H. de Graffigny

Le tour de France en aéroplane


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      Le Père Tranquille, Jean d'Outremécourt, qui avait tenu sa montre à la main pendant la durée du vol, murmura en la consultant du regard:

      —Six minutes vingt-trois secondes pour cinq kilomètres, cela donne environ du cinquante à l'heure!

      On n'entendit pas cette remarque dans le tonnerre d'acclamations qui avait accueilli le retour de l'aviateur, autour duquel la foule se pressait pour le féliciter autant pour son habileté de conducteur que pour sa science de constructeur.

      Plusieurs voix féminines dominèrent le tumulte. Ces dames réclamaient la faveur d'un tour de piste à bord de l'aéroplane. La Tour-Miranne et Martin Landoux, débordés, ne savaient à qui entendre. Enfin, le jeune président parvint à obtenir un silence relatif, et il se hâta d'en profiter.

      —Nous ne demandons pas mieux, Mesdames, que de vous donner satisfaction et de vous faire connaître les sensations du vol en aéroplane, put-il enfin prononcer, mais nous n'avons actuellement qu'un appareil et surtout un seul pilote expérimenté, M. Landoux, et il nous serait impossible, au cours de cette après-midi, de contenter tout le monde. Je ne vois donc qu'un moyen, c'est de nous soumettre aux caprices du sort qui désignera dix d'entre vous pour exécuter une envolée...

      —Oui, oui, tirons au sort, crièrent plusieurs voix impatientes.

      —Dans quelques semaines, lorsque nos camarades du club se seront familiarisés avec leurs appareils, ajouta La Tour-Miranne, je suis certain qu'ils seront heureux d'offrir une place à leur bord à tous les amateurs désireux d'essayer une promenade aérienne.

      Déjà Médouville, suivant avec empressement l'indication du président, avait jeté au fond d'un chapeau haut de forme des morceaux de carton, provenant de cartes de visite exactement partagées en quatre parties, et en nombre égal à celui des néophytes ayant réclamé la faveur d'un tour de piste en aéro. Dix de ces cartons portaient une croix au crayon et devaient désigner les élus du sort.

      —Approchez, mesdemoiselles, clama le secrétaire du club, approchez sans crainte, ça ne mord pas!... Allez-y hardiment et ayec confiance et que la chance vous favorise!...

      —Faisons vite, ajouta La Tour-Miranne. Le temps s'envole et le vent pourrait augmenter.

      Avec des rires, des exclamations de joie ou de dépit, suivant que le sort lui avait été ou non avantageux, chaque invitée tira à tour de rôle un carton du chapeau du clubman. Mlle d'Outremécourt et Mme Lhier furent au nombre des élues, et leur triomphe fut accueilli par des applaudissements unanimes.

      Déjà Martin Landoux avait repris sa place aux leviers de manoeuvre. La première des favorisées du sort, Mlle Geneviève, vint occuper le siège demeuré vide à côté de l'aviateur.

      —Tenez-vous bien aux bras du fauteuil et serrez ce foulard autour de votre tête, recommanda le mécanicien à la jeune fille qui, pour monter à bord avait enlevé son immense chapeau—son monoplan, suivant l'appellation que son frère, le Père Tranquille, donnait à ce chef-d'oeuvre de chapellerie féminine.

      Les spectateurs s'étaient écartés de quelques pas pour ne pas gêner l'essor de l'appareil.

      Martin fit un signe à l'ouvrier chargé de mettre le moteur en mouvement. Aussitôt les crépitations de la machine se firent entendre, sèches et répétées.

      —Attention, mademoiselle, dit-il. Nous partons!...

      Aussi rapidement et avec la même légèreté que la première fois, l'aéroplane bondit en avant, tout en s'élevant suivant une courbe gracieuse et il s'éloigna vers l'extrémité la plus reculée de l'aérodrome, suivi dans sa course par les acclamations de tous les assistants. Cinq minutes ne s'étaient pas écoulées qu'il revenait à tire-d'aile pour déposer à l'endroit même de son départ la gracieuse passagère toute rose de contentement et d'émotion.

