ainsi que vous le faites au mouvement qui entraîne le monde à la conquête de découvertes d'un intérêt contestable. Nos aïeux ne connaissaient ni l'électricité, ni les aéroplanes, et cependant ils n'en ont pas moins fait de grandes et utiles choses. Laissez donc ces vaines recherches aux petites gens, et ne vous mêlez plus à cette société hétéroclite d'ingénieurs aux mains noircies de cambouis, et rappelez-vous la devise de notre maison: Primus inter pares! Vous m'avez entendu?...
Le sportsman avait contenu son impatience pour écouter la longue harangue de son solennel ascendant.
—Je regrette, mon père, répondit-il fermement quoique respectueusement, de différer d'opinion avec vous au sujet de l'avenir réservé à la grande question de la locomotion aérienne, actuellement à son début et qui réclame, pour aboutir, le concours de toutes les énergies, de toutes les intelligences et de toutes les bonnes volontés. Permettez-moi de vous faire remarquer que je suis loin d'être seul à penser de cette façon dans notre monde, et je vous citerai, si vous le voulez, une vingtaine de personnes portant les plus grands noms de France et qui patronnent ces expériences que vous regardez comme de simples prouesses acrobatiques...
Le duc secoua la tête.
—Ces personnes ont tort, voilà tout, et ce n'est pas une raison pour que vous suiviez leur exemple!... Mais je vous en ai dit assez, et j'espère encore que vous ne m'obligerez pas à prendre des mesures extrêmes, au cas où vous ne tiendriez pas compte des volontés que je viens de vous exprimer.
Robert contint un mouvement de révolte.
—Mais pourtant je ne fais rien de répréhensible et de nature à entacher le renom de notre maison, s'exclama-t-il. Je ne puis pas, pour un scrupule que je trouve exagéré, abandonner l'entreprise en cours et laisser mes amis dans l'embarras...
—Il suffit!... scanda M. de La Tour-Miranne d'un ton glacial. Vous persistez à tenter ce voyage en aéroplane qu'annoncent les journaux?...
—Je ne saurais me désister, sans perdre ma propre estime, mon père.
—Très bien!... Insister davantage serait superflu, je m'en rends compte. Dans ce cas, j'agirai, afin d'éviter l'esclandre que je redoute et d'où notre nom sortirait diminué. Je ne vous retiens plus, monsieur. Courez donc vous donner en spectacle avec vos camarades; nous n'avons plus rien à nous dire désormais!...
Le jeune homme fit un geste pour retenir son père, mais déjà le vieux gentilhomme, soulevant la draperie d'une portière, avait disparu, le laissant libre de méditer ses paroles énigmatiques et menaçantes. Il secoua alors la tête, comme pour dissiper l'impression ressentie et murmura.
—Bah!... nous verrons bien. Son opinion se modifiera, je l'espère, lorsque nous aurons accompli avec succès notre tour de France en aéro!...
Le duc ne devait pas s'en tenir aux menaces.
Dès le lendemain, il se fit conduire aux ateliers Martin Landoux, où s'achevait la construction des deux derniers appareils destinés aux membres de l'Aéro-tourist-club. Aussitôt introduit dans le bureau de l'aviateur, il expliqua à l'ex-automobiliste les raisons de sa visite.
—Je suis, lui dit-il, le duc de La Tour-Miranne, chef de la branche aînée de la famille et père de votre jeune client, le promoteur de la mirifique idée du tourisme en aéroplane...
Le constructeur s'inclina silencieusement et offrit un siège à son illustre visiteur. Celui-ci s'en empara et poursuivit, toujours du même accent rèche et hautain qui lui était habituel:
—Pour des raisons personnelles que je crois inutile de vous exposer, je ne veux pas que cette idée baroque ait de suite, ou, tout au moins, que le dernier représentant des La Tour-Miranne participe à cette exhibition que je considère comme du banquisme tout pur. Par amour-propre plutôt que par conviction, mon fils s'est refusé, malgré ma volonté nettement exprimée, à se dédire, et il prétend rester le chef de cette caravane aérienne que je crois fermement exposée à tous les désastres. Je veux lui éviter, même malgré lui, l'humiliation qu'il se prépare, et, puisque vous êtes le fabricant de l'instrument qu'il veut diriger, je viens à vous franchement pour vous demander sans ambages d'empêcher la réalisation de cette tentative que je crains de voir sombrer dans le ridicule.
