de prime abord peu en sa faveur, Charlot n'en était pas moins un excellent ouvrier monteur, connaissant à fond l'agencement des machines volantes, auxquelles il était employé à l'établissement d'aéronautique et d'aviation de Marius Gallet.

      Sa lecture terminée, le constructeur reporta les yeux sur l'ouvrier qui était resté debout tournant sa casquette entre ses gros doigts noirs.

      —Vous connaissez M. de Médouville qui vous a remis cette lettre, interrogea-t-il.

      —Moi, pas du tout, patron, répliqua Charlot.

      —Alors, comment se fait-il?...

      —C'est un ami de M. de Médouville, un client de M. Gallet qui sait comment je travaille, et que j'ai été trouver après avoir perdu ma place. Je lui ai demandé s'il ne connaîtrait pas pour l'instant quelque chose pour moi, il m'a dit que non, mais que M. de Médouville, lui, connaissait beaucoup de monde dans la mécanique. Alors il m'a donné un mot pour ce Monsieur, en lui expliquant ce que je savais faire, et c'est pourquoi M. de Médouville à son tour m'a donné la lettre en me disant de m'adresser directement à vous. Voilà tout, patron...

      Martin Landoux qui relisait la missive de son commanditaire, ne prêta qu'une médiocre attention à ces explications, que l'ouvrier lui avait débitées avec volubilité, comme une leçon apprise d'avance, et il ne songea pas à lui demander le nom du mystérieux client ayant servi d'intermédiaire.

      —C'est bon!... dit-il enfin, on va vous mettre à l'essai cette semaine, et suivant ce que vous serez reconnu capable de faire, on vous embauchera définitivement ou non. A propos, avez-vous déjà volé?...

      —Moi!... Oh! non, monsieur! Je peux vous faire voir mon casier judiciaire...

      —Vous ne me comprenez pas. Je vous demande si vous avez fait des vols en aéroplane?...

      —Je n'ai pas eu l'occasion, patron. Je soignais surtout les moteurs.

      —Mais, le cas échéant, accepteriez-vous d'accompagner des aviateurs en qualité de mécanicien, et de les suivre dans les airs.

      —Oh! certainement, patron. Tel que vous me voyez, je me moque de ma peau; elle n'est pas assez belle pour que j'y attache de l'importance.

      —Alors, c'est bien! conclut Landoux qui réfléchissait qu'il faudrait une équipe d'habiles mécaniciens pour suivre les audacieux promoteurs du Tour de France dans leurs randonnées. Vous viendrez demain à l'ouverture des ateliers, et samedi prochain je vous dirai ce que j'aurai décidé.

      Les yeux du personnage tortu et mal dégauchi qui venait de se présenter sous le nom de Charlot Bader, lancèrent