trouvèrent tout à coup sous leurs pas, au plus fort de leur passion, des modèles de la beauté parfaite (1280). Cette découverte flattait l'amour-propre ridicule, quoique fondé, qu'on mit toujours en ce pays aux titres de noblesse de la nation. Tout cela ne fut d'aucun poids. La beauté la plus pure passa sous leurs yeux sans être reconnue, et ils quittèrent des figures qu'on dirait dessinées par Raphaël pour les tristes mannequins des Giotto et des Cimabue.
On trouve dans la bibliothèque Riccardi, à Florence, un manuscrit qui porte la date de 1282. L'auteur est Ristoro d'Arezzo. Il raconte que l'on venait de découvrir dans son pays une grande quantité de vases étrusques. Le fait est si curieux, que je vais traduire littéralement quelques-unes de ses phrases.
«Les vases sont formés d'une terre si fine, qu'on dirait de la cire; leur forme est parfaite... Sur ces vases furent dessinées toutes les générations des plantes, des feuilles et des fleurs, et tous les animaux qu'on peut imaginer... Ils les ont faits de deux couleurs, azur et rouge; mais le plus grand nombre est rouge. Ces couleurs sont luisantes et très-fines; elles n'ont pas de corps; elles sont si parfaites que leur séjour sous terre ne les a nullement altérées. De mon temps, toutes les fois que l'on creusait des fondations dans la ville (Arezzo), ou à deux milles à l'entour, on trouvait une grande quantité de ces morceaux de vases revêtus de couleurs si brillantes, qu'ils semblaient faits de la veille. Sur l'un on trouvait sculptée (dessinée) une image maigre, sur l'autre une image du plus heureux embonpoint; l'une riait et l'autre pleurait; l'un était mort et l'autre vif; l'un était vieux et l'autre jeune; l'un était nu et l'autre vêtu; l'un armé et l'autre sans armes; l'un à pied et l'autre à cheval. On y voyait des batailles et des escarmouches dont tous les détails étaient admirables. Le dessin était si parfait que l'on connaissait si le temps était serein ou obscur, si la figure était vue de loin ou de près. On distinguait les montagnes, les vallons, les fleuves, les forêts, etc. Il y avait des esprits volants dans les airs sous la forme de jeunes garçons nus.»
L'auteur peint l'étonnement des spectateurs qui refusaient de croire ces vases un ouvrage d'homme. L'extase, le ravissement sont exprimés de toutes les manières; et je ne crois pas ce manuscrit une fraude pieuse des Florentins[78].
[77] Comme il n'y a pas de bonheur sans la santé, il n'y a pas de beauté sans les vertus sociales; mais le courant des mœurs rejette ce qu'il n'a pas donné.
[78] Gio. Villani, Attilio Alessi, les manuscrits de Francesco Rossi.
LIVRE DEUXIÈME
PERFECTIONNEMENT DE LA PEINTURE, DE GIOTTO A LÉONARD DE VINCI (DE 1349 A 1466)
CHAPITRE XIII.
CIRCONSTANCES GÉNÉRALES.
Après avoir rempli l'Italie de ses élèves, et, pour ainsi dire, terminé la révolution des arts, Giotto mourut en 1336. Il était né à Vespignano, près Florence, soixante ans auparavant. Le nom de Giotto, suivant la coutume, n'était que l'abrégé du nom de baptême Ambrogiotto. Sa famille s'appelait Bondone.
Dans les arts, quand l'homme est mécontent de son ouvrage, il va du grossier au moins grossier, il arrive au soigné et au précis; de là il passe au grand et au choisi, et finit par le facile. Telles furent chez les Grecs la marche de l'esprit humain et l'histoire de la sculpture.
Giotto réveilla les peintres italiens plutôt qu'il ne fut leur maître. C'est ce que prouve du reste le dôme[79] d'Orvietto, l'ouvrage le plus remarquable peut-être des premières années du quatorzième siècle. On y appela des peintres fort étrangers à Florence, apparemment sur leur réputation. Cette vérité est confirmée par les anciennes peintures de Pise, de Sienne, de Venise, de Milan, de Bologne, etc. Ce sont d'autres idées, un autre choix de couleurs, un autre goût de composition; donc, tout ne vient pas de Florence[80].
Après la mort de Giotto, cette grande ville fut inondée d'un nombre prodigieux de peintres. Leurs noms n'existent plus que dans les registres d'une compagnie de Saint-Luc qu'ils formèrent en 1349. A cette parole de l'histoire, Venise se lève tout entière, et fait observer qu'elle avait une semblable réunion dès l'an 1290.
On peignait alors les armoires, les tables, les lits, tous les meubles, et souvent dans la même boutique où on les fabriquait. Aussi les peintres étaient-ils peu distingués des artisans; on a même découvert sur d'anciens autels le nom de l'ouvrier en bois placé avant celui du peintre.
Vers la fin du quatorzième siècle, l'architecture se débarrassait du genre gothique ou allemand. Les ornements des autels devenaient moins barbares. On y avait placé jusqu'alors des tableaux, en forme de carré long, divisés en compartiments par de petites colonnes sculptées en bois, qui figuraient la façade d'un édifice gothique. Il y a plusieurs tableaux de cette espèce très-bien conservés au musée de Brera, à Milan. Les saints ont toujours de tristes figures; mais on trouve des têtes de vierges qui seraient aujourd'hui de charmantes miniatures. A Paris, le tableau de Raphaël (numéro 1126) peut donner une idée de ce genre d'ornement qu'on appelait ancone[81].
Peu à peu on supprima les petites colonnes, on agrandit les figures, et voilà l'origine des tableaux d'autels. Ce ne furent d'abord que des ornements préparés dans la boutique de l'ouvrier en bois, où il ménageait quelques petites places pour les couleurs du peintre. De là, l'usage ancien de peindre plutôt sur bois que sur toile; de là, la malheureuse habitude de mettre ensemble plusieurs saints qui ne concourent point à une même action, qui n'ont rien à se dire, qui sont censés ne pas se voir.
Les femmes des Druses et des peuplades les plus civilisées de la Syrie n'ont point recours, pour se parer, aux perles de l'Arabie, leur voisine, ou aux anneaux de diamants; elles rassemblent tout simplement un certain nombre de sequins de Venise; elles percent la pièce d'or pour l'attacher à une chaîne, et c'est toute la façon des colliers et des diadèmes. Plus la chaîne a de sequins, plus on est paré. Telle femme druse va au bain chargée de deux à trois cents ducats d'or effectif. C'est que chez ces peuples l'idée du beau n'est pas encore séparée de l'idée du riche. Il en est de même dans nos petites villes. Ce que les provinciaux admirent le plus à l'Opéra, c'est les changements de décorations, la richesse, la puissance, tout ce qui tient aux intérêts d'argent ou de vanité qui remplissent exclusivement leurs âmes. Leur grande louange est: Cela a dû coûter bien cher[82].
Les Italiens du quatorzième siècle en étaient encore là; ils aimaient à peindre sur un fond d'or, ou au moins il fallait de l'or dans les vêtements et dans les auréoles des saints. Ce métal adoré ne fut banni que vers le commencement du seizième siècle. On trouve encore des ornements figurés avec de l'or en nature, et non avec des couleurs, dans le beau portrait de la Fornarina, l'amie de Raphaël[83], que ce grand homme peignit en 1512, huit ans avant sa mort.
Dans les tableaux on prenait le riche pour le beau, et dans les poëmes le difficile et le recherché. Le naturel paraissait trop aisé[84]. Cela est si loin de nous, que je ne sais si on le sentira.
Il