      —C'est idéal! déclara la jeune fille en sautant légèrement à terre. C'est une sensation inexprimable que ne saurait procurer aucun autre moyen de locomotion, et je ne saurais dire combien je suis heureuse de cette promenade, hélas! bien trop courte à mon gré!

      —C'est bien simple, mademoiselle, insinua Médouville: soyez des nôtres dans le voyage de tourisme que nous organisons. Jean, votre frère, ne refusera certainement pas de vous emmener avec lui comme passagère...

      —Qui sait si mes parents me permettraient une semblable excursion....

      —Oh!... avec votre frère pour mentor, et en les priant bien fort, je suis sûr qu'ils ne résisteraient pas longtemps!...

      —Certes, j'essaierai de les fléchir, déclara Mlle Geneviève d'un petit ton résolu, mais ça ne sera peut-être pas très facile! Papa, cela ira encore, car il fait toutes mes volontés, mais c'est maman qui va jeter les hauts cris quand je lui annoncerai que je veux accompagner mon frère!... Pourtant, je suis une grande fille, je suis l'aînée après Jean, je vais avoir vingt ans!...

      Le marquis de La Tour-Miranne qui avait entendu ces paroles s'approcha et souffla à demi-voix en souriant:

      —Faites remarquer à madame votre mère que votre présence à côté de mon ami Jean modérera sa fougue naturelle et l'empêchera de commettre des imprudences. C'est un argument qui ne peut manquer de la toucher vivement.

      La jeune fille fixa ses yeux pénétrants sur le fondateur d'Aérovilla. Ses lèvres s'ouvrirent pour répliquer, mais elle secoua la tête comme pour chasser quelque pensée importune. Enfin, après un moment de silence, elle murmura seulement.

      —Nous verrons, Monsieur Robert, nous verrons!...

      Des applaudissements répétés vinrent mettre fin à cette scène à trois personnages. Pour la quatrième fois, le biplan Martin Landoux revenait à une allure d'express bien lancé, mais avant d'atterrir, son conducteur exécuta à trente mètres de hauteur environ un quadruple virage en forme de 8, puis il redescendit en décrivant une courbe hélicoïdale parfaite, démontrant la maîtrise que l'ancien «roi du volant» avait acquise dans le maniement de la machine volante. C'était cette prouesse qui avait suscité l'admiration des jeunes gens massés sur la verte pelouse qu'enserrait la piste aérienne.

      —Bravo, Landoux, articula Breuval, vous allez rendre Paulhan et le comte de Lambert lui-même, jaloux de votre habileté.

      Le constructeur sourit et se borna à répondre:

      —Hâtons-nous, mesdames, le vent commence à souffler, et tout à l'heure nous n'allons plus pouvoir voler!...

      L'ingénieur Damblin était allé consulter l'anénomètre enregistreur.

      —Vent nord-est, vitesse cinq mètres à la seconde, annonça-t-il.

      Landoux avait entendu.

      —Oui, mais il y a de courtes bourrasques par instants, et c'est gênant dans les virages, répliqua-t-il.

      Pendant qu'il parlait, une nouvelle passagère avait prestement escaladé les échelons conduisant au siège disponible à côté du pilote.

      —Voici la voyageuse demandée, monsieur, fit la jeune femme en souriant.

      —Parfait en ce cas! Tenez-vous bien madame, nous démarrons!...

      L'aéroplane s'élança de nouveau, puis revint déposer son chargement et reprendre une autre passagère. Six fois encore, Martin Landoux boucla le parcours de l'aérodrome, suivi dans ses évolutions par les regards des deux à trois cents spectateurs réunis sur la pelouse. Enfin il atterrit une dernière fois juste devant son hangar et il appela ses ouvriers pour garer l'appareil dans son abri. Il était cinq heures et la nuit n'allait pas tarder à se faire.

      —Hé! quoi!... vous ne continuez pas plus longtemps?... interrogea le jeune Médrival. Moi qui attendais avec impatience mon tour de vous accompagner!... Je suis volé!...

      —Ce qui ne vaut pas de voler soi-même, évidemment, acquiesça le Père