Martin Landoux, ébahi, ne sut que répondre, et il se gratta la tête avec embarras. Enfin, il parvint à balbutier:
—Je ne vois vraiment pas, monsieur le duc, comment je pourrais vous aider...
—La chose me paraît cependant aisée!... répliqua M. de La Tour-Miranne avec une pointe d'impatience. Il suffît de mettre la machine que mon fils doit conduire hors d'état de fonctionner. Je compte sur vous pour lui démontrer ensuite l'impossibilité de se confier à un instrument semblable, surtout pour exécuter un voyage de quelque étendue. D'ailleurs, je suis tout disposé à vous dédommager de la perte matérielle que le service que je réclame de vous pourrait vous causer.
—Mais, monsieur, je ne suis pas le seul constructeur d'aéroplanes existant en France! se récria le mécanicien. Si je faisais ce que vous désirez, M. de La Tour-Miranne s'adresserait immédiatement à l'un de mes confrères qui lui livrerait un appareil fonctionnant parfaitement. Une manoeuvre telle que vous me la conseillez n'aurait donc aucun résultat et n'empêcherait nullement mon client d'accomplir le voyage que vous voulez empêcher!
—Ta! ta! ta!... Croyez-vous donc que j'ignore ce qui se passe actuellement dans votre industrie naissante!... On ne trouve pas encore, je crois, des aéroplanes en magasin et tout prêts à être livrés! Je me suis renseigné: on demande actuellement un délai de livraison d'au moins trois mois, comme autrefois pour les automobiles. Que le marquis s'amuse donc à voleter avec son appareil au-dessus des haras de notre cousin le prince Muret, je n'y vois nul inconvénient. Tout ce que je désire, c'est que la veille du fameux départ pour le Tour de France projeté, il survienne quelque anicroche mettant irrémédiablement hors de service sa mécanique. Il sera ainsi forcé de laisser partir les plus enragés de ses compagnons. Avant qu'il ait pu se procurer un autre instrument pour les rejoindre, il est fort probable que la caravane se sera évanouie en fumée, ou tout au moins piteusement disloquée. On ne verra donc pas un La Tour-Miranne figurer dans cette mascarade, et c'est tout ce que je désire. Vous avez compris?...
L'inventeur planta son regard incisif dans les yeux du gentilhomme qui, déjà, cherchait son carnet de chèques dans une poche de côté de son pardessus fourré. Il prononça énergiquement:
—Je le regrette, monsieur le duc, mais je ne suis pas l'homme des petites combinaisons que vous me faites l'honneur de m'exposer. Martin Landoux ne mange pas de ce pain-là et il ne trahit pas les intérêts qui lui sont confiés par ses clients.
Le duc redressa sa haute taille et ses yeux lancèrent des éclairs.
—Vous oubliez que je suis le père, monsieur, et que j'ai le droit d'empêcher ceux qui portent mon nom de commettre une sottise insigne, telle que ce ridicule voyage!...
—Entreprise audacieuse, mais réalisable avec mes aéroplanes, monsieur! s'écria avec feu le mécanicien. Imposez donc, si vous le pouvez, votre volonté à votre fils, mais moi je ne trahirai à aucun prix la confiance qu'il a mise en mes modestes capacités.
M. de La Tour-Miranne haussa les épaules, et, pour masquer son désappointement, il articula d'un ton qu'il s'efforça de rendre sarcastique:
—Je croyais trouver en vous un homme raisonnable, mais je constate que c'était trop espérer d'un inventeur infatué de la valeur de ses créations. Je laisse donc le hasard faire son oeuvre, mais je conserve la conviction que le dernier mot n'est pas dit et que ce malencontreux voyage n'aura pas lieu malgré tout, car je n'ai nulle confiance dans toutes ces machines dont vous êtes si fier et que les causes les plus minimes détraquent sans remède!
—Nous vous démontrerons le contraire, monsieur!... riposta Martin Landoux, piqué. Le tour de France en aéroplane s'effectuera, quoi que vous en disiez, et loin d'essayer de détraquer les machines, j'en serai le